Entre la Mauritanie et le Mali rien ne va plus. Ou presque. Pour cause, la disparition et l’assassinat de plusieurs citoyens mauritaniens chez notre voisin, victime depuis des années d’attaques terroristes. Devant ces crimes récurrents, la Mauritanie a élevé le ton. En convoquant tout d’abord l’ambassadeur malien en poste à Nouakchott pour lui signifier la vive protestation de la Mauritanie qui suspecte les forces armées maliennes d’être impliquées dans ces massacres. Des mauritaniens ont manifesté pour demander au gouvernement d’agir.
Après avoir exprimé sa compassion au gouvernement mauritanien et aux parents des victimes, le gouvernement malien a nié l’implication de ses militaires et annoncé l’ouverture d’une enquête. Puis le colonel Assimi Goïta, chef de la junte malienne, câblait Mohamed Cheikh El Ghazwani pour le rassurer. Et d’expédier à Nouakchott une délégation de haut niveau pour éteindre le feu qui couve. Avant d’arriver, ladite délégation conduite par le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop exprimait le souhait de rencontrer le président mauritanien. Cette décision ne semblait cependant pas suffire à Nouakchott dont les médias officiels ont passé sous silence, toute une journée, l’arrivée de la délégation des plénipotentiaires dans la capitale. Preuve, s’il était besoin, du courroux de Nouakchott contre son voisin tardant à réagir contre des massacres répétés de nos concitoyens. C’est peut-être pourquoi la mission n’a pas été reçue en audience par le président Ghazwani. Elle a dû se contenter de séances de travail avec une délégation mauritanienne comprenant le ministre des Affaires étrangères, celui de la Défense et le chef d’état-major des armées mauritaniennes. Et nos visiteurs de s’atteler à dédramatiser les évènements, exprimant leur détermination à trouver, avec la Mauritanie, des solutions à ces actes récurrents. Dans un communiqué conjoint publié samedi après-midi, les deux pays ont annoncé la mise en place d’une commission ad hoc et l’organisation de patrouilles communes à la frontière. La Mauritanie sera informée de l’évolution et des résultats de l’enquête sur les crimes commis contre ses citoyens. (Voir en encadré les points d’accord).
Tout cela suffira-t-il à décrisper la tension entre des pays-frères qui entretiennent de bons rapports de voisinage ? Les mauritaniens et maliens vivants de part et d’autre de la frontière la traversent quotidiennement, les éleveurs pâturant sans en tenir compte. Des milliers de mauritaniens commercent au Mali et nombre de malien sont investi, depuis quelques années, la capitale mauritanienne. Avec l’installation du terrorisme chez notre voisin, des vols de bétail et autres trafics de marchandises, drogues, voire pièces d’état-civil et armes, se sont développés dans les zones frontalières. La Mauritanie s’inquiète de voir les mercenaires du groupe Wagner intervenir à ses frontières; ce contingent soutient les forces armées maliennes FAMA dans leur lutte pour la reconquête de leur territoire. Et il est connu pour ses méthodes musclées, ce qui pourrait pousser les populations maliennes à se réfugier en Mauritanie. Des terroristes pourraient-ils s’y mêler avant de retourner opérer au Mali ?
Des milliers de nos voisins ont déjà trouvé accueil en Mauritanie, un grand camp est installé à M’Berra au Hodh ech-Chargui. Plusieurs membres des groupes armés de l’Assawad qui combattaient le gouvernement de Bamako avaient, sous le régime d’Ould Abdel Aziz, pignon sur rue à Nouakchott, ce qui agaçait fortement les autorités maliennes. Tous deux membres du G5 Sahel, les deux pays frères n’étaient-ils pas censés combattre ensemble dans la force conjointe ?
Contexte d’embargo
Mais à l’heure où le Mali subit un rude embargo –ce pays enclavé ne peut plus utiliser les ports de la Côte d’Ivoire et du Sénégal pour ses importations et exportations –il a vraiment besoin de la Mauritanie. Non membre de la CEDEAO et bien que candidate à sa réintégration dans l’organisation ouest-africaine, après avoir signé un accord d’association en 2017, la Mauritanie avait accepté d’ouvrir l’accès de son port à son voisin. Cinquante-trois camions remorques chargés de coton sont ainsi arrivés à Nouakchott le 5 Mars, une délégation de la Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles (CMDT) y a dernièrement séjourné. Son directeur se réjouissait, à l’occasion, de la diversification des corridors de son pays.
Mais le coup de froid qui souffle sur les relations entre les deux pays pourrait-il compromettre cette bonne volonté mauritanienne ? Le Mali soupçonne certains groupes de chercher à nuire au voisinage entre les deux pays qui doivent aujourd’hui rapidement retrouver la plénitude de leur coopération pour éviter le développement du désordre à leur frontière. Et la reprise des combats entre les groupes du Nord et en certaines régions du Mali doit inciter les deux voisins à beaucoup de prudence : la Mauritanie est épargnée depuis 2011 d’attaques terroristes, c’est un acquis qu’il faut préserver. Espérons donc que les termes du communiqué conjoint sanctionnant la visite de quarante-huit heures de la délégation malienne permettront de faire baisser la tension…
DL
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ENCADRÉ
Extraits du communiqué conjoint entre les deux pays
Mettre en place une commission conjointe ad hoc chargée de faire la lumière sur les derniers événements d’ElAtaye (El Ghattaye) qui entamera son travail dans les meilleurs délais ; partager, dans les meilleurs délais, les résultats de l’enquête diligentée par le gouvernement de la République du Mali relativement aux événements du 17 Janvier 2022 à Akor ; sanctionner aussi sévèrement que la législation malienne l’autorise, les auteurs de ces crimes odieux ; fonder un cadre conjoint de concertation, de mutualisation et de partage d’information afin de prévenir efficacement de pareils événements ; organiser des patrouilles conjointes le long de la bande frontalière.
Fait à Nouakchott, le 12 Mars 2022.
Pour la délégation mauritanienne, le ministre de la Défense nationale Hanana ould Sidi ;
pour la délégation malienne, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération Internationale Abdoulaye Diop.