Après son discours à Ouadane puis sa sortie en Espagne sur l’état de pauvreté du pays, le président de la République s’est adressé, il y a quelques jours, aux autorités administratives du pays (walis). Et le moins qu’on puisse dire est que le président-marabout n’est pas passé par quatre chemins : ce fut une véritable charge contre ses représentants auprès des citoyens dans les régions, ces hauts fonctionnaires censés apporter des solutions à des problèmes immédiats ; à défaut, les remonter au sommet. Le diagnostic est accablant : l’administration est nulle, incompétente, improductive…Nous sommes en train de récolter les conséquences des formations « approximatives » de nos administrateurs et de leurs recrutements complaisants, du népotisme institué depuis des années par les gouvernants.
Les déclarations du ministre des Affaires économiques et des secteurs productifs sur l’exécution des projets de l’État en est une illustration parfaite. Notre pays a fait preuve d’incapacité à absorber les financements dont il a bénéficié de la part des partenaires techniques et financiers. Un désaveu qui restait sans suite au niveau de la présidence de la République.
Ce que dit le Raïs n’est pas nouveau : presque tous les mauritaniens qui ont un jour eu à faire à cette administration le savent. En plus de son incompétence, elle brille ordinairement par la discrétion de son zèle et son inaccessibilité. Walis et Hakems sont, soit occupés, soit absents de leur bureau. En certains endroits, c’est parce qu’il ne parle pas la langue des populations locales ou refuse de parler la langue de l’administration, comme le français par exemple, que l’un ou l’autre est inaccessible. Après la vacation du matin et le compte-rendu des mains courantes, nos administrateurs civils et de sécurité en région occupent le reste de leur temps au téléphone à s’informer de ce qui se passe à Nouakchott, écouter les ragots des agents dits de renseignements, s’enquérir du sort du bétail, etc. Nos walis s’intéressent aussi à l’ouverture du moindre séminaire qui se tient dans leur coin, histoire d’en récolter perdiem et carburant. S’occuper de comment améliorer les conditions de vie des gens ne les préoccupe guère, sauf s’il y a des terrains à distribuer ou l’ordre venu « d’en haut » de régler un problème d’eau, de santé ou d’école : là, ils s’agitent.
Mais la médiocrité ne touche pas que l’administration territoriale, elle gangrène tout le corps du pays. Rendez-vous dans les services des départements ministériels de la capitale, ou ceux d’état-civil : vous en sortirez dégoûté par les lenteurs, la nonchalance des fonctionnaires et agents, leur ignorance même. Bien habillés, bien calés dans leurs fauteuils, ils daignent à peine, scotchés à leur téléphone ou ordinateur, sinon carrément dédaignent, à vous répondre. S’agit-il de produire un document ? Vous voilà à aller et venir. Nos fonctionnaires et agents ne se décarcassent qu’à la condition d’en tirer profit pécuniaire.
Société malade
Et en avant la corruption ! En avant les travaux de réhabilitation, constructions et autres aménagements, afin d’en tirer des commissions ! De purs cosmétiques pour voler l’argent du pays ! Comment un fonctionnaire de l’État peut-il rouler en VX ou V8, loger dans un palais ? En volant ou recourant à des activités illicites, genre trafics de drogues, de voitures, voire d’armes, le tout dans une complaisance et une impunité assurée pour les malfrats et les carambouilleurs ! Mais d’où nous est venue cette médiocrité, ce souci permanent de toujours amasser de l’argent, à exhiber un luxe insolent et frustrant ?
De l’école à deux vitesses. Si notre société est malade, c’est parce que son école l’est aussi. Médiocre à tous les niveaux (primaire, secondaire, supérieur, centre de formations…), faute à de mauvais enseignements, mauvaises formations des enseignants, réformes en cascade nourries d’idéologies discriminatoires. Dans notre système d’enseignement, les élèves ne redoublent quasiment plus, les notes sont gonflées, falsifiées… Certains ont la « chance », d’autres non. La triche a ruiné l’école et gangrené la société mauritanienne. Au lieu de réfléchir sur l’école d’aujourd’hui pour envisager la société de demain, nous, on palabre, boit du thé, applaudit et se sépare. Ce fut le cas de nos dernières journées nationales de concertations sur la réforme de l’Éducation. Nos élèves apprennent à tricher, c’est-à-dire à voler, dès l’enfance. Comment les empêcher de carotter les biens publics, alors qu’ils voient leur propre père entretenir un train de vie avec des moyens douteux ? Devenus fonctionnaires, nos enfants copient et collent la vie de leur famille. Si, aux États-Unis, les jeunes américains apprennent à se considérer, dès leur plus jeune âge, supérieurs à tous les autres – dans la réussite bien évidemment – ici, en revanche, c’est à tricher qu’on leur apprend, dès l’école primaire voire le préscolaire… Voilà comment ils se retrouveront à dérober l’argent : marchés de complaisance, voitures, terrains, armes… à trafiquer les médicaments, les documents d’impôt…tout et n’importe quoi, en somme ! La triche s’est incrustée dans notre ADN. Certains veulent de l’argent, beaucoup d’argent et tout de suite. Un fonctionnaire ou un homme d’affaires l’amasse en quelques petites années, il lui suffit d’avoir un « piston », de savoir graisser la patte ou « bien » tricher.
Chez nous, on a vu des personnes fêter la libération de prison des leurs accusés de corruption, en offrant en cadeau des chameaux immolés publiquement. On a entendu des fonctionnaires dire qu’il leur est impossible de vivre dans la misère alors qu’ils gèrent des milliards de l’État. Le tribalisme et l’incivisme sont venus couronner le tout, portant un coup fatal à la gouvernance, à la démocratie et au vivre ensemble.
Le diagnostic de Mohamed ould Ghazwani est certes accablant, c’est un réquisitoire sans équivoque pour toute la société mauritanienne. Reste maintenant la sentence. Que va faire le président de la République après cette sortie salée contre les walis ? Inviter les incapables à démissionner serait sans effet. Pas grand-chose donc à attendre de ce côté-là. Le président ne connaît-il pas les walis, ministres, chefs de projets et directeurs incapables ? Il doit avoir le courage de les vider. Mais le problème est que, depuis son arrivée au pouvoir, il hésite à se débarrasser des brebis galeuses et des casseroles qu’elles traînent. Et Dieu sait combien il y en a dans son entourage immédiat, gouvernement, parti et administration ! Au lieu de nettoyer les écuries d’Augias, il continue à recycler les fonctionnaires connus pour s’être vautrés dans la gabegie. Quoique leur gestion décriée soit plus que notoire, certains continuent à occuper des places de choix dans l’Administration.
On a attendu en vain un coup de balai dans cette galaxie. Surtout après la réunion du Raïs avec les ministres de l’Urbanisme et de l’aménagement du territoire, de l’Équipement et des transports et du délégué de Taazour où il leur aurait exprimé son mécontentement devant les lenteurs dans l’exécution de ses engagements électoraux. Que s’est-il passé après ? Rien. Aujourd’hui qu’il a fini de poser le diagnostic au niveau de l’administration, va-t-il la débarrasser des incapables ? Va-t-il enfin rendre opérationnelle la commission nationale de décentralisation fondée depuis des mois et dont on attend le décret d’application ? Va-t-il enfin rétablir les victimes d’injustice dans leurs droits, comme il s’y était engagé lors de sa campagne à la présidentielle 2019 ? Aura-t-il enfin une oreille sensible à tous ceux qui dénoncent les inégalités, les injustices, les promotions monocolores ? Va-t-il enfin mettre fin à la gabegie qui se poursuit depuis trois ans, mettre de l’ordre dans les spéculations sur des denrées de première nécessité ? Le président peut être animé de bonnes intentions mais les Mauritaniens attendent de lui des actes. Les irrégularités relevées par l’IGE ou la Cour des comptes sur la gestion du fonds COVID, la disparition de près d’un millier de voitures de l’État n’offrent-elles pas l’occasion pour le Palais de sévir ?
Donner des numéros d’appel gratuit aux citoyens, comme l’a fait avec promptitude le ministère de la Santé, restera sans effet, on l’a vu avec les problèmes des pharmacies et les prix des denrées alimentaires. C’est un parcours du combattant qui ne vaut pas le coup : on ne vous répond pas et, quand cela arrive, les contrevenants signalés finissent toujours par échapper, interventionnisme aidant. Ici, les puissants bénéficient de l’impunité. Ce genre de mesure est de nature à détourner de l’essentiel et risque de susciter une espèce de compétition au sein de l’Administration. Il faut agir, Président, il faut agir sans plus tarder !
Dalay Lam