Samba Thiam, président des FPC : ‘’L’échec du dialogue est plus imputable au pouvoir qu’à l’opposition’’

9 June, 2022 - 03:37

Le Calame: Le président du comité préparatoire des concertations a annonce, ce  2juin, l’arrêt du processus d’organisation du dialogue  dont le lancement officiel était pourtant donne pour imminent. Avez vous été surpris par cette annonce? Quelles sont selon vous, les raisons qui peuvent fonder la décision du président Wagf ?

Samba Thiam : Oui ,quelque  peu  surpris en effet  par  la forme ,c’est-à-dire de la façon  dont la décision ,unilatérale, a été  rendue publique . Ils  tentent de s’en tirer, à bon compte,  en faisant porter  le chapeau  à l’opposition, et à elle seule. Ce n’est pas très élégant, c’est le moins qu’on puisse dire. La réalité est un peu plus complexe que ça !

Quant au fond , je n’ai pas été vraiment surpris , parce que  je sentais la chose venir , au regard  de certains  indices …

 Vous avez d’abord  dû remarquer  comment ce dialogue  a été négocié … comme une prière. Puis, dès le début, le quiproquo sémantique surgi autour des termes concertations et dialogue  sur lequel l’Opposition, prompte aux  concessions, par essoufflement ou  lassitude , a cédé ! Ensuite ,la façon dont certaines questions , majeures  étaient traitées sous la table ,alors même que le dialogue se  profilait ...  Mais encore,  ce  ‘’ dialogue’’  n’a pas emprunté les voies-standard  habituelles, propres aux dialogue, bien souvent  …En effet , l’on sait , qu’en général , un dialogue  résulte de deux cas de figures : soit il émane de l’exécutif qui, après analyse froide et lucide d’une  situation politique tendue, juge de la nécessité d’en organiser un , entre les parties ; soit il découle d’un rapport de forces , favorable à l’Opposition qui l’impose au pouvoir. Or nous ne sommes ni dans l’un, ni dans l’autre  cas . A  tout cela sont venues s’ajouter  les claudications survenues à mi-parcours du processus, qui ont précipité sa fin. Vous comprenez à quoi je fais allusion, la Mauritanie a ses réalités, têtues. Mais, par-dessus tout, le plus déterminant des arguments  à mon avis, réside dans les  réticences pour ne pas dire les résistances du commandant en chef sur la question , qui n’ont  ,fondamentalement , pas varié à ce sujet ,du début à la fin ; l’absence, claire, de volonté politique réelle, affirmée ...

La sortie du coordinateur du Comité provisoire du dialogue n’a été , en réalité , qu’un prétexte , un faux alibi , pour se sortir d’une passe qu’ils avaient  empruntée ,contre leur  gré, rien de plus ! Si on devait situer les responsabilités de l’échec je dirais  qu’elles sont bien plus  imputables au pouvoir exécutif  qu’à  l’Opposition, même si ….

 

Des propos haineux tenus à l’endroit des Peuls de Mauritanie  et des menaces et invectives  contre certaines personnalités, à des arrestations. Que vous inspire cette atmosphère à la veille du démarrage des concertations politiques nationales ? Comment avez-vous réagi à la décision de la justice d’ouvrir une enquête puis de faire arrêter l’auteur de ces propos ?

-Concernant les propos haineux que vous évoquez -qu’il faut, ici, condamner sans équivoque- ils découlent du climat  délétère généré par l’acuité de tensions sociales créées par  trop d’injustices, trop d’inégalités, et dont le Président  ne semble pas prendre conscience. IL faut d’autant plus condamner ces propos qu’ils généralisent ;  or la généralisation est toujours abusive , excessive , car il n’y a pas de peuple , de communautés  ou de groupes  totalement bons ou totalement mauvais , totalement gentils ou méchants . Il y a des bons et des mauvais partout, des Justes partout…C’est donc une erreur de jugement ;  il faut incriminer le Système et non pas le peuple.

 Il n’empêche, la loi sur la ‘’protection de la personne du Président’’ ou sur la cyber criminalité, telle que formulée, consacre  un recul  grave et  net  de la démocratie , pour bâillonner les opinions et les libertés fondamentales ! On ne peut plus dénoncer des dérives sans risquer de se voir intimidé ou embastillé,  il n’y a pas de liberté d’association ,on ne peut  se réunir  encore moins  manifester , même la presse est sous pression, alors  dans quelle démocratie  sommes-nous ?

Un des acquis dont se prévalait la majorité et son Président , brandi à tout va , était l’apaisement du climat politique ;  ils viennent de griller cette  carte, la seule  dont ils pouvaient se prévaloir. L’apaisement politique est mort, et bien mort , de leurs propres mains  …Or, si nous pouvions être plus attentifs aux alertes à nos frontières, au tumulte et à l’agitation du monde qui nous parlent , plus qu’à tout autre, nous nous empresserions de sortir de cette voie sans issue ! l’Histoire jugera, elle jugera chacun de nous …

 

-Depuis des années, presque tous les acteurs expriment, à travers séminaires, colloques, conférences débats leur souci de trouver des solutions au  problème de l’unité nationale. Tous semblent d’accord pour que ce thème soit mis sur la table. D’abord, qu’est-ce qui justifie,  à votre avis cette espèce de regain d’intérêt pour cette thématique ? Ensuite, pensez-vous que de ces concertations, pourraient sortir des solutions consensuelles autour des questions nationales ?

Je pense que s’il y a un regain d’intérêt pour  la question de l’unité nationale ces derniers temps,  c’est sûrement  qu’elle est devenue d’une certaine acuité, problématique  et source de tensions plus vives . Pour le reste je crois y avoir déjà répondu , en ajoutant encore ceci , que  même s’il sortait de ces assises des solutions consensuelles, je doute qu’elles soient appliquées , pour les raisons soulignées  plus haut .

 

-Avec quel sentiment avez–vous  décidé d’aller à ces concertations ?  Avez-vous décelé chez les autres acteurs, la détermination de trouver des solutions définitives aux problèmes du pays ? 

-J’ai expliqué mes réserves, dès le début, sur la façon dont ce ‘’dialogue’’ a été négocié, et amorcé… Dès le départ, j’étais donc sceptique quant à l’issue ,puisque le bon sens me dit que tant que le chef suprême n’a pas pris conscience de l’existence et de l’acuité des problèmes , de leur danger, tant qu’il n’a pas perçu  l’intérêt ou la nécessité d’un dialogue autour , il serait utopique de penser  qu’il se serait encombré de solutions, pensées ailleurs, et pour des questions qui n’existaient pas à ses yeux ! Il n’y a pas de crise disait-il, souvenons-nous en ! Il  ne servait donc à rien de s’engager sur ce chemin, sauf  que  chaque parti politique a ses réalités …Si nous y sommes allés , c’était  pour nous en servir comme d’une tribune , mais  nous étions  sans  illusions.

 

Au cours d’une récente conférence de presse, le président de IRA, Biram Dah Abeid a comparé les prochaines concertations au Congrès d’Aleg de 1958. Que vous inspire cette comparaison ?
-Je crois que chacun a la liberté de se livrer à des comparaisons qu’il veut  et  comme il veut…  Avec des arguments choisis et sous l’angle désiré. On peut donc concéder , que sous certains angles , cette ‘’ comparaison soit raison’’,  entre ce dialogue et le Congrès d’Aleg ... A cette différence, toutefois , qu’à l’époque certaines franges  n’étaient pas dans l’équation  dont elles  sont ,aujourd’hui , un  paramètre  essentiel  …

Pour ma part, je me serais plutôt saisi de ces assises pour rattraper l’erreur d’Aleg : fonder un pays sur la base d’un vivre ensemble, volontairement choisi  entre  des entités différentes , mais sans en définir, clairement, les bases et les contours . ..

 

Pendant que les acteurs politiques s’activent autour de la tenue du dialogue, le gouvernement s’attèle quant à lui à éponger le passif humanitaire avec certaines organisations des veuves, des orphelins, des rescapés et des rapatriés, comme il prépare une loi d’orientation pour la réforme du système éducatif, ceci après la tenue des assises sur l’école. Ces deux questions avaient été  retenues parmi les thématiques des  concertations désormais suspendues. Qu’en pensez-vous ?

- Il n’y a pas  que le dossier de l’éducation ou du ‘’passif’’. Et c’est bien pourquoi on ne pouvait attendre grand-chose d’un projet de dialogue, complètement désossé, au départ ...

 

-Que vous inspire la gestion du dossier de la décennie dont on enregistre une avancée dans la mesure où les personnes présumées viennent d’être déférés devant un tribunal pour être jugé? Pensez-vous que le travail de la CEP de l’Assemblée nationale a permis de prévenir la gabegie ?

- N’allons pas trop vite en besogne, au vu des hésitations, des demi-mesures, des atermoiements  auxquels on nous a habitués .Il ne faut croire que ce que l’on tient en main…

Prévention de la gabegie dites-vous ? Avec des choses , toujours faites à moitié ou de travers  et tous ces  atermoiements , vous y croyez vous ?

 

Quelle évaluation vous faites de la gouvernance du président Ghazwani ?

- Si j’entends bilan, je dirais décevant ,au regard des attentes et de l’immense espoir suscité auprès , tant des populations que des politiques, au départ du mandat. Inégalités,  injustices, discriminations  perdurent, ne le perdons pas de vue .

 

Dans l’une de ses déclarations, le président de IRA Biram Dah Abeid a affirmé que la candidature de feu Kane Hamidou Baba soutenu par la Coalition Vivre Ensemble (CVE) dont le FPC, votre parti, était membre avait pour objectif d’affaiblir sa candidature à la présidentielle. Un commentaire?

Je trouve cette question anachronique  et la remarque quelque peu déplacée … Celui qui aurait été le mieux  à même d’y répondre  c’est certainement feu Kane H Baba lui-même , aujourd’hui disparu ! Paix à son âme. Il s’y ajoute que je n’aime pas  revenir sur des questions qui renvoient au  passé et de surcroît  polémiques ; ce n’est pas productif ... Cela dit, il faut  quand même rappeler que feu KHB s’est toujours présenté aux élections  présidentielles, pour son propre compte , avec d’autres concurrents . Pourquoi en serait -il  autrement  pour cette élection dernière? Pourquoi, même s’il  le fit  à travers une coalition, cela devrait-il être dirigé contre quelqu'un ?

L’humilité, disait Mani - personnage de A Maalouf-‘’  c’est ‘’de savoir  parfois rire de soi’’!

 

-Au fait, où en est votre dossier administratif ? Pourquoi ne prenez –vous pas contact  avec  la CNDH ?

-Toujours au point mort ... Je n’ai pas un dossier mais deux, politique et administratif …

Le dossier politique - contentieux avec l’Etat- depuis 2015  autour du récépissé des FPC , est toujours en souffrance à la Cour suprême qui, pourtant,  dénoue régulièrement des contentieux du même genre .Puis le dossier administratif  relatif à  mes droits à pension , que l’on continue de me  refuser …Dossier qui avait été engagé par le ministre de la Fonction publique sortant , l’ arrêté devant me régulariser ,lancé dans le circuit , mais reste bloqué au niveau de la législation ,depuis plusieurs mois . Il y a comme un retour de l’ère  de Abdel Aziz qui avait limogé un Directeur général de la fonction publique pour avoir  tenté de me remettre dans mes droits, légitimes…De tous les prisonniers politiques de Walata de 1986 , il faut  le rappeler, je reste le seul à qui on refuse ce droit…En raison  de ma posture politique  de penseur libre et d’honnête opposant.

Oh, c’est  fait  pour la CNDH !  J’avais saisi son Président, voilà plus   de deux ans, mais rien… J’avais toujours pensé, honnêtement, que ce président  était à équidistance, vraiment  indépendant. Eh bien !  Je découvre, au vu de cette expérience et bien d’autres, qu’il choisit ses dossiers, manifestement...

Propos recueillis par Dalay Lam