La Société Nationale Industrielle et Minière(SNIM) est depuis quelques temps dans le viseur de l’opinion publique mauritanienne qui s’interroge sur les raisons de la stagnation de sa production annuelle à douze millions de tonnes. Ce chiffre, faudrait-il le rappeler, fut déjà atteint par la défunte MIFERMA, il y a des décennies avec des moyens rudimentaires. Pourquoi donc une telle léthargie ? La réponse à cette interrogation tarde à venir et les responsables de la société ont généralement choisi de garder le silence à ce sujet.
La SNIM a certes traversé des périodes difficiles caractérisées par la mauvaise gestion, la dilapidation de ses ressources, voire leur détérioration pure et simple. Elle est restée à l’écart, incapable d’accompagner le train de développement de ses semblables à travers le Monde. En dépit de la hausse du prix du minerai qu’elle vendit, à un moment, jusqu’à 182 dollars la tonne, elle n’est jamais parvenue à améliorer durablement sa situation. Paradoxalement, sa dette atteignit, au cours de la période dite dorée (2009-2014), 1,3 milliard de dollars dont près des trois-quarts ((928 millions de dollars) imputés au projet « Guelb 2 » dont la capacité de production fut fixé à 4 millions de tonnes par an avec une période de grâce de quatre ans.
Initialement fixé à l’année 2013, le démarrage de la production de ce mégaprojet, ne put être lancé qu’en 2015 – gabegie et mauvaise gestion, encore et toujours… – sur la base de huit cent mille tonnes par an, soit le cinquième de la production initialement prévue. La période de quatre ans de grâce ne fut pas plus mise à profit et la dette fut remboursée avec d’importants intérêts… avant que ne chute, six ans plus tard, la production à 2,5 millions de tonnes par an. La SNIM croupissait sous le fardeau d’une dette colossale.
Gestion désastreuse
Cette gestion désastreuse s’est illustrée par une négligence notoire de l’approvisionnement en pièces détachées. Après l’arrêt ou la panne des équipements, on s’est ainsi trouvé avec des composants hors de service ou incompatibles avec les équipements existants. Le coût de ce désastre a atteint 100 milliards d’anciennes ouguiyas qu’il faudra ajouter à d’autres importants montants en prêts accordés aux travailleurs.
Et comme un malheur ne vient jamais seul, de hautes instructions – décisions politiques… –imposèrent le recrutement, via des sociétés de sous-traitance, de plus de mille cinq cents personnes en un seul coup, dont la faiblesse, voire l’absence, de compétences ont accentué les charges sociales sur la société. Ce n’est pas tout, loin s’en faut. Des problèmes structurels ont gangrené notre pauvre SNIM, une des rares sociétés nationales exécutant en interne l’ensemble de ses tâches : exploration, forage, extraction, production d’électricité, transport du minerai et du personnel, réparation des voitures, etc.
Pire, la teneur du minerai en fer est devenue faible et son extraction de plus en plus coûteuse. À titre d’exemple, une tonne de minerai « commercialisable » exige d’extraire onze tonnes de terres qu’il faut transporter loin. Un simple calcul situe l’ampleur du problème : pour commercialiser les douze millions de tonnes de minerai actuellement produites, il faut extraire, charger et transporter cent trente-deux millions de tonnes de terre… À titre comparatif, la société obtenait, dans les années 90, une tonne de minerai contre une tonne de terre.
Le manque d’automatisation dans toute la chaîne de production a contraint la société à recourir à une haute intensité de main d’œuvre. Et cela requiert des efforts soutenus en termes de contrôle et d’inspection continus, pour assurer un niveau de production convenable. Résultante logique de la mauvaise gestion et du sabordage de leur société, la déception des cadres, techniciens et ouvriers est venue s’ajouter aux nombres autres problèmes qui empêchent la SNIM de redécoller. Le cordon émotionnel qui liait les travailleurs à leur société est rompu. Les mouvements successifs de grève en 2015 ont illustré cette rupture, témoignant du mécontentement des travailleurs. Le fossé s’est profondément creusé entre la main d’œuvre et l’administration.
En quinze ans, dix administrateurs directeurs généraux, dont plusieurs n’étaient pas du sérail, se sont succédé à la tête de la société. Certains d’entre eux n’ont même pas eu le temps de faire connaissance de leur staff. Cette valse de fauteuils a conduit à l’absence de vision, de plans ambitieux et de stratégies, aggravant la situation. Mais le problème le plus lourd, c’est qu’entre 2009 et 2019, la SNIM a été gérée de l’extérieur, sans qu’on tienne compte de ses défis spécifiques, de ses problèmes et de ses ambitions. Les instructions, les ordres et la volonté de lui porter préjudice ont désorienté les investissements vers de nouveaux domaines comme l’aviation, l’hôtellerie, la fabrication de poteaux électriques, la construction et l’équipement d’hôpitaux, et bien d’autres domaines, sans études de faisabilité.
L’homme qu’il faut
Voilà maintenant la SNIM en retard de dix ans dans les domaines de l’exploitation optimale du chemin de fer, de l’automatisation, de la formation, de la maintenance des infrastructures ou de leur révision générale, tout comme en celui de l’énergie, avec ses conséquences fâcheuses sur l’outil de production. La stagnation de sa production annuelle à douze millions de tonnes est donc hélas largement justifiée. Et les questions s’accumulent : la SNIM compte-t-elle relever cette capacité de production ? Est-ce une ambition objective? En dispose-t-elle les moyens ? Le cas échéant, comment y parvenir?
Avec en filigrane cette dernière, importantissime : existe-t-il une volonté commune entre l’État qui détient 80% du capital et la SNIM de réaliser cet objectif? Il est donc vrai que tout doit commencer par une prise de conscience de la plus haute autorité politique de l’État de l’importance à moderniser la société, du choix de la personne qu’il faut pour cette mission, et de lui donner les prérogatives nécessaires à l’accomplissement de sa tâche, tout en l’accompagnant dans la prise des grandes décisions. Les indicateurs dont nous disposons laissent croire que les choses vont en ce bon sens. À commencer par la nomination d’un nouvel ADG.
Pur produit de la société, il en a gravi les échelons un à un et capitalisé ainsi une longue expérience. C’est un fonctionnaire dévoué et imbu des valeurs d’intégrité et de probité de la « vieille garde », suffisamment donc armé, a priori, contre la tentation et le laxisme. Le président de la République l’aurait également instruit d’être particulièrement rigoureux. « Vous avez toute latitude », lui aurait-il dit, « de faire tout ce qui est dans l’intérêt de la SNIM et d’éviter tout ce qui n’est pas dans son intérêt ». Bref, la volonté politique de réformer et moderniser la société est manifeste, claire et précise. Sera-t-elle couronnée de succès et permettra-t-elle à la SNIM qui battait de l’aile de décoller à nouveau ?
(À suivre).