Grève des enseignants : guerre des chiffres
Une bataille de chiffres oppose les syndicats des enseignants grévistes au gouvernement. Évoquant un taux de réussite frôlant les 100% dans bon nombre d’établissements scolaires sur toute l’étendue du territoire national, les premiers se félicitent de « la forte mobilisation et du succès de la grève pour l'arrachement des droits ». Et, comme toujours, le gouvernement abonde en sens contraire : le ministre de la Culture, de la Jeunesse, des Sports et des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement admet, pour sa part, un taux de… 10%.
Par ailleurs, le porte-parole a souligné que les enseignants ont usé de leur droit légitime à la grève. Tout en rappelant que les autorités n’ont ménagé aucun effort pour améliorer, « dans la limite des ressources disponibles », le statut du corps professoral. Selon Mokhtar ould Dahi, des augmentations importantes ont été décidées, ainsi que la mise en œuvre d’un programme de valorisation de la profession enseignante. Quant au ministre de l’Éducation et de la réforme de l’enseignement, Mohamed Mélaïnine ould Eyih, il a qualifié, jeudi dans un post sur Facebook, la grève « d’hors contexte », après quatre mois d’année scolaire, alors que le système éducatif continue de souffrir.
Et d’ajouter que la masse salariale des enseignants a bénéficié des plus importantes augmentations, dépassant les sept milliards MRO en 2020 et 2021, avant d’approcher les quatre milliards en 2022, le tout destiné aux enseignants directement impliqués dans le processus scolaire et universitaire. Il rappelle également que l’indemnité d’éloignement a augmenté par deux fois pour atteindre 150% et que celle de la craie a été payée pour douze mois, au lieu de neuf, et élargie aux directeurs des établissements, avant l’actuelle augmentation de 50%, portant globalement son augmentation à 75%. Les indemnités d’équipement ont également doublé ; les indemnités des instances d’encadrement pourvues de 10.000 MRO, puis de 15.000 dans le budget 2022.
Dans son post, le ministre a évoqué un large recrutement destiné à combler le déficit en enseignants : quatre mille cinq cents à la demande des enseignants, en plus de mille deux cents prestataires de services, le reclassement de mille moniteurs en instituteurs et mille professeurs- adjoints en professeurs, de même que le règlement de la situation de près de six cents chargés d’enseignement. Ould Eyih s’est demandé par quelle logique cette grève pourrait être justifiée, au vu des multiples améliorations apportées par le programme du président de la République aux conditions matérielles et morales des enseignants, conditions renforcées par ailleurs par la consultation pédagogique nationale. Pour le ministre, il est illogique de faire prévaloir un mouvement de grève en s’accrochant à une pétition revendicative inscrite à l’origine dans le plan de valorisation du métier d’enseignant visant à donner une opportunité de réforme et non pas perturber le système éducatif.
Dans sa déclaration, l'instance de Coordination commune des syndicats de l'enseignement fondamental et secondaire déplorait le peu d’intérêt du département « à ouvrir un dialogue sérieux avec les organisations de l'instance syndicale qui dirige ce mouvement. Ces organisations affichent en l'occurrence cinq doléances principales, y compris l'augmentation des salaires et des indemnités des enseignants, et l'arrêt de certaines injustices qui perdurent depuis plusieurs années ».
La contestation intervient, justifie l’instance, « dans un climat tendu chez les enseignants qui poursuivent une série de grèves ininterrompues depuis 2019, sans que le gouvernement prenne des mesures convenables pour satisfaire les doléances légitimes soulevées ». Les cinq organisations syndicales signataires ont renouvelé leur « appel au ministère de tutelle à ouvrir des négociations rapides et sérieuses avec les organisations syndicales […] afin de couronner celles-là d'un « accord à contours limités et précis ».
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Gouvernement/Opposition : passe d’armes
Le gouvernement et l’Opposition se sont livrés ces derniers jours-ci à des passes d’armes à propos des tergiversations sur le dialogue. Dans une déclaration signée par huit coalitions et partis (1), l'Opposition Démocratique constate que « certains milieux [sans les nommer, ndr] cherchent encore à saper, par diverses manœuvres dilatoires, cette dynamique engagée depuis quelque temps... ». Estimant ne pas pouvoir attendre éternellement le lancement du dialogue inclusif, elle s’est employée à démolir le gouvernement « incapable », dit-elle, de faire face à la situation politique, sociale et sécuritaire du pays.
« Les conditions acceptables du dialogue étant désormais réunies, nous attirons l'attention des autorités sur le fait qu'il est grand temps de l’engager, afin de redonner espoir aux Mauritaniens et aller de l’avant dans le renforcement de la cohésion nationale, l'enracinement de la démocratie, la réalisation de la justice sociale et la mise en œuvre d’un vaste programme de développement économique et social pour la prospérité du pays ». Mais si l’Opposition Démocratique réitère sa disposition « à participer à cette dynamique, selon des délais raisonnables », elle n’en prévient pas moins qu’elle ne sera bientôt plus « en mesure d’attendre indéfiniment son hypothétique lancement, maintes fois repoussé pour des considérations incompréhensibles… ».
Tirs nourris du pouvoir
Prompte réaction du pouvoir par l’intermédiaire du porte-parole du gouvernement, monsieur Moktar ould Dahi. Celui-ci a annoncé, lors de la traditionnelle conférence de presse d’après conseil des ministres, que le retard constaté par certains, dans l’ouverture des concertations nationales est dû à « la duplicité des positions des partis d’opposition ». Et d’assurer que les partis de la majorité sont prêts et ont d’ores et déjà choisi leurs représentants.
L’Union Pour la République (UPR) n’y est pas allé non plus de main morte, accusant les partis de l’opposition de « déformer la réalité. […] Le communiqué de l’opposition à propos de la situation dans le pays et la concertation nationale comporte beaucoup de contre-vérités et ambiguïtés […] », déclare-t-il, avant d’évoquer « les multiples projets et programmes lancés par le gouvernement pour atténuer la hausse des prix et le déficit pluviométrique ». Revenant sur le dialogue national, l’UPR rappelle qu’« il est à l’origine de l’initiative, soucieux d’y associer tous les partis, alors que certains d’entre eux voulaient en exclure d’autres ». Et de conclure en réaffirmant a contrario sa détermination à ce qu’aucune partie ne soit exclue.
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(1) : Coalition Vivre Ensemble (CVE), Coalition Vivre Ensemble/Vérité et Réconciliation (CVE/VR), Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD), Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (TAWASSOUL), Union des Forces du Progrès (UFP), Union Nationale pour l’Alternance Démocratique (UNAD).