Au cours de sa dernière visite officielle en Espagne, le président Ghazwani n’a pas dérogé à la règle de rencontrer les représentants de la diaspora mauritanienne établie dans le pays visité. Et, se considérant en présence d’élites et d’intellectuels, il n’a mâché ses mots et ses verbes pour essayer d’expliquer et de faire comprendre – en réunion de famille – que notre pays est pauvre. Que nous, Mauritaniens, ne devons pas perdre de vue cette réalité constatée par des indicateurs qui ne mentent pas. Un « manque » de l’essentiel au développement, un peu partout dans un pays où la mendicité synchronise, aux feux des carrefours, avec le feu rouge.
Si Mohamed ould Ghazwani, à qui la majorité des mauritaniens reconnaissent une honnêteté jamais démentie, à ce jour, ni par un quelconque changement dans son comportement ni par le moindre écart contraire à l’éducation morale et civique héritée de ses origines religieuses, son intervention a été décortiquée ( ?) par certains à la « compréhension des gens de Boutilimitt ». Pourtant, le message que le président voulait faire passer et qui est même passé, était plein de sincérité et d’honnêteté : faire entendre à chacun de nous, ce que beaucoup d’entre nous ne veulent ni entendre, ni comprendre, ni croire.
Devant ses concitoyens, il a bien reconnu que notre pays souffre de cette image désolante de pauvres mendiants tendant la main aux carrefours de la capitale, du manque d’accès à l’eau potable et à l’électricité dans les coins les plus reculés du pays. Mais, même s’il ne l’a pas dit, il sait, comme d’ailleurs chacun d’entre nous, que non loin de ces pauvres qui squattent les lieux publics les plus fréquentés pour mendier, d’autres mauritaniens roulent dans des voitures haut de gamme et vivent en de somptueuses villas dans un luxe insolent.
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, le président Ghazwani qui voulait faire, de son discours, un motif de rassemblement de tous les Mauritaniens autour de l’essentiel a été pris à partie par certains pour déplacer son intervention de son contexte et dévaluer sa pensée progressiste.
Mauritaniens fidèles à leurs principes, malhonnêtes toujours plus malhonnêtes
Par une approche didactique simple, il ne cherchait, répétons-le, qu’à appeler tous les Mauritaniens à s’unir autour de l’essentiel pour sortir le pays de cette situation, en tirant le maximum de nos innombrables richesses. Ces richesses dont regorgent notre océan, notre sous-sol et même notre air. Mais la leçon de morale est passée comme une pilule amère. Elle n’a fait qu’alimenter le venin de bloggeurs jugeant que le Président a commis un outrecuidant péché. Celui d’avoir été assez « effronté » pour parler de pauvreté du pays, alors que sa propre apparence et celle de sa femme exhibaient le contraire.
Dans une vidéo largement partagée, un opposant au régime s’en est pris violemment et sans ménagement au chef de l’État, disant que depuis près de trois ans, ce dernier « ronfle » dans un lourd sommeil, incapable de réaliser quoique ce soit, pas même de lutter contre les détournements, la gabegie et le pillage. Dans cette vidéo de 4’40 qui fait la Une des plateformes des réseaux sociaux, ce mauritanien apparemment « allergique » à Ghazwani, à son très proche entourage et à tous les hauts gradés du pays, s’en est pris aussi à la Première Dame du pays. Celle dont le mari reconnaissait la pauvreté du pays portait au bras une montre d’une valeur, affirme l’outré, de trente-cinq mille euros. Il faisait allusion à la montre visible au bras de la Première Dame sur une photo publiée sur la page Facebook d’Assiyetou Hamoud, une autre internaute qui ne porte pas la Première Dame dans son cœur, et qui estime, elle, le prix de la montre Piaget de Mariam mint Dah à quarante-huit mille euros (vingt millions MRO).
Ce n’est évidemment pas le coût de cette montre qui me fait réagir personnellement. J’ai étudié à Genève et connais très bien la mythique boutique – 40, rue du Rhône – appartenant à la succession du célèbre horloger-joaillier suisse Georges Édouard Piaget, mort en 1942. Je l’ai visitée plusieurs fois pour le « plaisir des yeux », comme disait le sénégalais vendeur de pacotille de la rue Sandaga. Non, ce qui me fait réagir et qui doit faire réagir d’ailleurs d’autres, c’est que vient faire le nom de la Première Dame dans la déclaration du Président devant les mauritaniens d’Espagne ?
La Première Dame n’est pas le Chef de l’État, c’est son épouse. La nuance est de taille. Je le dis parce qu’à mon avis, les Premières Dames doivent être éloignées des querelles politiques. Que la nôtre porte au poignet une montre de la grande joaillerie suisse, une bague en émeraude des comptoirs de Belgique ou autre parure de prestige ne nous regarde pas. Même si nous avions la preuve que ces bijoux furent achetés avec l’argent du contribuable, c’est avec son mari que nous avons des comptes à régler ; pas avec elle.
Mais comme on le constate, l’internaute a joué à « l’ampli » pour véhiculer des propos diffamatoires sur Mariam mint Dah qui prend malheureusement, depuis deux ans, régulièrement des coups… parce qu’elle est simplement l’épouse du chef de l’État. Après Ould Kmash, un opposant au régime qui crache un venin de mensonges depuis la cabine d’un truck aux USA, voilà donc un autre « perturbé » politique qui prend le relais avec des dénigrements d’une rare insolence à l’égard du Président.
Ces défoulements sur la Toile d’internautes en mal d’injures est, en elle-même, la réelle pauvreté de notre pays. La pauvreté d’esprit de certains mauritaniens qui jouent « aux bons samaritains » ou aux soldats de « l’Armée du salut » pour provoquer des ondes de choc dans les pensées de leurs concitoyens. Ces véritables activistes politiques mais pseudos-intellectuels à la solde de la zizanie occupent à longueur de journée les esprits étroits des citoyens en criant, haut et fort, que « notre pays est riche mais ses richesses sont pillées par ceux qui nous gouvernent ».
La Mauritanie, pays pauvre ou… appauvri ?
En avouant à Madrid que « notre pays est pauvre », notre chef de l’État n’a pas menti. Tout comme ses opposants affirmant que « notre pays est très riche ». Cela signifie donc que nous sommes les « très pauvres » habitants d’un pays « très riche ». Une paradoxale équation philosophique qui ne cache pas le profil réel de notre pays. Une réalité amère : nous sommes ce que nous sommes. C’est-à-dire : ce que avons fait « nous-mêmes » de nous-mêmes. Des « errants » dans l’espace et le temps, sans passé, sans présent et très mal préparés à l’avenir. Ce qui fait de notre pays une sorte de satellite politique social et économique en perdition. C’est malheureusement là où le bât blesse.
Ce que le président Ghazwani a voulu dire, sans avoir réussi à se faire comprendre – parce que peut-être a-t-il encore gardé son esprit militaire dans sa fonction devenue civile… – c’est ce qu’a déjà expliqué Nana mint Mohamed Laghdaf se posant la question de savoir pourquoi « sommes-nous un pays riche de son potentiel et un peuple effectivement très pauvre dans son écrasante majorité ? ».
Pour cette intellectuelle hors pair, la solution serait de « réfléchir et de discuter de manière approfondie, sans exclusive, pour identifier nos maux commis, nos erreurs, les choses importantes négligées par les responsables et concevoir d’éventuels moyens pour inaugurer un nouveau départ à consigner dans un programme à moyen et long termes susceptible de nous sortir de cette situation». Comme on le voit, la « hodhiste » Mint Mohamed Laghdaf a résumé en quelques mots les tenants et les aboutissants d’un cumul de dysfonctionnements graves dans la gestion de l’autorité de l’État depuis notre indépendance.
Ghazwani tenu responsable du passif de mauvaise gouvernance des soixante dernières années ?
Ould Ghazwani est arrivé au pouvoir après cinquante-neuf ans de politiques successives qui ont cumulé des problèmes de toutes natures et de tous ordres. Sur les huit chefs de l’État qui se sont relayés entre 1960 et 2019, deux – Maaouiya et Ould Abdel Aziz – se sont partagés trente-deux ans de pouvoir. Vingt-et-un pour le premier et onze pour le second. À eux seuls, ces deux hommes ont enfoncé le pays dans des difficultés énormes, inimaginables et surtout inextricables : laxisme généralisé dans la gestion des moyens de l’État avec Maaouiya ; gabegie, détournements de deniers publics, corruptions, pillage des ressources et sabotages économiques délibérés avec Ould Abdel Aziz.
(À suivre).