Depuis que le président de la République a demandé à l’administration de se rapprocher au service des citoyens, on assiste à une espèce de fébrilité de nos administrateurs. Comme toujours, diront certains : le boss gronde et tout le monde s’affole…C’est le ministère de la Santé qui a ouvert le bal en mettant à la disposition des usagers, des numéros verts de téléphone. D’autres départements, projets et programmes de l’État ont réactivé leurs services d’accueil. Mais la plus grosse fébrilité est observée chez les ministres, walis et directeurs d’établissements publics. Arrivés à la faveur du dernier remaniement gouvernemental, les premiers ont multiplié visites de terrain, histoire, pour certains, de prendre contact avec les services de leur département ; et déclarations à tout-va, alors qu’ils viennent à peine de prendre les commandes. Sans donc prendre même le temps de s’imprégner des structures qu’on vient de leur confier ni de découvrir leurs nouveaux proches collaborateurs. On sent même comme de l’empressement à prouver, chacun, au guide éclairé qu’il est « l’ami recherché », comme dit si bien Mamane, le chroniqueur de RFI. Et tous de convoquer les discours de Ouadane et de l’ENAJM, élevés au rang d’actes fondateurs de la République.
Voici le citoyen lambda, lui qui trime pour survivre, désormais placé au cœur de l’action gouvernementale. Proclamation de foi : « Le rapprochement du service public du citoyen constituera désormais la priorité absolue du Gouvernement. En conséquence, l’administration sera professionnalisée et ses actes orientés vers les démarches qui garantissent l'égalité d'accès aux services, respectent les principes de transparence et de bonne gouvernance restaurant les valeurs du travail et le respect du mérite et du Droit ». Les membres du nouveau gouvernement n’ont pas dérogé à la règle :les voilà tous à rivaliser en « voyez et entendez-moi ». Une vraie foire d’exhibitions.
Chapelets de déclarations
Devant les députés, le Premier ministre a parlé d’un « État fort et moderne au service des citoyens ». Avant de rappeler les axes fondateurs du programme du président de la République : « Un capital humain revalorisé, une société fière de sa diversité et réconciliée avec elle-même », martèle Ould Bilal. Évoquant Nouakchott, il souligne l’engagement de moderniser la capitale de notre pays et de faire jouir les citoyens des bienfaits d’une ville propre, attrayante, leur offrant des opportunités pour s’adonner à des activités de lucre, détente et loisirs.
Emboitant le pas au chef du gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ahmed ould Mohamed Lemine, avise, en tournée de prise de contact avec les services relevant de son département, que « le citoyen est la pierre angulaire du projet de société du président de la République ». Et d’ajouter, au cours d’une réunion avec les autorités administratives et des services déconcentrés : « l’objet même du service public est de profiter au citoyen. Il faut l’atteindre où qu’il se trouve, afin de servir ses aspirations et de renforcer sa confiance en l’État et en ses institutions ». Avant de souligner l'obligation, pour tout fonctionnaire, de travailler avec sérieux, de s’investir pleinement dans le traitement des questions en rapport avec les usagers et de présenter un modèle de classe dans le traitement des requêtes et dossiers soumis par ceux-ci. « Le personnel du ministère de l'Intérieur, de la Décentralisation et des administrations territoriales », insiste-t-il, « doit être un modèle de sérieux, moralité, probité et abnégation ».
Pour sa part, le ministre de la Culture affirme, au cours d’une cérémonie de remise de matériel sportif, « la détermination du gouvernement à appuyer et à développer les différentes activités sportives, en particulier le football, afin d'enregistrer les meilleurs résultats en ce domaine. […] Nous nous attelons à accélérer la mise en œuvre du volet culturel du programme du Président ». Le ministre de l’Hydraulique et toujours président de l’UPR, prétend, lors d’une visite dans ses services, que « les difficultés évoquées seront jugulées dans les jours qui viennent, afin d’accroître l’efficacité et d’atteindre les objectifs fixés, en réponse aux directives de Son Excellence Monsieur Mohamed ould Cheikh Al Ghazwani visant à rapprocher l’Administration des citoyens dans tous les secteurs, en particulier ceux des services. »
Lors d’une réunion à Aleg, le ministre de l’Équipement et des transports dit avoir donné « des instructions pour surmonter le plus rapidement possible les obstacles qui entravent l'avancement des travaux sur cet axe routier si vital ». C’est-à-dire les cent kilomètres qui séparent Aleg de Boutilimit et dont les travaux traînent depuis 2019. Les entreprises qui en ont gagné le marché peinent à terminer la tâche, sans avoir jamais fait l’objet de la moindre sanction. Le ministre des Pêches et de l’économie maritime a, quant à lui, indiqué que « le but de ces rencontres est de prendre connaissance des problèmes posés aux citoyens dans ce secteur vital, en vue de leur trouver les solutions appropriées », soulignant que « ces réunions s'inscrivent dans le cadre des orientations du président de la République, Son Excellence Monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazwani relatives au rapprochement de l'Administration des citoyens pour répondre à leurs problèmes. »
Au terme d’une tournée, le ministre de l’Élevage déclare que son déplacement avait pour objectif de s’informer « de près des problèmes posés au secteur de l’élevage, en concrétisation du programme de Son Excellence le président la République monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazwani ». Il ajoute : « J’ai exhorté le personnel des services visités à redoubler d’efforts pour opérer une dynamique de travail, réaliser un développement global et rapprocher le service public du citoyen ».Son collègue de l’Agriculture a appelé, au cours d’une réunion avec les délégués régionaux, « à intensifier les efforts pour atteindre l’autosuffisance et même la souveraineté alimentaires ». Avant d’avertir que le secteur garderait une trace de l’exécution sur le terrain des programmes qui lui sont confiés.
De son côté, le délégué général de Taazour a indiqué que « Son Excellence le président de la République, monsieur Mohamed ould Cheikh El-Ghazwani, a réuni toutes les conditions appropriées pour la mise en œuvre de l’ensemble des programmes et projets gérés par la Délégation Générale à la Solidarité Nationale et à la Lutte contre l'Exclusion « Taazour ».Et de souligner en conséquence la « tolérance zéro vis-à-vis des trois parties impliquées dans la mise en œuvre des programmes et projets ».Enfin et pour conclure avec le ministre de la Santé qui avait lancé le bal, « nous allons assurer aux citoyens », s’est engagé celui-là lors de ses tournées de prise de contact avec les services de son département, « la proximité des services sanitaires ».
Corruption, gabegie dans l’ADN mauritanien ?
Tel paraît le panorama des déclarations ministérielles. Si j’en ai passé – et peut-être des meilleures – espérons en tout cas qu’elles ne resteront pas des vœux pieux. Nous en avons tant entendu de telles envolées à chaque changement de ministre ! Le problème, c’est que nos ministres n’ont presque plus de pouvoir après les dix années d’Ould Abdel Aziz au cours desquelles on leur ôta quasiment toutes leurs prérogatives. On voyait les citoyens venir, au moindre problème, donner de la voix devant les grilles de la Présidence… Autre problème, le népotisme et la corruption. Tous sont préoccupés par le profit qu’ils peuvent tirer de l’État et non par le service qu’ils doivent rendre aux citoyens. Il s’y ajoute l’incompétence, l’incurie, le tribalisme et tout le tintouin. Les ministres et directeurs sont nommés pour (par ?) leur tribu ou pour des généraux. Les brebis galeuses et les incompétents ne sont pas sanctionnés ; on a même vu les gabegistes revenir en force pour « gérer » des fonds publics : le pouvoir ne cesse d’en recycler depuis près de deux ans. Le travail abattu par la Commission d’enquête parlementaire qui en avait épinglé plus de trois cents personnes est en train de passer par pertes et profits. Dans ces conditions, comment vaincre la corruption ?
Autre problème de l’Administration auquel on n’est pas près de s’attaquer : sa pléthore en personnel qui ne fait rien. Aucun ministre ou directeur ne peut renvoyer un employé au bras long sans se retrouver submergé de problèmes. Combien la Présidence compte-t-elle de conseillers, chargés de mission et autres attachés ? Idem pour la Primature…Et que dire du côté des corps habillés ? Le combat pour une administration au service des citoyens risque fort de se transformer en un nouveau slogan : lutte contre la gabegie, président des pauvres, résistance contre la colonisation, marche contre le discours extrémiste violent, pour l’unité nationale et tutti quanti… Dans un pays marqué par tant d’injustices, inégalités et impunités, il est très difficile, pour ne pas dire vain, de prêcher une administration au service des citoyens. Depuis le discours du président à l’ENAJM, on n’a pas vu grand-chose changer. Seuls les ministres parcourent les services et invitent leurs employés à respecter les instructions du président de la République, alors qu’ils demeurent, dans leur écrasante majorité, inaccessibles. Leur accès n’est facilité qu’aux élus et hauts cadres, étoilés et leurs kakis ou grâce à des interventions. Et il n’est pas rare que des ministres ne respectent même pas leurs engagements envers leurs collègues. Entreprendre un combat contre des gens qui ne croient presque à rien, sauf à l’argent, est une quadrature du cercle. Ghazwani n’y pourra rien, tellement le mal est profond. L’incivisme, l’intérêt personnel, le goût effréné du luxe et de l’argent priment avant toute chose chez l’écrasante majorité des Mauritaniens. À se demander si ces maux ne sont pas inscrits dans leur ADN… Ici, l’État – « invention » des colons… – passe après l’individu, la tribu, l’ethnie et la région, seules valeurs traditionnelles dignes, semble-t-il, de conduire notre modernité…
Dalay Lam