La complexité de la situation au Mali est telle, qu’en s’aventurant sur la question des exactions subies par les citoyens mauritaniens dans la «zone des puits », il est particulièrement important d’être prudent quant à pronostiquer une solution à court ou moyen terme. Les solutions miracles n’existent pas et la tension entre les deux pays est montée d’un cran. En effet, les citoyens mauritaniens n’avaient pas encore fini de sécher leurs larmes après les massacres du 17 Janvier 2022, que les voilà endeuillés en ces tristes et terribles journées des 5 et 6 Mars 2022. La tendance n’est certes pas à l’optimisme excessif quant aux relations entre le Mali et la Mauritanie, mais l’espoir de les stabiliser n’est pas perdu. Pour avoir une idée objective de l’aboutissement de ce dramatique feuilleton, il est nécessaire de revoir successivement les réactions à l’événement de part et d’autre, de faire un aperçu de la situation actuelle du Mali, de faire un bref rappel historique relatif à la zone du sinistre et d’évaluer les mesures prises en vue de dépasser les difficultés actuelles.
Une nervosité perceptible de part et d’autre
Aussitôt après la tragédie, les autorités mauritaniennes s’insurgent contre les crimes récurrents et demandent aux autorités maliennes de prendre les mesures qui conviennent pour retrouver et châtier les coupables, une réaction à la dimension de la tragédie. Il faut reconnaître cependant que les points de vue des autorités des deux pays divergent en ce qui concerne les auteurs probables de ces horreurs. Alors que les maliens nient toute implication de leurs forces armées, les autorités mauritaniennes affirment détenir les preuves irréfutables de la responsabilité des FAMA dans ces actes barbares.
Toutefois, les responsables des deux pays mettent tout en œuvre pour amortir l’onde de choc parmi les populations victimes des exactions. Alors que le Ministre de l’intérieur et de la Décentralisation, accompagné d’une forte délégation parmi laquelle se trouvent les plus hautes autorités de la défense et de la sécurité, s’est rendu aux chevet des familles éplorées pour leur témoigner le soutien indéfectible de l’Etat mauritanien et leur affirmer que la sécurité des citoyens est une «priorité extrême », une délégation malienne est arrivée à Nouakchott pour présenter au peuple mauritanien les condoléances de leur frère, le peuple malien et se concerter avec les autorités sur les voies et moyens pour circonscrire les effets de la boucherie d’El Ataye.
Mais la crispation des autorités mauritaniennes, du reste légitime, est perceptible. En affirmant que les forces armées et de sécurité poursuivront tout celui qui franchira d’un centimètre la frontière mauritanienne pour s’attaquer aux populations mauritaniennes, le Midec manifeste de manière on ne peut plus claire la détermination des autorités mauritaniennes à rendre justice à leurs citoyens.
Au cours des deux jours de concertations entre les délégations mauritaniennes et maliennes, il a été convenu la mise en place d’une mission conjointe ad hoc, chargée de faire la lumière sur les événements tragiques d’El Ataye et d’organiser des patrouilles conjointes le long de la bande frontalière.
De son côté, le Mali a déclaré la zone du sinistre, une zone exclusivement militaire.
Bref aperçu de la situation actuelle au Mali
Il est important de rappeler que le Mali, du fait de son enclavement, est devenu une véritable manne pour les commerçants, les dealers de la drogue et les contrebandiers de toutes sortes. Avec l’effondrement de l’Etat libyen, l’arrivée massive de rebelles Touaregs surarmés a contribué à aggraver la situation d’insécurité déjà créée par les groupes terroristes agissant dans la partie nord du pays qui arrivent en 2012 à contrôler tout le nord du pays avec la prise de Tombouctou et Gao.
L’intervention française avec Serval en 2013 libère le nord de l’emprise des terroristes qu’elle désorganise momentanément. Toutefois, par la suite, l’engagement de Barkhane renforcée par la Task Force européenne de Takuba ainsi que la présence des contingents onusiens au Mali n’a pas semblé avoir apaisé la situation. On peut même sans exagération excessive affirmer que la situation a plutôt empiré.
Créée en 2014 pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé dans le cinq pays du Sahel (Burkina Faso, Niger, Mali, Mauritanie et Tchad), la Force FC-G5S donne l’impression d’être toujours restée au stade de projet embryonnaire et n’a nullement semblé avoir contribué de manière significative à l’amélioration de la situation sécuritaire de la sous-région.
Avec le retrait et le redéploiement de Barkhane et de la Task Force Takuba, les FAMA font appel à la société de sécurité russe Wagner. Tout cet imbroglio constituait les prémices d’une crise sécuritaire en perspective avec des répercussions négatives certaines sur les pays du voisinage.
C’est ainsi que depuis le retrait inattendu de la France et de ses alliés, les mauritaniens se rendant au Mali pour la nomadisation et le commerce ont fait l’objet de plusieurs exactions dans la zone mitoyenne au HodhElgharbi, une zone litigieuse depuis les indépendances des deux pays.
Un rappel historique
Le Mali, déjà du temps où il était le Soudan Français, est la zone la plus turbulente et la plus sous-administrée des colonies françaises. En effet, le rassemblement dans le même territoire de populations aussi hétérogènes que les maures, les peuls, les touaregs et les bambaras, à cheval sur les frontières, a toujours été et demeure une gageure et un casse-tête pour toutes les administrations qui se sont succédées sur ce territoire depuis le Soudan Français à nos jours, du fait de l’ethnocentrisme poussé et des modes de vie divergents de ces populations. En fait, le Soudan Français était un rafistolage de populations venant de différents horizons, coupées pour certaines de leur milieu naturel, auxquelles la puissance coloniale, pour des raisons politiques, a imposé sa volonté pour un vivre ensemble impossible.
Toute l’histoire du Soudan français et plus tard de la république du Mali, est ponctuée de batailles rangées autours des puits et des champs et mêmes parfois de véritables razzias menées par les communautés les unes contre les autres qui culmineront dans les tragiques événements qui opposeront deux confréries religieuses en 1940 à El Etaye, un signe prémonitoire.
Parlant de l’administration française dans les deux anciennes colonies, Rocaboy note que « autant cette administration était spécialisée en Mauritanie, autant l’affectation en zone sahélienne, au Soudan, était considérée généralement par les intéressés comme une défaveur. Cet état de choses suffit, je pense, à considérer comme globalement sous administrée, la zone sahélienne de l’Ouest-Soudanais, où se sont déroulés les troubles de 1940. Je précise qu’il n’est pas question un seul instant d’incriminer les hommes, mais un découpage territorial défectueux et inadapté. »
Une zone litigieuse vieille comme le temps
Le Lieutenant Rocaboy, commandant le groupement Nomade de Chinguetti de 1937 à 1942 a été détaché auprès du commandant de cercle de Nioro pour assurer l’instruction de l’affaire dite de « Nioro-Assaba » qui aura pour conséquence un nouveau tracé de la frontière entre les deux colonies de l’époque. C’est à la suite des conclusions du rapport de Rocaboy sur cette affaire que le Gouverneur de l’Afrique Occidentale française prendra la décision, en 1944, de rattacher les deux hodhs et une bande du Soudan français à l’ouest de la ligne Nioro- Yélimané à la Mauritanie.
Avec l’autonomie interne et l’indépendance, les responsables maliens relancent vigoureusement leurs contestations relatives audit tracé. Voyant la Mauritanie menacée de partition entre le Mali revendiquant l’Est du territoire, le Sénégal lorgnant sur la vallée et le Maroc s’adjugeant le reste du pays, Moctar Ould Daddah en fin manœuvrier brise la triple entente en créant la défection du Mali.
Au cours de la Conférence de Kayes, tenue les 15, 16 et 17 Février 1965, le président Moctar Ould Daddah et le président Modibo Keita, après d’âpres et difficiles négociations, arrivent au compromis d’un partage équitable du territoire contesté ; particulièrement dans la zone de Tilemsi où se trouvent de nombreux puits salés prisés par les nomades chameliers mauritaniens.
La cession purement politique de cette partie de la Mauritanie, conférant au Mali des compétences dans un secteur de son territoire, n’a jamais été plus qu’une « Territoriale Gebietshoheit » permettant au Mali d’effectuer des actes de gouvernement en ce qui concerne les compétences cédées, ce qui explique que, malgré toutes les tentatives et les multiples commissions mixtes, les deux pays n’ont jamais réussi, jusqu’aujourd’hui, à s’accorder sur un tracé de frontière.
En réalité, l’aboutissement de la mission conjointe chargée de faire la lumière sur les événements d’El Ataye n’est certainement pas pour demain, tout autant que la déclaration de zone du sinistre, une zone militaire, n’est une solution à long terme. Le confinement des pasteurs dans des zones arides est une condamnation sans appel à la disparition de leurs bétails qui constituent leurs seuls moyen et raison d’être. Par ailleurs, la fermeture de la zone des pâturages aux éleveurs mauritaniens ne semble pas en phase avec le désenclavement offert par la Mauritanie au Mali. Il va falloir s’armer de patience et de vigilance.
En attendant l’aboutissement du processus, il convient de garder à l’esprit que le peuple mauritanien est convaincu que le peuple malien n’est pas son ennemi, tout autant que le peuple malien est convaincu que le peuple mauritanien n’est pas son ennemi. La question qui se pose est de savoir si les Forces Armées Maliennes sont, elles, convaincues que le peuple mauritanien n’est pas leur ennemi.
Mohamed Lemine Ould Taleb Jeddou