Les vaches, les chèvres et les moutons sont morts. Les chameaux, je n’en sais rien. Ils errent, peut-être, quelque part dans l’immensité désertique. Ou seraient-ils, mes chameaux, morts, carcasses d’ossements éparses, ensevelies sous des dunes de sables, excitées par la sécheresse. Peut-être bien qu’il en reste un quelque part, possédé d’une marque d’une tribu aguerrie, qui tient encore tête contre vents et aridité.
Je suis resté sans rien. Un âne. Un seul âne, qui nous a été légués, par notre défunt père. Mint El Bar, celle-là, qui inspira un jour lointain l’apprenti-poète, contre un chameau, justement, pour l’autre poète, le maître de la rime et du mètre, c’est une histoire bien ancienne. Le désert ne saurait plus abriter d’égérie. Sa poésie, je n’en ai attrapée, quand j’ai attrapé que quelques phonèmes désarticulés, des hémistiches exsangues, des vers boiteux. C’est dire que l’âne ne saurait servir de quelque prétexte pour que je puisse jouer dans la cour des grands. Puisque de cour, il n’en demeure et de grands aussi.
J’ai enterré la dernière malle pleine de livres sous le grand acacia que nous disions centenaire. Sur le dos de l’âne, j’ai transporté ma mère et mon unique sœur, jusqu’à Ouad Naga. Je suis resté deux jours dans cette bourgade, espérant vendre l’âne à un prix, qui me permettrait de boucler et les frais de mon voyage vers Nouakchott et me servirait d’une assurance de la possibilité d’une nourriture pour mes premiers jours en ville, le temps que je me relève de mon épouvante traversée. A la veille du troisième jour, j’ai pu me débarrasser de l’âne ; et continué la route vers la ville de Nouakchott.
Je connaissais très bien Nouakchott, où j’avais séjourné à plusieurs reprises, auparavant, pour des besoins différents, à chaque fois. La dernière fois, c’était pour me procurer un terrain dans le quartier de Toujounine. C’était une acquisition à laquelle je n’ai jamais songé auparavant, malgré les conseils insistants de mes cousins. Beyane, me disait d’aucun, vends une partie de ton cheptel et achète un terrain dans cette ville naissante. Ce n’est qu’après la mort de Hayane, mon père, dont la maladie m’a amené auprès de lui à Nouakchott pour s’occuper de ses soins, que j’ai compris qu’il fallait, non seulement acheter un terrain, mais y bâtir un gîte. Chose que j’ai faite cette année, où il a plu des cordes dans nos contrées. C’est alors que j’ai vendu quelques têtes de mon cheptel et investi le produit de cette vente dans une maison dans ce quartier excentré du cœur de la ville. Je l’ai bien refermée après sa finition et j’ai confié les clés à un commerçant à qui j’ai loué une pièce donnant sur la rue, pour y faire boutique.
J’avais quelques connaissances en ville. J’avais les amis, qui m’y avaient précédé. Certains faisaient du commerce, d’autres des services divers, couturiers, coiffeurs, chauffeurs, imams de mosquées...etc. D’autres voyaient un peu plus loin et intégrèrent l’école publique. Beaucoup d’entre eux refusaient de s’occuper de quoi que ça soit. Ils passaient leur temps à faire la rotation entre les familles des premiers. Ils déjeunaient, ici. Ils dinent là-bas. Et répartissaient leurs soirées de sommeil chez celui-ci, tantôt, ou celui-là.
Quant à moi, j’avais mon propre projet. Il n’était pas question de me diluer dans la ville et y perdre mon nom, tout bêtement. J’avais, disons, un nom à restaurer, en ville. Je portais un nom enseveli, qu’il m’incombait de déterrer, le maintenir debout, mais cette fois-ci en ville. En ville, j’avais compris cela, depuis longtemps déjà, en l’observant de loin, il fallait ruser un peu pour se faire une place. La restauration d’un nom construit entre deux dunes, empruntant des itinéraires aussi variables que les saisons, nécessite une autre forme de légitimité, une reconnaissance particulière. Et Nouakchott était déjà une ville. Il me fallait négocier. Oublier ma rigidité campagnarde. Je devais accepter Nouakchott. Rien à faire. Il fallait donc qu’elle prenne un peu de moi, Nouakchott ; et que je prenne, aussi, un peu d’elle pour s’entendre et que je puisse reconquérir mon nom. Le nom de ma famille, rendue célèbre, dans le désert, grâce au rayonnement de notre mahadra familial.
Après le décès de mon père, la sécheresse a tout décimé. Elle nous a tout pris. Même nos disciples se sont éparpillés et ont rejoint les leurs, en quête d’un pied à terre de survie quelque part, en cette période de redoutable disette.
J’ai gagné la ville pour recoller les morceaux d’un nom, dont ne m’est parvenu qu’un fragment de quelque chose, avachi et précaire. Il faut dire que les possibilités qui s’offraient, à moi et au nom que je portais, n’étaient pas nombreuses. Certes, Je devais poursuivre les préceptes de mes aïeuls ; mais les accommoder des codes et contraintes urbaines.
A suivre…
Mint Beyane