Les récentes déclarations de son Excellence monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazwani, président de la République, concernant les insuffisances dans la gestion des affaires du pays – une importante question – m'ont poussé à apporter humblement la présente contribution.
Mais il convient d’abord de rappeler les trois étapes de gouvernance de notre pays : dans la première, le commandement était civil, la rigueur et le respect de la chose publique permirent de fonder puis consolider des institutions de l'État, en réalisant de grandes infrastructures comme les ports, les aéroports et les routes, tout en assurant la gratuité des services sociaux d'éducation et de santé. Politiquement troublée par une série de coups d'État militaires, la seconde fit émerger une classe dirigeante peu préparée et guère engagée à poursuivre l'exécution des projets planifiés par le régime civil déchu. Quant à la troisième, elle fut marquée par deux engagements de la Mauritanie : le premier dans l'ajustement structurel et ses corollaires de privatisation de certaines sociétés de l'État, synonyme de glissement de monopole public vers un monopole privé sans qualifications requises á même de redynamiser leur gestion ;le second, toujours en cours, c'est le processus démocratique mal conduit en ses principes et responsable, en conséquence, de l’égarement de nos valeurs, du réveil du régionalisme, de l’ethnicisme, du tribalisme et du clanisme que nous croyions avoir enterrés sous la première république. Dès la mise en œuvre de ce processus, la pratique des différents régimes consista à soudoyer des hommes politiques acquis au bon vouloir du locataire du Palais présidentiel, en mettant à leur disposition toutes les opportunités offertes par l'État : marchés publics, recrutement et nominations... Cette pratique risque bel et bien de former une dynastie politique maîtresse de toutes les potentialités économiques du pays, réduisant au strict minimum les égalités de chances des citoyens.
Incivilité
L'inobservation des normes, la négligence, la légèreté et le mépris de la chose publique constituent le dénominateur commun entre la majorité des responsables de cette dynastie. L'éclairage public allumé en permanence, les eaux du vétuste réseau de la SNDE accumulent partout les mares insanes ; les voies publiques sont bloquées par les marchandises et les dépôts de briques déversant des tonnes de poussière sur les têtes des citoyens… : cela ne soucie aucun de ces nouveaux maîtres. Tous ces comportements ont atteint leur paroxysme ces dernières années avec l'outrance envers les symboles de la République : trois révisions constitutionnelles en douze ans : 2006, 2012 et 2017 ; drapeau et hymne national transformés, édifices publics rasés ou vendus aux moins offrant. Ces chamboulements ont mobilisé des montants faramineux du Trésor public qui auraient dû être investis dans le social.
Force est de constater que l'impunité des responsables de malversations et d'enrichissement illicite, en vogue depuis le lancement du processus « démocratique » dans une course effrénée au profit, est une incitation à la dépravation de la société pesant lourd sur l'équité et la cohésion sociale. De même la dépréciation des postes de responsabilité, suite à leur attribution sans mérite, se répercute négativement sur la perception et la considération de la puissance publique, minimisant son caractère régalien intangible. Tous s'accordent à dire que la déliquescence des valeurs et des institutions a atteint un seuil intolérable. La crédibilité de l'État et la justice sociale en pâtissent cruellement. Tant d’opportunités perdues pour le développement du pays !
Des résultats hélas probants
Associée à une libéralisation incontrôlée de l’économie, la mise en œuvre du processus démocratique a ainsi débouché sur une dynastie politique peu dévouée á la chose publique ; des institutions déconnectées de leur mission principale à servir la nation en toute impartialité ; une cohésion sociale fragilisée par des discours racistes et séparatistes ; le tout figé par le même type de gestion économique fondée voici soixante ans et qui consiste à extraire et exporter les matières premières sans la moindre valorisation, malgré le manque á gagner que cela nous fait subir, en termes de rentes et d'impacts.
Serait-ce qu’il faille bannir la démocratie là où le processus démocratique n'a pas amélioré la gouvernance ? La réponse à cette question pourrait jaillir du dialogue politique en gestation, sison bon cadrage visant à résoudre certaines questions, notamment économiques, s’engage à assurer son succès. Il pourrait ainsi en sortir un pacte de citoyenneté contraignant, mettant fin à tous les abus racistes et extrémistes, sanctionnant avec toute la rigueur requise tous ceux qui sèment la haine et la division.
Les pays se construisent et se développent avec ou sans démocratie et le sous-développement n'est pas une fatalité : il est réversible, quelque soit son degré d'intensité, il suffit pour cela de parvenir à mettre en cohérence les ressources et les efforts, en réactualisant les institutions par le choix judicieux de leurs responsables sur la base du mérite. Ainsi l'administration redeviendra-t-elle un véritable outil de développement à même de réunir les conditions de l'émergence économique. Celle-ci requiert un engagement résolu dans la transformation et la valorisation des ressources, pour ordonner et partager au mieux la richesse et le bien-être. Je conclurai simplement en espérant que ce cri de cœur lancé, en ce moment crucial, au chevet de notre société en pleine déroute de ses mœurs, soit entendu et pris en considération par toutes les bonnes volontés afin d’éviter à notre pays les dérives sociales et l'instabilité.
Mohamed Ahmed Cheikh
Ingénieur de Pêche