Traduction, trahison…

7 January, 2015 - 16:14

Sneïba nous apprend, dans son humeur de la semaine, que « Mohamed ould Abdel Aziz […] a poursuivi la mise en place d’un état-civil fiable ». Poursuivi, peut-être ; mais il ne l’a toujours pas rattrapée. C’est que le fiable, en Mauritanie, ça galope vite, de nos jours ! Probablement pour tenter de rattraper les temps qui courent, eux, comme des dératés… Notamment dans la transcription des noms de l’arabe au français, et vice-versa. Ce n’est sûrement pas Mansour, notre collègue immigré de son hexagone natal, qui me contredira. Ses enfants, mauritaniens par leur mère, viennent d’être enrôlés. Mais comment ça s’écrit حنه, en français ? Sûrement pas Hanna, comme le papa s’est ingénié à l’écrire, noir sur blanc. Hannah, Héné, Hénah, Hané ? Allez, hop, on dira Henna, histoire de ne pas s’en laisser remontrer, à l’état-civil d’Arafat, par le consulat de France ! Et le nom de famille – Kirkcaldy de Grange – comment le transcrire en arabe ? Ça sera ددكرانج كالي كيرك, conformément à la fantaisie de l’enregistreur de la carte de séjour de Mansour, voici un mois à Tevragh Zeïna, et qu’il serait « impossible », dixit la directrice de centre, de rectifier, « avant l’année prochaine, vu que vous avez déjà retiré votre reçu », histoire de bien embrouiller notre malheureux ami, venu tenter de faire respecter son nom et d’éviter des complications administratives futures.

Entre deux thés, Mansour me fait part de son incompréhension. « J’ai fait refaire ma carte de résidence dont la validité, ainsi que tu ne le sais peut-être pas, n’est que d’une année. Après vingt années de bons et loyaux services en Mauritanie, un mariage, trois enfants, un prix Chinguitt et trois ouvrages publiés à la Librairie 15/21, c’est un peu cher payé, mais, bon, c’est ainsi. Cela dit, pourquoi, Seigneur de la simplicité, ne se contente-t-on pas de prendre mes 30 000 UM et de m’établir une nouvelle carte, sur les bases de l’ancienne ? Non, il faut que je poireaute, des heures et des heures, pour qu’on me reprenne photo et empreintes digitales ! Alors que la file de gens en attente est plus longue qu’un jour sans pain ! C’est vraiment du délire. Et l’on massacre, en plus, mon nom, sans que je ne puisse rien y faire… »

Oui, Mansour, je compatis. Et m’interroge sur le fiable. En français, ce sur quoi on peut compter, faire confiance, se fier. Il existe un concept à peu près équivalent, en hassaniya : صالح. Mais au rythme où les évènements et les gens se bousculent, à la porte de l’enrôlement, c’est très banalement qu’il y est transcrit « mahou saleh » (défectueux)… Bah ! Cela fait un quart de siècle qu’on attend la mise au point d’un logiciel de translation grapho-phonétique, également adopté par les services d’état-civil mauritanien et consulaires des pays non-officiellement-arabophones ! Ça fait du monde et la goutte d’eau du problème de Mansour se retrouve dans un océan de plaintes sénégalaises, maliennes, nigérianes, j’en passe et non des moindres… Quant aux 100 % Nous Z’autres, plaise à Dieu qu’ils n’aient jamais à voir avec un autre état-civil que le nôtre ! Ménage-toi, fils d’Abdel Aziz, la route est longue, à la poursuite de l’arche perdue…

 

feylili