Le jeudi 4 Avril 2021, la commission des marchés du ministère de l’Equipement et des Transports examinait et approuvait le rapport d’analyse des offres techniques et financières relatives aux travaux de construction et d’aménagement des carrefours dénivelés de Nouakchott. Ladite commission avait attribué le marché du pont de Haye Sakine à une société chinoise pour un montant de 206.401.785 MRU.
Quatre responsables dudit ministère apposaient leurs signatures au bas du procès-verbal formalisant l’accord et donnaient ainsi le feu vert au gouvernement pour se lancer dans une affaire… rocambolesque – en fait, une véritable escroquerie et arnaque – dont les conséquences se révèlent aujourd’hui graves. Ahmedou Saleck ould Khlil, (MRPM), Yacoub ould Haïbelty, (secrétaire permanent de la CMD), Ahmedou ould Hamed, Aboubecrine ould Mohamed Ahmed et Mohamed El Moctar ould Sid’Ahmed – ces deux derniers membres de la commission – avaient pris devant l’histoire une lourde responsabilité…
Si les quatre responsables étaient habilités à valider la sélection des bénéficiaires de marchés publics juteux, c’était en tout cas la première fois qu’ils apposaient leurs signatures pour la construction d’un pont de dénivelé, une première dans le pays. La société choisie avait donc pu se dissimuler derrière des mensonges de diversion, on la connaissait peu…
Histoire de comprendre… l’incompréhensible
Nous sommes en Avril 2021, vingt mois après l‘arrivée au pouvoir d’Ould Ghazwani. Le gouvernement mauritanien veut se lancer dans les grands travaux d’émergence. Les moyens sont disponibles et la volonté y est. De son côté, la Chine est présente en Mauritanie depuis les premières années de l’indépendance et ses activités de coopération se sont petit-à-petit transformées en percées importantes sur les marchés publics donnant à ses entreprises des opportunités d’actions, parfois sous forme d’aides bilatérales diversifiées.
À cette même date, une de ces sociétés, Guangsi Yuanda, véritable multisectorielle de prestations de services – décorations, travaux d’étanchéité, construction, aciérie, taille de pierres, fourniture de murs de rideaux – suffoquait financièrement et ses activités étaient interrompues, faute de moyens. Enregistrée le 8 Mai 2012 sous le numéro 450111200068955 du registre d’entreprises chinoises de la province de Nanning, elle était désormais classée « à risque ».
Le 17 Mai 2022, douze mois après l’attribution du marché et presqu’autant après la pose de la première pierre (Juin 2021) par le chef de l’État Ghazwani, le nouveau ministre de l’Équipement et des transports Moctar ould Ahmed Yédaly sifflait la fin d’une comédie si longtemps couverte (au moins…) par son prédécesseur Mohamedou ould M’Haïmid aux commandes d’un des départements les plus fournis en cadres corrompus de toute l’administration mauritanienne.
Société-écran, arnaque ou corruption « de charme » ?
L’appel d’offres avait été lancé le 20 Novembre 2020 sur le site Beta-Conseil, par une annonce signée du DGA des Infrastructures de transport routier Mohamed Lemine ould Eïde. La course internationale était ouverte à des entreprises supposées qualifiées par l’exécution d’au moins trois constructions de pont ou d’échangeur au cours des dix dernières années, pour une valeur minimale de trois milliards MRU. Avec cette contrainte supplémentaire de pouvoir présenter un chiffre d’affaires moyen de cinq milliards MRU pour des marchés exécutés entre 2015 et 2019.
Comment donc cette Guangsi Yuanda « à risque » avait-elle pu emporter ce gros marché et obtenir une avance pour l’exécution du travail, avant de se retrouver poussée au divorce douze mois seulement après la célébration de la noce (pose de la première pierre), où était invité le président Ghazwani en personne ?
Des chiffres et des lettres
Dans cette affaire, il y a quelque chose qui sonne faux. D’abord le procès-verbal d’attribution du marché N°1/2021/CMD/MET. « L’an deux mille vingt (2020) et le jeudi 4 Février 2021 à 13 heures 00 minutes », peut-on déjà lire en son paragraphe 1, « s’est tenue une réunion en session ordinaire sous la présidence d’Ahmedou Salek Ould Khlil […]». Premier cafouillage sur la date. Le procès-verbal poursuit avec la liste des présents : « Ahmedou Saleck ould Khlil, Yacoub ould Haïbelty, Ahmedou ould Hamed, Aboubecrine ould Mohamed Ahmed et Mohamed El Moctar ould Sid’Ahmed ». Mais seul quatre d’entre eux ont signé le procès-verbal : Ahmedou Saleck ould Khlil, Yacoub ould Haïbelty, Ahmedou ould Hamed et Aboubecrine ould Mohamed Ahmed. Pourquoi donc Mohamed El Moctar ould Sid’Ahmed cité présent à la réunion était-il « absent» à la signature du procès-verbal ?
Par ailleurs, le document indique que « le lot N°1 – Haye Sakine – a été attribué à Guagsi Yuanda ». Or le nom réel de la société est Guangsi. Mais au-delà même de cette erreur peut être due à une faute de frappe, ni le nombre de soumissionnaires, ni leurs noms, ni quand l’ouverture des plis avant été effectuée en présence de qui n’étaient mentionnés. Or il s’agissait tout de même d’engager le pays pour une bagatelle de plus de deux milliards MRO ! L’ordre du jour, en première page, s’intitulait : « Examen du rapport d’analyse des offres techniques et financières relatives aux travaux de construction et d’aménagement de carrefours dénivelés à Nouakchott » ; mais qui avait établi ledit rapport technique ? Quand s’était réunie la commission qui l’avait rédigé ? Quelle était la référence de celui-ci ? Aucune de ces informations capitales n’étaient données…
Quant à l’appel d’offre lui-même mis en ligne sur le site BETA-conseils, il comporte également quelques curiosités. Déposé le 26 Novembre 2020 (un jeudi) pour une date-limite de réponse fixée au 14 Janvier 2021, il présentait une fourchette très étroite (49 jours) pour d’éventuels candidats forts d’une maîtrise d’art manifestement indisponible sur le marché mauritanien. Ensuite, le dossier d’appel d’offres ne pouvait être obtenu qu’après versement au Trésor d’un montant de 20.000 MRU. Soit même pas 0,0001 % du volume du marché ! Et, cerise sur le gâteau, la soumission devait être accompagnée d’une garantie de cinquante millions MRO. Une broutille pour une société déclarant, comme dit tantôt, un chiffre d’affaires moyen de cinq milliards MRU entre 2015 et 2019.
Cela signifiait qu’aussi peu crédible et solvable qu’il fût, le bénéficiaire du marché pouvait obtenir une avance pour le démarrage des travaux… et ne rien faire. Dans le cas du chinois Guangsi Yuanda, jusqu’à un milliard MRO… puis ne pas respecter ses engagements, « siffler » le montant payé d’avance et se dérober, incapable de tenir ses engagements. Une situation au demeurant « banale » en Mauritanie avec des entreprises-cartables «agréées » par les bases de données des ministères de l’Hydraulique, de l’Équipement, de l’Énergie et de la Santé, plus grands départements pourvoyeurs de fonds pour des sociétés-écrans derrière lesquelles se cachent le plus souvent des responsables anonymes ou des politiciens proches du pouvoir.
Quand la corruption et le laxisme commencent à taper sérieusement sur les nerfs du système
Qui est donc cette entreprise chinoise qui a fait une première entrée, ratée, dans le circuit des attributions des marchés publics ? On est en droit de se poser la question, parce que c’est la première fois dans l’histoire des « attributions de marchés même souvent très controversées », que des chinois jouent à la « société-cartable ». On est bien en droit de se demander donc pourquoi. Les Chinois (sociétés réelles ou écrans pour des personnalités mauritaniennes) ont toujours respecté leurs engagements. Pourquoi donc, justement cette fois où, très critiqué pour la mauvaise gestion des finances publiques par ses proches collaborateurs et les grands décideurs (ministres), le président tenait à donner une preuve matérielle de sa volonté à changer le visage de la capitale par des projets émergeants et innovants, le marché public se retrouve-t-il frappé par ce cas « hors normes » mauritaniennes ?
Sabotage délibéré d’opposants déguisés en entrepreneurs chinois vendant, dans leur pays, des rideaux et taillant les pierres des pavés pour survivre ? En tout cas, rien ne justifie vraiment l’incapacité d’une société chinoise à réaliser de gros ouvrages selon les règles de l’art : les Chinois sont les meilleurs dans le domaine des ponts et chaussées. Même les pays les plus avancés le reconnaissent et font appel à leurs savoir-faire en avance d’une dizaine d’années sur leurs propres technologies. (À suivre).
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant