Certains secteurs ou créneaux sont presque exclusivement réservés aux hommes. On peut citer à cet égard la logistique et le transport (fret). Habibatou Sidi est à ce jour la seule femme à avoir brisé ce mythe en ce secteur où elle évolue depuis 2003. Rencontrée le 8 Mars dernier, elle nous brosse son parcours professionnel mais également de mère de famille.
Une femme sur le quai
Habibatou Sidi s’occupe non seulement de la logistique mais également du transport maritime, aérien et terrestre. Sa zone de prédilection est le port autonome de Nouakchott où elle dirige les opérations d’embarquement et débarquement du fret, ce qui la met en contact direct avec les dockers. Elle y passe des heures sur le quai pour superviser directement le travail. Elle a su ainsi vite s’imposer dans ce milieu exclusivement masculin et entretient de bons rapports avec toute l’administration du port et ses opérateurs.
Est-ce machisme de ce milieu qu’on n’y rencontre pas de femmes ? « Non », répond cette très dynamique entrepreneuse, « je pense que c’est tout simplement parce que les femmes n’ont pas osé s’y aventurer, alors qu’elles sont capables et ont un réel potentiel. Je profite de l’opportunité que vous m’offrez pour leur lancer un appel : prenez votre courage à deux mains, venez vous investir dans le créneau de la logistique et du transport ! Il y a de nombreuses opportunités. Je sais que vous êtes capables d’imagination mais également d’initiatives. Faites-les éclore au profit de vous-mêmes, de votre famille et de votre pays ! », conseille-t-elle avant d’avertir : « dans l’entreprenariat, il faut de l’audace, il faut oser prendre des risques ». Et la directrice d’Arkas Line de rappeler au passage que les femmes ont fait leurs preuves dans la microfinance, grâce à leur sérieux que toutes les banques et institutions financières relèvent unanimement : « elles honorent leurs engagements en remboursant leurs prêts à temps. C’est un atout qu’il faut exploiter ».
Mère conseillère des porteurs
Réputée femme de poigne et d’engagement, Habibatou joue le rôle de mère, sœur et confidente pour de nombreux dockers du PANPA. En plus de clairs rapports de travail, elle leur apporte conseils, soutien moral et financier. C’est dire que le social est pour elle un élément très important pour instaurer un climat de confiance au sein d’une entreprise et donc motiver les employés.
À la question de savoir comment elle réussit, compte-tenu de ses multiples occupations au Port, à concilier la vie de famille et ses activités professionnelles, cette femme d’affaires indique qu’elle réussit bien à les gérer sans accrocs. « Il y a des moments particulièrement difficiles, je l’avoue, il vous arrive d’avoir sur le dos plusieurs bateaux à charger ou débarquer et me voilà obligée de passer trois jours au port mais, Dieu merci, je ne me plains pas beaucoup, j’ai des filles qui pallient sans aucun problème à mon absence à la maison ; elles sont, comme on dit, majeures et vaccinées ». Seraient-elles intéressées par la profession de leur maman ? « Je ne sais pas vraiment mais j’avoue que même si je ne peux ni veux influer sur leur choix, j’aimerais quand même voir au moins l’une d’elles assurer la relève sur le quai.
Elles doivent s’investir
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans le monde des affaires ? Habibatou Sidi reconnaît qu’elles ne déméritent pas, ont le potentiel et les atouts, certaines font leurs petits pas et finiront certainement par s’imposer : « C’est une bataille que nous devons gagner », affirme-t-elle, convaincue que la situation évolue. Et c’est justement parce que celle-ci évolue que la directrice des opérations du groupe Azizi est membre depuis 2010 d’African Women (AWEP) qui rassemble plus de deux mille cinq cents femmes africaines actives dans le transport et la logistique.
« Nous sommes un groupe de femmes très soudées et travaillons en réseaux dans nos différents pays. Si j’ai besoin de quelque produit ou éprouve des difficultés au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, par exemple, je peux faire appel à une consœur membre d’AWEP pour me les régler sans me déplacer. C’est un réseau très solidaire », se félicite-t-elle.
Comme toute bonne mère de famille et mais aussi chef d’entreprise, Mint Sidi se dit préoccupée par la guerre en Ukraine. « Ce pays produit 54% du blé mondial et notre pays en est un grand consommateur. Nous risquons souffrir de ce conflit si loin de nos frontières ». C’est pour parer à ces éventualités qu’elle demande aux autorités nationales de bien vouloir prendre l’avis des femmes dans les plans et programmes de développement de la Mauritanie. Ainsi pourront-elles, comme les jeunes, contribuer au développement de leur pays. Elle souhaite leur implication dans l’agriculture : « nous sommes un pays fort d’un immense potentiel : terre, eau et bras ; nous avons les possibilités de bénéficier d’appuis de partenaires techniques et financiers pour mettre en valeur nos terres et tendre ainsi vers l’autosuffisance dans plusieurs produits agricoles. Il suffit pour cela de se mettre au travail. Les femmes et les jeunes peuvent être un fer de lance dans ce combat. Il suffit de leur octroyer des terres pour atteindre notre objectif ».
Pratiquant le maraîchage à son domicile sis à la Cité-plage de Nouakchott : légumes et arbres fruitiers ; la directrice des opérations d’Arkas Line pense qu’on doit tirer leçons des insuffisances du Programme SAFIRE qui proposait d‘octroyer 100 m² à des jeunes. « On peut aller au-delà. Ainsi pourront-ils contribuer au développement de leur pays. Le pari peut être gagné, j’en suis convaincue ». On entend bien qu’il peut l’être avec de telles femmes. Bravo et en avant, Habibatou !
Dalay Lam