Selon les conclusions de monsieur Tomoya Obokata, rapporteur spécial de l'ONU sur les formes d'esclavage, la Mauritanie « a accompli d'importants progrès » mais « l'esclavage, ainsi que le travail forcé et le travail des enfants y persistent. […] Comme en d'autres régions du Monde, ces pratiques ont des dimensions à la fois ethniques et liées au genre».
Parmi les défis que le rapporteur a identifiés, le fait qu'il y ait de « très bonnes lois en Mauritanie mais qu'elles ne sont pas mises en œuvre efficacement au quotidien ». Le diplomate de l'ONU pointe du doigt « une réticence persistance – parfois un refus – de certaines autorités à enquêter et poursuivre [devant la justice] les cas d'esclavage et pratiques similaires ». Il déplore également que le « manque de moyens » des tribunaux, « les longs délais et les peines trop légères par rapport à la gravité des faits », soulignant que de trop nombreuses affaires se « règlent à l'amiable » plutôt que devant la justice.
Monsieur Tomoya Obokata bouclait vendredi une mission de deux semaines en Mauritanie où l’esclavage existe toujours, selon des ONG, malgré son interdiction officielle. La pratique est pourtant assimilée à un crime contre l'humanité dans la Constitution mauritanienne. Le rapporteur de l’ONU a dit avoir rencontré durant son séjour le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani, des diplomates et des membres de son gouvernement, des ONG anti-esclavagistes, des défenseurs des droits humains, des victimes de l'esclavage et des parlementaires. « Le président mauritanien », a-t-il noté, « a reconnu que la négation de la survivance de l’esclavage était une mauvaise approche ».
Et d’ajouter que celui-ci l’a assuré que « la lutte contre l’esclavage nécessite de traduire en justice les auteurs de crimes y afférant et de soutenir les mesures économiques et l’intégration sociale pour éliminer les séquelles de la pratique. « Le principal but de la mission », expliquait le rapporteur lors d'une conférence de presse à Nouakchott, « était d'observer la mise en œuvre des actions contre l'esclavage [...] adoptées dans la loi mauritanienne. […] En ce qui concerne les efforts du gouvernement, je suis ravi de constater que la Mauritanie a fait des progrès pour mettre en œuvre la stratégie de lutte contre l'esclavage et travailler sur l'élimination de cette pratique », se félicitant également de réformes législatives menées par la Mauritanie dans ce domaine. Le «déni de l'esclavage », qui était un «énorme problème dans le passé», est « en train d'évoluer ».
Recommandations du rapporteur au terme de sa mission
• Prendre des mesures significatives pour appliquer efficacement les lois pertinentes, en particulier les lois anti-esclavage, anti-traite humaine et protection du travail. Cela devrait inclure davantage de ressources, une formation rigoureuse, un renforcement des capacités, des discussions sur l'avenir des tribunaux pénaux spécialisés, ainsi qu'une sensibilisation à l'impératif moral et juridique d'éliminer toutes les formes contemporaines d'esclavage, y compris l'esclavage fondé sur l'ascendance.
• Mettre en place des unités dédiées à l'esclavage au sein de la police judiciaire et du ministère public avec un personnel parfaitement formé.
• Exclure l'esclavage et les pratiques analogues à celui-ci des processus informels de résolution.
• Élaborer des directives de détermination de la peine pour les infractions d'esclavage afin de maintenir une cohérence dans la détermination de la peine tenant compte de la gravité de ces infractions.
• Établir un mécanisme national d'identification multipartite pour éviter de trop compter sur les victimes pour qu'elles se manifestent.
• Mettre en place un système d'alerte précoce efficace pour identifier les enfants à risque de travail des enfants et autres formes d'exploitation, en travaillant en étroite collaboration avec les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux, les organisations de la Société civile et autres parties prenantes concernées.
• Renforcer l'inspection du travail en organisant une formation efficace sur l'identification et l'allocation de ressources suffisantes.
• Fournir, à tous les Mauritaniens ainsi qu'aux ressortissants étrangers dans des langues qu'ils comprennent, des informations adéquates et accessibles sur les droits des travailleurs et les mécanismes de plainte en cas de violation des lois pénales et du travail. Travailler à cette fin en collaboration avec l'Institution nationale des droits de l'Homme, les organisations de la Société civile ainsi que les chefs locaux, tribaux et religieux.
• Assurer la protection des victimes de l'esclavage et des pratiques analogues à l'esclavage, ainsi que leur accès à la justice, aux recours, à l'emploi et aux opportunités de subsistance.
• Établir un fonds dédié aux victimes de l'esclavage et d'autres pratiques esclavagistes qui peut être utilisé pour leur protection. Réaliser, à cette fin, un recouvrement efficace des avoirs des criminels.
• Faciliter l'enregistrement à l'état-civil pour ceux qui n'ont pas de papiers d'identité, y compris les travailleurs migrants et les personnes déplacées.
• Assurer l'égalité d'accès à l'éducation, aux services publics, à la terre et au travail décent pour tous les Mauritaniens, sans discrimination d'aucune sorte.
• Prévenir et lutter contre la violence à l'égard des femmes et des filles, en promulguant le projet de loi sur cette question dès que possible.
• Garantir l'égalité de traitement des travailleurs étrangers en termes de conditions de travail et d'accès aux services publics de base, tels que la santé et l'aide sociale, ainsi que la gratuité de l'enseignement pour leurs enfants.
• Inclure explicitement l'élimination de l'esclavage fondé sur l'ascendance et des pratiques connexes dans le mandat de Taazour et allouer des ressources adéquates à l'agence, y compris en termes de moyens, formation et expertise.
• Promouvoir une représentation ethnique et de genre équilibrée dans les bureaux publics, les forces de l'ordre et les forces armées, en particulier au niveau de la haute direction.
• Mettre en œuvre des mesures positives/affirmatives raisonnables et proportionnées pour faciliter l'intégration économique, sociale et culturelle des victimes de l'esclavage et d'autres pratiques analogues à celui-ci.
• Formaliser, aussi rapidement que possible, les emplois informels tels que le travail domestique, afin de protéger les droits de tous les travailleurs et d'empêcher qu'ils ne tombent dans l'esclavage et autres pratiques assimilables.
• Travailler avec les employeurs et les entreprises, y compris les sous-traitants, pour promouvoir la diligence raisonnable en matière de droits de l'Homme sur le lieu de travail, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme.
• Encourager les parties prenantes gouvernementales et autres à renforcer leur coopération avec le système des Nations Unies en Mauritanie pour lutter contre toutes les formes de discrimination auxquelles sont confrontés les groupes à risque, y compris les victimes de l'esclavage et d'autres pratiques esclavagistes, conformément aux objectifs de développement durable.
• S'attaquer à la culture profondément enracinée du déni de l'esclavage, en reconnaissant, au plus haut niveau du gouvernement, formellement son existence et de le communiquer clairement à toute la nation en utilisant le terme spécifique « esclavage ».
• Recueillir des données sur l'esclavage et d'autres pratiques analogues, ainsi que sur l’impact du genre, de la race et l'ethnicité pour lutter plus efficacement contre les inégalités et la discrimination.
• Mettre en place un organe multipartite pour suivre annuellement les progrès de la mise en œuvre de la feuille de route.
Synthèse Thiam Mamadou