Mohamed ould Chighali nous propose une nouvelle chronique, dédiée, espère-t-il, à la mémoire de feu Habib ould Mahfoudh. Des « Chighalides », donc, comme il nous propose de nommer ce travail .À nos fidèles lecteurs d’en juger…
OuldHaidalla
À 82 ans, il reste et restera sans doute le chef d’État mauritanien dont le nom ne finira jamais de résonner en écho. Chétif comme un gardien de troupeau de chameaux des fins fonds des plaines infranchissables de Lih’mamy du Tris-Zemmour, tout le monde se souviendra longtemps de ce que disait de lui Mohamed ould Meydah: « Ould Haïdalla, ikh’yar erajaala ».Quatre mots qui disent beaucoup sur un homme hors pair. Né à Port-Étienne, une capitale économique qui respire l’air du temps depuis l’Aéropostale de Latécoère des célèbres pionniers Jean Mermoz et Antoine de Saint- Exupéry, Mohamed Khouna ould Haïdalla est un guerrier de pure souche.
Derrière son nom, le plus célèbre de ceux de tous les chefs d’État qui se sont passés le témoin à la tête de ce pays à histoire variante et impulsive, se cache un homme qui n’a jamais été égalé, comme le disait dans sa célèbre chanson rythmique Mohamed, le James Brown mauritanien, descendant du chantre de l’épopée de musique maure Moctar ould Meydah.
Puissant physiquement, d’un niveau intellectuel très élevé, téméraire, honnête, de très bonne foi religieuse, Mohamed Khouna ould Haïdalla est un officier d’exception. Elève au lycée de Rosso, baccalauréat scientifique obtenu à Dakar en 1961, il est l’un des plus brillants élèves sortants de la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Il est aussi l’un des premiers gradés du pays. Officier descendant des Leroussiyines, (une distinction aristocratique répandue dans le Nord du pays où cette composante de sa puissante tribu se déplace librement de la pointe Nord de la Mauritanie à la pointe Sud de l’Algérie), Mohamed Khouna ould Haïdalla a séduit l’histoire de notre pays qui retient beaucoup de lui.
Très humble, très pieux, très honnête, très brave, téméraire, celui qui a rendu des officiers célèbres jaloux de sa popularité immaculée est l’épisode de l’histoire de la Mauritanie écrite en 4 ans, 11 mois et 8 jours. Sentinelle du pouvoir entre la relève de Mohamed Mahmoud ould Ahmed Louly et celle de Maaouiya ould Sid’Ahmed Taya, Mohamed Khouna ould Haïdalla est malheureusement aussi passé de moments de grande gloire à des moments d’enfer.
Quand l’auto-stop vous fait découvrir beaucoup
Quand j’ai vu pour la première fois Mohamed Khouna ould Haïdalla, il était chef d’état-major. J’étais en compagnie d’un ami d’enfance, un excellent officier de la Gendarmerie qui allait plus tard, (par coïncidence de l’histoire) assurer sa sécurité présidentielle. Ce jour-là, je revenais d’une mission de l’intérieur du pays. Peu avant 18 heures, j’avais vu un OVNI voler à la verticale de Ouad Naga. Comme j’étais en voiture de service et que je ne pouvais pas aller voir l’engin spatial qui amorçait une descente loin sur les dunes, dès que je suis entré en ville j’en ai parlé à mon ami Leytou ould Saïd un « gros négro » né d’une fusion d’ADN d’une noblesse aristocratique croisée à une descendance d’esclaves.
Il n’a pas hésité un moment à me suivre dans mes recherches de la NASA. J’étais descendu de la voiture de mission pour monter dans sa voiture de commandement, une jeep militaire américaine. Nous sommes retournés à Ouad Naga et nous avons cherché longtemps dans une zone que je croyais être le lieu de l’atterrissage de l’objet volant. C’était chercher une aiguille dans une botte de foin. Des dunes, puis des dunes et encore des dunes, rien que des dunes mais pas la moindre trace de l’engin de l’espace qui avait poussé notre curiosité à ratisser une zone immense envahie par des dunes de sables mouvants. Finalement bredouilles, nous avons arrêté les recherches. Heureusement d’ailleurs, puisqu’un peu plus tard la jeep était tombée en panne mais, chance pour nous, juste aux abords de la petite localité de Ouad Naga blottie entre deux immenses dunes.
Après des tentatives répétées de dépannage échouées, la ferraille achetée probablement en Espagne lors de la guerre du Sahara nous avait lâchés. Chance pour nous heureusement, à quelques mètres seulement du goudron et en ville. Le lieutenant Leytou avait décidé donc de laisser la jeep là pour envoyer le lendemain une logistique la récupérer.
Nous nous sommes mis alors au bord de la route pour faire du stop. Les véhicules passaient les uns après les autres sans s’arrêter. Soit parce qu’ils ne voulaient pas perdre du temps, soit, peut-être aussi, parce que, comme le lieutenant Leytou était habillé en treillis, cela pouvait les laisser penser que nous n’avions pas d’argent pour payer le transport sur le trajet qui nous séparait de la ville. Il commençait à faire tard lorsqu’un véhicule type familial qui roulait vite s’était arrêté au sommet de la montée de la dune. Le chauffeur était descendu du véhicule et d’une voix forte et autoritaire avait crié en français : « si vous voulez être amenés, vous avez intérêt à bouger ! ».
Nous avons couru et arrivés au niveau du véhicule, le lieutenant Leytou s’est mis au garde-à-vous, les fesses bien serrées face à un homme en boubou, tout en murmurant : « mes respects, mon colonel ». J’avais reconnu tout de suite Haïdalla à sa grande taille et sa petite barbe de « frère musulman ». À l’époque, Ould Haïdalla était chef d’état-major. Il était en compagnie de sa femme. Après avoir demandé à ce que nous fassions bien attention à ne pas verser le lait contenu dans des bidons recyclés, il n’avait plus pipé un seul mot. À cette époque, Haïdalla ne connaissait pas le lieutenant Leytou.
Arrivé au poste de police de l’entrée de Nouakchott, le colonel avait arrêté sa voiture et nous avait demandé de descendre en nous disant, toujours d’un ton autoritaire mais poli : « Descendez et débrouillez-vous maintenant pour rentrer en ville ».Je ne m’expliquai pas pourquoi il nous avait parachutés à 7 ou 8 kilomètres de la ville mais je n’avais pas cherché à comprendre. C’est plus tard que j’avais compris. Comme mon ami Leytou était habillé en tenue de gendarmerie, il l’avait largué au milieu des siens au poste de contrôle.
Le colonel Haïdalla ne me connaît pas. S’il me connaît, c’est peut-être de mon nom d’animateur de programmes de Radio-Mauritanie des années 70. Mais moi, en tant que bon journaliste, (ce que je suis effectivement), je le connaissais très bien comme personnalité publique et militaire. Je savais par exemple qu’il était l’un des officiers les plus brillants de notre armée nationale, qu’il était l’un des plus pieux, qu’il était l’un des plus honnêtes, l’un des plus braves et que surtout, il était l’un des plus téméraires.
Ould Haïdalla est peut-être le seul officier mauritanien qui a en lui toutes ces qualités et vertus réunies, qualités qui manquaient à de nombreux officiers dont certains, jaloux de lui, avaient propagé durant la guerre du Sahara beaucoup de fausses rumeurs pour dire qu’il était un sahraoui, qu’il était un Polisario et qu’il était « infiltré » dans les rangs de l’armée comme agent de renseignements pour les combattants du Front Polisario. Mais tout ce qu’on disait de lui, très cynique parfois, à l’époque, d’une part ne lui avait pas brisé le moral mais surtout ne l’avait pas empêché de remporter de très belles batailles contre le Polisario dans des conditions extrêmement difficiles, pendant que les officiers qui le dénigraient prenaient le thé le soir dans des cercles fermés de femmes de mœurs légères, des certificats médicaux dans les poches.
Un religieux devenu sanguinaire
Une année plus tard ou plus, je ne sais plus, en tous cas après l’épisode de Ouad Naga, le 4 Janvier 1980, le colonel Haïdalla est arrivé au pouvoir pour présider le Comité Militaire de Salut National. Il devenait de facto chef de l’État. Il était auparavant Premier ministre, succédant au lieutenant-colonel Ahmed ould Bouceïf, mort à la « Gérard de Villiers » dans un accident d’avion militaire au large de Dakar, quelques jours après une déclaration faite sur les antennes de RFI dans laquelle il avait dit que : « Ould Daddah, le père de la Nation », ce sont ses propres mots,« méritait tous les égards et un retour digne dans son pays ».
En prenant le pouvoir, Ould Haïdalla remplaçait Mohamed Mahmoud ould Ahmed Louly à la tête de l’État. Ce dernier n’avait occupé le poste que pendant 210 jours seulement. Parce qu’Ould Ahmed Louly ne faisait pas tellement l’affaire de certains de ses compagnons d’armes. Il était très pieux, très honnête et spirituellement immaculé.
Pour certains officiers débarqués du front « fauchés » qui avaient certainement pour priorité de voler les maigres ressources de l’État, la présence de cet homme intègre à la tête de l’État constituait un risque élevé de manque à gagner. Pour eux donc, la place la mieux indiquée pour Ould Ahmed Louly était plutôt sur un tapis de prière aux premiers rangs d’une mosquée de la place. C’est peut-être d’ailleurs pourquoi Ould Ahmed Louly, après sept mois seulement à la tête de l’État, s’était retiré discrètement du pouvoir pour se consacrer uniquement à la dévotion d’Allah. Il a fini ses jours en perpétuels déplacements entre son domicile et la grande mosquée de Nouakchott. Maintenant, certainement, il se repose en paix au Paradis, loin des querelles intestines interminables des étoilés de l’armée qui se perpétuent depuis leur arrivée au pouvoir en 1978.
Un président pas comme les autres
Quand Ould Haïdalla était arrivé au pouvoir en 1980, ses intentions étaient claires. Il voulait changer complétement le paysage politique et économique du pays. Mais malheureusement, en 4.768 jours de pouvoir, Mohamed Khouna, le brillant officier, l’honnête, le pieux avait été complétement « métamorphosé » à cause des tiraillements dans tous les sens des forces politiques et militaires centrifuges dont les intérêts n’étaient jamais les mêmes. C’est pourquoi, c’était le chef de l’État qui a été le plus visé par des tentatives de coups d’État. Coincé entre une position permanente sur la ligne de mire de dangers multiples qui le guettaient et une volonté politique de créer un environnement démocratique aux « ingrédients » civils et militaires, Ould Haïdalla avait été contraint –pour sauver sa peau – de transformer la Mauritanie en une Birmanie locale.
Depuis que j’avais tout appris sur ses prouesses militaires, son amour pour sa patrie, pour notre religion, son honnêteté morale et intellectuelle, j’aimais bien Ould Haïdalla pour ce qu’il était et pour ce qu’il faisait. Mais à la fin de son régime je ne l’aimais plus du tout. Tiraillé par des courants différents d’affiliations tribales et communautaires, différents d’obédiences politiques, différents d’intérêts économiques mais aussi par de multiples courants militaires à souches variantes, Ould Haïdalla était pris dans un engrenage terrible et dans des conjonctures politiquement, socialement et militairement extrêmement difficiles et complexes à gérer.
Le 16 mars de tous les malheurs.
Comme un malheur ne vient jamais seul, le 16 Mars 1981, une tentative de coup d’État échoue. Quatre des officiers qui avaient pris part à cette tentative – pour certains militaires et certains politiciens : « importée » – sont condamnés à mort le 24 Mars 1981 par une « Cour criminelle » très criminelle et sont exécutés. L’exécution du lieutenant-colonel Ahmed Salem ould Sidi – un officier d’une extrême générosité de cœur – d’Abdel Kader ould Bah, Kader – un pilote de guerre d’une témérité jamais égalée – de Niang Moustapha, un brillant officier, et de Doudou Seck avait bouleversé toute la Mauritanie à l’époque. Sous les balles du régime d’Ould Haïdalla étaient tombés trois hommes que je respectais beaucoup et pour lesquels j’avais tellement d’admiration. (Je dirais pourquoi dans une autre Chighalide).
Ould Haïdalla, mon idole que j’avais commencé à détester
Depuis que j’avais appris que le chef de l’État Ould Haïdalla avait rejeté le recours en grâce des condamnés à mort ordonnant que la sentence soit « exécutoire immédiatement », un sentiment de haine à son égard était monté en moi de plusieurs crans. Ce sentiment de « haine » pour lui et de dégoût pour sa décision « criminelle » prise sans appel faisait que, pour moi, le brillant ancien élève de Saint-Cyr, l’homme qui avait fait abolir l’esclavage en 1981, celui qui était intervenu en personne sur le terrain pour aider les éleveurs du Brakna à sortir du péril qui menaçait le peu de bétail qui leur restait lors de la grande sècheresse des années 80, n’était plus qu’un chef d’État sanguinaire. C’est pourquoi je vais vous raconter l’anecdote de cette Chighalide.
Un jour, j’étais avec un ami. Un grand responsable. Il m’avait demandé de l’accompagner au Ksar chez un ami à lui qui invitait d’autres amis pour un casse-croute à l’agneau farci. Quand nous sommes arrivés chez son ami – un aristocrate et très riche homme d’affaires dont je vais taire le nom – il y avait dans le grand salon meublé de canapés italiens somptueux une trentaine d’hommes qui, il me semblait, commentaient l’actualité nationale. C’est ce que je m’étais dit en tout cas, parce qu’à ma vue, l’un deux avait crié : « Ah ! Voilà Chighali, le grand journaliste ! Il va nous dire ce qu’il pense d’Ould Haïdalla ». Et le monsieur avait ajouté : « le tajine sera prêt dans quelques minutes. En attendant donc, tu peux nous donner ton avis de journaliste sur les derniers événements survenus dans le pays ». Ça tombait bien pour le tajine, puisque j’avais une faim de loup, mais ça tombait bien aussi pour le commentaire, parce que, pour moi, c’était l’occasion rêvée de cracher « mon venin » sur le président Ould Haïdalla. Je connaissais certains des invités et pas d’autres. Juste le temps de poser mes fesses sur le canapé et je lui ai répondu en disant : « Pour moi, Ould Haïdalla n’est ni plus ni moins qu’un sanguinaire. Il doit céder le pouvoir avant qu’on le lui fasse céder ».
De l’agneau farci pour moi et moi tout seul
Cinq minutes après mes propos dénigrants, les invités qui attendaient l’agneau farci se sont retirés les uns après les autres, chacun prétextant qu’il s’était souvenu qu’il avait quelque chose d’urgent à faire. Quand le tajine a été servi, il n’y avait plus dans le salon que le propriétaire de la maison, très embarrassé par ce que j’avais dit et mon ami qui commençait à suer à cause des propos très osés que j’avais tenus en public. Tous les hommes qui étaient invités au tajine s’étaient éclipsés parce qu’ils craignaient que mes propos soient rapportés à la Gestapo d’Ould Haïdalla, qui était devenue une police plus répressive que celle de la Guinée de Sékou Touré à son époque.
Effectivement à la fin de son régime, Ould Haïdalla avait lâché un nombre impressionnant de « chiens policiers » qui passaient leurs longueurs de journée à renifler l’odeur des opposants du régime qui étaient infiltrés partout, dans les effectifs militaires, dans la classe politique, dans la presse et surtout dans les mouvances idéologiques arabes et islamiques. Même si, encore aujourd’hui, j’ai beaucoup de respect et d’admiration pour cet homme qui a été malgré lui«métamorphosé » par les résidus politiciens du Parti du Peuple Mauritanien (PPM), et qui était soutenu par les très nombreuses masses des Structures d’Éducation des Masses du capitaine Braïkaould M’Bareck (descendant d’esclave sans peur et sans recul), jusqu’à ce jour, quand je regarde OuldHaïdalla, il me semble voir réverbérer sur son visage celui de feu Ahmed Salem ould Sidi, une noblesse imprégnée denoblesse, dont je n’oublierais jamais le profil d’excellent officier dans les veines duquel circulait le sang d’une grande famille émirale de chez nous.
Mohamed Chighali