Les Mauritaniens ont découvert, en fin de semaine dernière, le nouveau gouvernement que leur Président leur a choisi. Vingt-cinq membres, quatorze sortants dont trois ont été promus à d’autres fonctions (BCM, Présidence…) et dix rescapés. L’ADN de l’équipe n’a pas presque pas changé. Les ministères de souveraineté gardent leur titulaire, excepté celui de l’Intérieur dont l’ancien locataire a atterri aux Affaires étrangères, de la coopération et des mauritaniens de l’extérieur. Le désormais ex-directeur de cabinet du président de la République, Ould Mohamed Lemine, devient le premier policier du pays. En dépit donc de son départ du Palais, celui que bon nombre d’observateurs mauritaniens considéraient comme l’oreille du Président, pour ne pas dire régent du Palais, garde toujours sa confiance. Aussi atterrit-il dans un département qu’il connut déjà sous la Transition 2005-2007.Le général Hanenna, un des hommes-clefs du pouvoir, continue aux commandes du ministère de la Défense. Ancien chef d’état-major adjoint des armées et commandant des forces du G5 Sahel, Ould Hanenna reste, dit-on, un confident du président Ghazwani. Le ministre de la Justice conserve également son strapontin. Une stabilité qui concerne aussi les Affaires économiques, le Pétrole et l’Éducation dont le tenant devient, ô surprise, porte-parole du gouvernement !
D’autres ministres ont changé de département, comme celui de la Culture, de la jeunesse des sports et porte-parole du gouvernent. Moctar Dahi est envoyé porter la blouse au ministère de la Santé, en place d’un homme du département, ceci à l’heure où notre pays sort de la pandémie COVID. Fera-t-il mieux que le docteur Nedhirou ou, à la limite, son successeur le docteur Zahaf ? Doté, à la faveur du COVID, de beaucoup de moyens, ce département est paradoxalement loin de répondre aux attentes des citoyens.
Une surprise nommée El Waghf
Parmi les surprises, l’arrivée de Yahya Ould El Waghf au poste stratégique de ministre secrétaire général de la présidence de la République.Ce vice-président de l’UPR avait occupé ce poste sous le président Sidi ould Cheikh Abdallahi, un homme d’expérience donc. Autre surprise, l’arrivée de l’ex- ministre des Affaires étrangères, Ould Cheikh Ahmed, au cabinet du président de la République. Un autre poste stratégique. Les analystes pensaient qu’il allait poursuivre l’œuvre de redressement de la diplomatie mauritanienne. On note, à son actif, l’organisation de plusieurs sommets sous-régionaux, régionaux et internationaux. Il n’a cependant pas réussi à placer tel ou tel de ses concitoyens à la tête d’institutions internationales et ne s’est pas vraiment attelé à donner une autre image de notre diplomatie toujours à vitesse unique. Certaines composantes nationales reprochaient au département de confier l’essentiel des ambassades et consulats à une seule « couleur ». L’arrivée d’Ould Merzoug à sa tête est considérée comme un signe de changement, soit-il symbolique.
L’entrée du président de l’UPR au gouvernement interroge. Cet ingénieur proche du désormais ex-dircab du président de la République n’a pas réussi, semble-t-il, à donner âme à l’UPR, ce géant aux pieds d’argile. Le principal parti de la majorité cherche un repreneur à moins de deux ans des élections locales. Les observateurs ne comprennent pas non plus pourquoi le ministre des Finances a été envoyé à la BCM, alors qu’il effectuait un bon travail au ministère très tentaculaire des Finances. Considéré comme très intègre, l’homme venait de découvrir la disparition de près d’un millier de véhicules de l’État. Une action à saluer et poursuivre. Son remplaçant, Isselmou Mohamed Mbady, un homme du sérail et inspecteur général interne jusqu’à sa nomination, aura-t-il les coudées franches pour poursuivre cette opération « Mains propres » et débusquer d’autres malfrats ? Wait and see.
Quelque vingt-quatre heures avant la publication de la liste du nouveau gouvernement, beaucoup d’observateurs avaient choisi d’envoyer à la retraite Naha mint Nouknass qui occupait le très pollué département du Commerce : elle a résisté. Mieux et comme le phoenix, elle atterri au Palais en ministre conseillère du Raïs. Certains vous jureront, la main sur le cœur, qu’elle restera au sein du pouvoir, elle y serait indispensable.
Pour les analystes, la composition du second gouvernement d’Ould Bilal ne diffère en rien du premier de l’ère Ghazwani. Dosages tribaux, régionaux, ethniques et copinages restent les principaux critères de désignation de ses membres, avec cependant un déséquilibre régional criant. La compétence a rarement prévalu. Que pourra-t-il faire, dans ces conditions, pour redémarrer le pays, apporter le changement ; pour ne pas dire rendre l’espoir qu’avait suscité l’élection du président Ghazwani ? Après deux ans et demi d’attente, les Mauritaniens continuent d’attendre. La scène est certes calme mais le projet de dialogue reste dans les tiroirs du Palais, alors que l’opposition affirme que la balle est dans le camp du Président…Des questions nationales demeurent, le front social est envahi par la hausse continuelle des prix, le chômage, la gabegie, les scandales…Les inégalités et les injustices perdurent en dépit du discours de Ouadane…
OuldGhazwani dont le gouvernement avait montré de grosses limites et suscité même son ire, à deux occasions, pourra-t-il reprendre la main ? En renvoyant le gouvernement d’Ould Bilal, le Président a certes vu sa côte remonter au sein de l’opinion mais, après la publication de la nouvelle équipe, celle-ci a accusé un sérieux coup. « On attendait mieux… »,lâche un haut cadre de l’UPR. « C’est loin d’être une équipe de campagne », estime un analyste. « Encore une occasion manquée ! », soupire un jeune cadre du parti. « Elle était pourtant belle pour se débarrasser des brebis galeuses… », ajoute-t-il.
Déséquilibre régional
La plus grosse surprise du remaniement aura été la reconduction du Premier ministre Ould Bilal. Comment a-t-il pu sauver sa peau, alors que le président de la République accusait l’administration et le gouvernement de n’avoir pas été à la hauteur ? Quels sont les critères qui ont prévalu ? Ould Bilal est un hartani ? Il est jeune ? Il représente le Trarza ? Seul notre marabout de président peut répondre à ces questions pas vraiment anodines. Notamment la dernière.
Le régionalisme paraît avoir été en effet déterminant dans le choix des membres du gouvernement. En en scrutant la liste, on constate que le Hodhech-Chargui a hérité de sept portefeuilles : justice, défense, transition numérique, hydraulique et assainissement, enseignement supérieur, urbanisme et habitat, CSA. Deux pour le Hodh El Gharbi : Affaires islamiques, Culture et jeunesse. Assaba, cinq : Intérieur, Affaires étrangères, Santé, Commerce et industrie, DIRCAB PM. Gorgol ; deux : ministère conseiller à la Présidence, Environnement et développement durable. Brakna, trois : Pêche et économie maritime, Élevage et Agriculture. Trarza, cinq: PM, Affaires économiques et Promotions secteurs productifs, Équipement et transport, Secrétariat du gouvernement et DIRCAB Présidence. Tagant, deux : Ministère secrétariat de la Présidence et Finances. Adrar, quatre : Éducation, MASEF, Pétrole et énergie, BCM. Dakhlet Nouadhibou, deux : Ministre conseiller à la présidence et Taazour. Guidimakha, un: emploi et formation professionnelle. Inchiri, un : Fonction publique
Cette répartition ne semble pas qu’obéir au critère de population. Seule la Présidence peut expliquer un tel déséquilibre régional. Le gâteau est mal partagé, comme sait si « bien » le faire la hyène, certains départements du Sud restent toujours oubliés du festin. C’est le cas de M’Bagne et de Bababé. Le premier ne dispose d’aucun poste de secrétaire général, conseiller, chargé de mission ou directeur central. « Aucun responsable doté d’un téléphone fixe à trois chiffres », comme aime à le faire remarquer le notable et leader politique, Bâ Bocar Soulé. Une activiste de Kaédi déplore l’oubli dont fait l’objet les soninkés de cette ville.
Dalay Lam