La Mauritanie, victime collatérale du conflit : L’Ukraine et nous

10 March, 2022 - 00:08

Le titre peut paraître sans objet pour certains. La Mauritanie est très loin de cette guerre consécutive à l’invasion de ce pays par la puissante Russie, avec les risques d’utilisation d’armes non conventionnelles brandies par Poutine face à l’Occident. Espérons qu’on n’en arrivera pas là, Hiroshima fut une douloureuse expérience pour toute l’Humanité et devrait donc inviter les uns et les autres à la raison. Cela dit, la Mauritanie est certes très éloignée de ce champ de bataille mais le monde d’aujourd’hui, on ne doit jamais l’oublier, est un village planétaire dont continents et pays ne sont plus que des quartiers. Les uns et les autres sont interdépendants.

La Mauritanie est un de ses quartiers pauvres et dépend pour l’essentiel de l’étranger. Principalement pour les produits vitaux mais également énergétiques.  Avec ce qui se passe en cette partie de l’Europe et les sanctions prises contre la Russie, tous les pays du monde risquent d’en pâtir et les plus faibles comme le nôtre pourraient prendre un sacré coup. Réputés gros producteurs de pétrole et de gaz, la Russie et l’Ukraine le sont aussi de blé – Ukraine, 4ème exportateur mondial de blé… – et de maïs, des produits très prisés dans le Monde et en Mauritanie qui en consomme beaucoup. La guerre va perturber le commerce international. Les plus réactifs changeront vite de stratégie, les autres resteront à la traîne… Après seulement quelques jours de conflit, les prix des matières premières se sont affolés : à commencer par le baril de Brent qui tutoie les 140 dollars et cela va tirer en conséquence tous les autres produits vers le haut.

 

Aggravation de la hausse des prix ?

Comme la plupart des pays africains et du Tiers-monde, la Mauritanie importe l’essentiel de ses besoins de l’étranger. Et depuis des années, les prix des produits vitaux n’ont cessé d’augmenter, affectant fortement les citoyens démunis. Ces deniers temps, c’était le COVID-19 déréglant le transport international qui en était déclaré responsable. Et même si l’on observe une légère éclaircie, celui-ci reste encore et toujours sous tension. La guerre au cœur de l’Europe, dans des pays greniers du vieux Continent et producteurs de pétrole, de gaz et de blé, ne va pas arranger les choses. Selon Terre-net, la tonne de blé dur a atteint, le 6 Mars 2022, 405 euros ; le blé tendre 393 euros et le maïs 300 euros…

« Avec un baril de pétrole à plus de 100 dollars, aucun pays n’échappera aux contrecoups de la guerre en Ukraine », annonce un économiste de la place, « ils ne vont pas tarder à se faire ressentir jusque dans notre pays. Les prix au niveau mondial sont régis par les bourses et le risque de voir une nouvelle fois s’envoler les prix des produits, surtout les plus vitaux, est réel ». À la question de savoir ce que l’État peut faire au cas où la situation se dégrade davantage, notre économiste se demande si celui-là est prêt à subventionner les produits vitaux ou à baisser les impôts. Mais est-il prêt à consentir ces sacrifices ? « La hausse attendue du prix du fer et de l'or pourrait ne pas compenser les impacts de la guerre », estime l’expert…

Une chose est déjà sûre : les efforts consentis par les pouvoirs publics à travers les boutiques Emel mises en place bien avant la pandémie et renforcées par celles du Patronat peinent à endiguer la hausse des produits vitaux. Accusée de faire monter les prix à la guise de ses membres, la Fédération nationale du commerce rejette la responsabilité sur le COVID, la faiblesse des capacités et les lenteurs au Port Autonome de Nouakchott (PAN). Coïncidence ou pas, une cargaison de 25 000 tonnes de blé importé par l’État a été débarquée le 5 Mars au PAN. Une entrée, apprend-on, pour les programmes sociaux de l’État.

« Cette guerre devrait avoir de sérieux impacts négatifs », ajoute un autre économiste, « sur les prix de l’énergie – pétrole et gaz – et sur la disponibilité – et donc le prix – d’une céréale aussi importante pour les Mauritaniens que le blé. Il devrait en être de même pour certains engrais très utilisés dans la riziculture ». Et, tout comme son collègue interrogé tantôt, « ces impacts ne seront pas suffisamment compensés, pour nous Mauritaniens, par la hausse attendue des cours des minerais », conclut-il.

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Quelques réactions

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Mohamed Baro, DG d’IBM : « Nous allons être affectés par ce conflit au cœur de l’Europe, la tension que connaît le transport international maritime depuis le COVID-19 pourrait s’amplifier et entraîner du coup les prix des autres produits. Notre économie est extravertie, elle dépend, comme vous le savez, pour l’essentiel de l’extérieur. La flambée du prix de l'énergie va engendrer un coût supplémentaire du transport du fret : effet d'entraînement. Que feront nos autorités pour maîtriser l’impact sur le coût de la vie des citoyens ? Vont-elles mettre en place un plan de résilience parallèlement au plan de relance post-COVID-19 ? Vont-elles subventionner certains produits ? Ce sont là des questions cruciales. J’avoue que c’est une situation difficile à laquelle tous les pays doivent faire face.

 

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Samory Bèye, SG CLTM : « La guerre en Ukraine aura sans nul doute des effets très néfastes sur la hausse des prix en Mauritanie. Particulièrement pour le blé dont notre pays est grand consommateur, tant pour les populations que pour le cheptel. La guerre empêche l’Ukraine d’exporter son blé et donc approvisionner le marché mondial. Cette situation est très préoccupante dans la mesure où notre pays connaît depuis quelques années déjà une hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité. Si les prix de transport international augmentent, cela aura un effet d’entraînement sur les autres produits. Il s’attendre donc à de grands bouleversements comme ceux occasionnés par la pandémie. Nous attendons de voir comment le gouvernement réagira face à une situation qui risque d’impacter négativement la vie de nos concitoyens ».

 

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Gourmo Lô, vice-président de l’UFP : « La guerre en Ukraine aura des répercussions économiques et financières mondiales. Chez nous, il est probable que s'ensuive une hausse des prix de certaines denrées comme la farine de blé et de maïs dont les protagonistes du conflit sont les principaux producteurs mondiaux. Il est attendu également qu'il y ait une répercussion directe sur les prix du gaz et du gasoil étant donné le rang de la Russie dans le secteur-clé des hydrocarbures. Par ailleurs, il y aura sûrement un effet d'entraînement (boule de neige) sur tous les autres prix dans le commerce international, notamment à cause du renchérissement des transports internationaux, des denrées de nécessité vitale, etc. »

 

 

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Moma mint Bah, responsable de l’Association pour la défense des consommateurs : « Les effets de la guerre en Ukraine ont été ressentis sur le marché de Nouakchott dès les premiers jours à travers la hausse des prix du blé. On remarque aussi une diminution du poids des miches de pain.  Nous avons aussi entendu dire que les autorités ont interdit la réexportation du blé vers d’autres pays… mais nos commerçants aiment beaucoup spéculer ».

 

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Moctar, commerçant ambulant : « C’est loin la guerre d’Ukraine, nous voyons à la télévision les dégâts qu’elle cause là-bas, en espérant qu’elle ne va pas rendre encore plus difficiles nos conditions de vie, d’une part, ou, pire, entraîner le Monde dans la 3ème Guerre mondiale, Poutine n’excluant pas d’user du nucléaire contre ceux qui apportent une aide militaire à l’Ukraine. Qu’Allah nous préserve ! »

 

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Zeïnabou, ménagère : « Si, là-bas, c’est la guerre pour occuper un pays, ici, nous menons la guerre pour la survie ; trouver les moyens d’aller s’approvisionner constitue pour nous un grand combat et nous craignons de voir ce conflit encore aggraver nos dures conditions d’existence par une nouvelle augmentation des prix des denrées de base ».