L’affaire de « Rebinit’ El Ataye » qui a défrayé la chronique tout au long de la première quinzaine de ce mois de Mars restera sans doute un événement sans précédent dans l’histoire des relations entre la Mauritanie et le Mali.« 5 Mars » et « Rebinit El Ataye » serviront désormais de mots-clés pour situer l’événement le plus grave survenu sur le plan sécuritaire entre nos deux pays-frères, la Mauritanie et le Mali.
Tous les Mauritaniens, de leur Président au plus humble citoyen ont eu, tout au long de cette semaine, le regard tourné vers la frontière Sud-est de notre pays. À raison d’ailleurs. Après la confirmation de l’exécution de sept mauritaniens égorgés sauvagement le jeudi 20 Janvier 2022, est venue s’ajouter cette histoire invraisemblable de mauritaniens enlevés au forage Sud le 5 Mars 2022 qui auraient été retrouvés tués et brûlés à Dembayttin Djiar, à quatre kilomètres du lieu de leur enlèvement.
Des tissus de mensonges qui manipulent l’opinion publique?
La situation est tellement grave et préoccupante qu’il est vivement « recommandé » – diplomatie oblige – aux autorités mauritaniennes de chercher à voir très clair dans cette affaire pour avoir le cœur net. Si les « enlèvements » ont réellement eu lieu et ont été « confirmés » par de « soi-disant » témoins oculaires, on ne connait officiellement rien, à ce jour, sur les auteurs de cet enlèvement, le nombre exact et le sort des personnes enlevées, ainsi que les raisons de ce rapt. On ne sait même pas si ces personnes sont mauritaniennes, maliennes ou de double nationalité. C’est avant tout pourtant la première chose importante à connaître. Si ces personnes sont mauritaniennes, les autorités maliennes doivent aux autorités mauritaniennes des explications officielles sur les raisons et les circonstances de ces incidents graves qui accusent des éléments des FAMA. Si ces personnes sont de nationalité malienne et même si elles sont de race maure, originaires de Bassiknou, Fassala Néré ou Adel Bagrou, les autorités maliennes n’ont aucun compte à rendre aux autorités mauritaniennes. Parce que ce serait une affaire intérieure au Mali, qui s’est déroulée à l’intérieur de son territoire de ce pays et qui relève plutôt du Droit international humanitaire.
Si ces personnes ont la double nationalité – ce qui est bien possible et banal dans toute zone frontalière – c’est encore une autre histoire qui demande de savoir pourquoi ces personnes sont « maliennes » le matin et « mauritaniennes » l’après-midi. Et même si c’était le cas, ce sont des maliens, puisqu’au moment des faits, ils se trouvaient précisément dans l’un de leurs deux pays et pas dans l’autre. Si même on passait sous silence ces détails importants et qu’on considère que les personnes enlevées et exécutées sont des mauritaniens de nationalité, paisibles citoyens et « rien » que des éleveurs innocents, les autorités mauritaniennes ne peuvent ni doivent se fier à des vociférations de rumeurs qui peuvent être répandues à la seule fin d’intoxiquer l’opinion ou envenimer une situation déjà explosive. C’est d’ailleurs pourquoi la sagesse diplomatique l’a emporté sur la violence verbale de personnes parfois manipulées pour des raisons ou intérêts politiques, en tout cas à la solde de l’incohésion sociale et adeptes du désordre public.
Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les évènements se sont déroulés le samedi 5 Mars à « Rebinit El Ataye » Sud. Pour tout le reste, les témoignages vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux et publiés par divers organes de presse ne sont que des tissus de mensonges basés sur des informations contradictoires pleines de contrevérités et vides d’éléments tangibles pouvant servir de preuves irréfutables situant les responsabilités. Seule l’enquête décidée par les deux parties (malienne et mauritanienne) pourrait éclairer sur les faits tels qu’ils se sont déroulés, l’identité réelle des personnes enlevées, de ceux qui les ont enlevées, les circonstances et les raisons du massacre. Mais ce qui est certain en tout cas, c’est que les deux vidéos qui circulent largement sur les réseaux sociaux jettent de d’huile sur le feu et ne sont que des « montages d’alertes verbales » destinées à provoquer des réactions en chaîne des citoyens. C’est la conclusion à laquelle on parvient en décortiquant chacune des vidéos.
Du cinéma-vidéo pour jouer sur la corde sensible des Mauritaniens
En ce qui concerne la première où s’exprime Mohamed Lemine ould Néma et qui donne l’impression de résumer avec « fidélité » tous les tenants et les aboutissants de cette affaire, on constate que les informations ne reposent pratiquement que sur des rumeurs. Si l’homme qui passe pour être une personnalité crédible parle au début de quarante-quatre personnes enlevées et tuées, il se contente plus loin de vingt-neuf, trente et trente-cinq personnes, sans pouvoir être précis. Puis il déclare être parti lui-même avec « d’autres » ( ?), sur instructions du chérif El Ataye pour pister le convoi et qu’à quatre kilomètres du lieu de l’enlèvement « ils » auraient découvert un corps puis un autre avant les quarante-quatre autres brûlés. Et, troisième élément qui donne peu de crédit à cette sortie vidéo, il dit que « l’assassinat a été confirmé par une personne digne de foi ». Finalement, on est en droit de se poser la question de savoir si c’était lui qui avait découvert les corps ou un autre qui lui en avait rendu compte, ce qui signifie qu’il avait, lui, simplement joué à la « caisse de résonnance ».
La deuxième vidéo publiée par la plateforme « Ehel Néma » meten scène Moulaye Ismaïl ould Mourtéji. Ce dernier déclare que la 2ème ou 3ème nuit – il ne se souvient plus laquelle exactement – il s’était rendu lui-même sur le lieu du massacre et n’avait pu identifier que quatre corps. Ceux de Mohamed ould Braïka, Ahmed ould Boubacar, Ebaye Ould El Hassen et du fils de ce dernier. Difficile de croire que ce témoin ait pu se rendre de nuit (comme il le dit) à bord d’un véhicule sur le lieu du massacre dans une zone de très haute insécurité. Par simple curiosité ou chercher à identifier des corps ?
Il y a d’autre part dans le témoignage de cet habitant de la zone, un élément plus troublant encore. Ould Moulaye Ismail précise qu’il a découvert le corps d’un touareg du nom d’Himbarkatué d’une balle dans la tête non loin du tas des cadavres. Mais il ajoute que le touareg fut abattu alors qu’il tentait de sauter du véhicule pour échapper aux militaires. Comment comprendre que Moulaye Ismaïl arrivé sur le lieu du massacre que la 2ème ou 3ème nuit après la descente de l’armée malienne ait su qu’Himbarké le touareg avait été tué alors qu’il tentait de s’échapper de leur véhicule ? Était-il présent sur les lieux au moment des faits pour être si affirmatif ou est-il un « policier légiste » pour arriver à une telle conclusion grâce à je ne sais quels indices ? La vérité est que son témoignage n’est qu’un tissu de mensonges qui ne repose que sur le relais d’informations et de faits rapportés qui circulent sur la toile pour intoxiquer l’opinion.
En conclusion, tout donc semble militer en faveur d’une propagation « accélérée » d’informations très alarmantes dont le but est de manipuler l’opinion publique. Sinon comment expliquer que Moulaye Ismaïl le « témoin oculaire »– vrai-faux témoin… – soit tellement affirmatif sur le nombre de personnes composant le tas des victimes exécutées, s’il n’a pas procédé lui-même et en personne au décompte macabre…ce qui est impossible si les corps étaient brûlés ou décomposés. Et l’on peut aussi se poser la question de savoir comment se fait-il qu’il ait pu identifier l’un des cadavres à sa jambe « cramée » et pas les autres ?
Tissus de mensonges ? Propagande fallacieuse ? Tentative d’induire les autorités locales et nationales en erreur par la propagation de fausses informations ? Pourquoi et dans quel but ? On est en droit de se poser cette question. Les descriptions des cadavres par Moulaye Ismaïl ould Mourtéji correspondent exactement aux images qui circulaient à la même période sur les réseaux sociaux décrivant le massacre de Niono où l’on voyait des corps brûlés, certains avec des intestins et des viscères exposés à l’air. Mais, il faut peut-être le préciser, ces images d’une quarantaine de personnes, toutes noires, sont probablement celles de peulhs mais pas maures arabes.
Un enlèvement et un « massacre » qui cache des dessous de table dont personne ne veut parler ?
Dans sa vidéo, Mohamed Lemine ould Néma rapportait un élément qui peut aider à comprendre un peu plus les raisons qui ont poussé les FAMA à prendre et ligoter tous les hommes présents sur le forage Sud le samedi 5 Mars. Dans cet audio-vidéo, Ould Néma précise que les militaires maliens avaient procédé à des perquisitions aux domiciles des villageois. C’est un détail important. Ce n'est un secret pour personne et tout le monde le sait : les militaires en zone de conflit n’effectuent des perquisitions de domicile que sur la base de renseignements indiquant que des activistes, voire des terroristes, se confondent à la population, et/ou que des armes et des munitions soient cachés dans une zone d’habitation.
C’est un premier élément. Un autre porte sur le nombre de personnes qui se trouvaient sur le site du forage tôt dans la matinée du samedi 5 Mars. Cinquante-et-une, si l’on prend en compte les détails fournis par Mohamed Lemine lui-même qui parlait de quarante-quatre personnes assassinées et sept ligotées qui n’avaient pas trouvé place dans les véhicules militaires.
En outre pourquoi Mohamed Lemine ould Nema a-t-il occulté, dans sa déclaration, l’information concernant le véhicule mauritanien qui aurait tenté d’échapper au contrôle de la patrouille malienne ? Ce véhicule sur lequel les FAMA avaient ouvert le feu blessant deux mauritaniens. Et si le touareg Himbarka retrouvé tué d’une balle dans la tête, selon Moulaye Ismaïl ould Mourtéji, se trouvait lui aussi dans le véhicule des Mauritaniens ? Cela peut expliquer qu’il ait sauté pour ne pas compromettre des mauritaniens ce qui les impliquerait, de toute évidence, dans une association avec des malfaiteurs, justifiant ainsi qu’ils fussent recherchés?
Des mauritaniens et des maliens confondus dans des complicités de terrorisme ?
Il est évident qu’il ya du « roussi » dans cette affaire qui n’a pas révélé tous ses secrets. Après le massacre des sept mauritaniens du jeudi 20 Janvier 2022, un habitant de la zone avait affirmé que l’acte ne pouvait être commis que par des soldats maliens. Soutenant sans vouloir le dire que les Peulhs très liés aux Mauritaniens par des intérêts communs n’ont jamais posé de problèmes de cohabitation. C’est peut-être vrai. Mais ce mauritanien semblait amnésique au point d’oublier que les Peulhs – ceux du Macina en particulier – sont en conflit ouvert avec l’armée malienne. Ce qui peut, par effet d’entraînement, exposer à des dangers les mauritaniens qui traitent avec ces peulhs dans des affaires sortant de « l’ordinaire ».
Mali-Mauritanie, une frontière dorsale de tous les dangers
La frontière entre la Mauritanie et le Mali forme une dorsale de 2237 kilomètres comme un mur de séparation. Elle est en grande partie désertique, inaccessible et donc véritable « nomans’land » où ne peuvent s’aventurer que des groupements militaires spéciaux d’intervention. C’est la Mauritanie qui « verrouille » cette zone depuis 2008 par le déploiement en permanence de tels groupements. Cette frontière pose son dos sur l’Azawad –une région indépendantiste…– et étend ses jambes sur trois autres régions du Mali. Celles de Koulikoro, Ségou et Mopti – le centre du pays, donc – un véritable volcan qui gronde près d’une poudrière : Niono, Mouridiah, Nampala et Mopti ; reliée à une mèche imbibée qui passe par une brèche à la pointe Sud-est du pays ouverte sur la Mauritanie où se situe le mouchoir de poche Fassala Néré, Bassiknou, Amourj et Adel Bagrou. Les activités commerciales et économiques dans le cercle fermé Bassiknou Amourj et Adel Bagrou en Mauritanie ; Niono, Mouridiah, Nampala et Mopti au Mali ; sont devenues, depuis la réactivation du terrorisme au Mali, un véritable casse-tête à trois variantes pour les deux pays. Une variante économique et commerciale, une variante sécuritaire et une variante diplomatique.
Si les populations de Bassiknou et Fassala-Néré en Mauritanie « s’échangent des ustensiles » avec les populations de Léré, Gao et Goundam, localités aux portes de l’Azawad peuplées de maures d’origine Kounta, Lamhar et Tejakanit, les populations d’Adel Bagrou et Amourj sont, elles, tellement confondues aux populations maliennes qu’elles peuvent passer leur journée en Mauritanie et traire leurs vaches le soir au Mali. Mais les habitants des localités d’Amourj et Adel Bagrou n’ont pas, en face d’elles, que des maures mauritaniens, maliens ou les deux à la fois. Ces populations qui se considèrent dans la région de Mopti, (2 037 000 habitants) comme chez elles, se confondent par intérêt aux autochtones maliens qui sont, eux, des peulhs, des dogons, des bozos et des songhaïs. Les maures de Mauritanie et les peulhs du Mali sont très liés les uns aux autres par divers intérêts. Les mauritaniens possèdent des centaines de milliers de caprins et surtout de quantités incalculables d’ovins, un environnement économique où évoluent les Peulhs, eux aussi très grands éleveurs.(À suivre).
Mohamed Chighali