Déficit pluviométrique : Les ménages pauvres et les éleveurs exposés

17 February, 2022 - 20:22

La Mauritanie connaît un déficit pluviométrique très marqué. On s’attend à une soudure pastorale plus longue et rude que prévu, estime Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine.  C’est la conséquence directe du niveau des rendements agricoles en dessous de la moyenne d’une année normale, la baisse des revenus en lien avec la morosité de l’économie et les perspectives également en dessous de la moyenne pour les productions de saison sèche. « Le retard de semis des cultures de saison résultant du démarrage tardif de l’hivernage ainsi que l’impact des longues séquences sèches entraînent des conséquences significatives sur la production agropastorale et les perspectives de revenu pour les ménages pauvres, notamment dans les zones agropastorale et les zones de cultures », précise ledit Réseau, un des principaux prestataires d’alertes précoces et d’analyses de l’insécurité alimentaire, mis en place par l’USAID en 1985 pour aider les décideurs à planifier la gestion des crises humanitaires (voirfews.net).

Toutes les zones de pâturages du Nord et du Nord-ouest connaissent des déficits de pluie modérés à sévères, comparés à la normale, et cela a négativement affecté leur développement. Au niveau national, 78% des stations météorologiques suivis sont déficitaires par rapport à l’année dernière et 53% par rapport à la normale (1991-2020), selon le Groupe Technique Spécialisé (GTS) (Septembre 2021).Comme la plupart des pays de la bande sahélo-saharienne, la fin de la campagne agricole a été observée dès la troisième décade de Septembre avec des pluies sporadiques à faible et des cumuls saisonniers déficitaires, notamment dans lesdites zones, note le FEWS.

 

Situation  persistante

« Malgré les pâturages relativement denses dans la bande frontalière du pays avec le Mali, le surcharge de transhumants provenant des deux pays commence à épuiser lourdement ce potentiel. Les transhumances internes sont moindres, par manque de superficies pâturables. L’essentiel du cheptel transhumant reste encore cantonné dans les zones de cultures pluviales, sans pouvoir traverser la frontière à cause des champs de cultures arrivés à maturité. Mais le cheptel des zones pastorales de l’Ouest du pays (Trarza, Brakna, Gorgol et Tagant) est en grande partie en transhumance au Sénégal et au Mali. […] Pour faire face à des ressources pastorales inférieures à la moyenne, un grand nombre de ménages déstockent davantage d'animaux, créant une sur-offre sur le marché », poursuit fews.net. A ceci s’ajoute l’embonpoint inférieur à la moyenne du bétail,  contribuant à une baisse significative des prix, notamment sur les marchés de regroupement de l’Est du pays, principalement ceux des zones accusant un déficit de pâturages assez marqué (zone agropastorale des deux Hodhs, Assaba, Nord du Gorgol, Brakna et Tagant).

« Cette situation devrait persister, voire s’aggraver dans les prochains mois », prévient FEWS. « Les mauvaises conditions pastorales ont retardé le retour des transhumants et l’absence de production laitière accroît la demande sur les autres produits alimentaires. L’installation tardive de l’hivernage et l’irrégularité des pluies, la mauvaise répartition spatio-temporelle et les mauvaises conditions pastorales dans les zones à vocation pastorale ont conduit à une baisse de l’approvisionnement et accès saisonniers de lait, pénalisant les revenus que les ménages éleveurs tiraient de sa vente. Par contre, la disponibilité en lait continue de s’améliorer dans le Sud-est du pays (Est de la zone de cultures pluviales),grâce aux bonnes conditions pastorales dans ces zones ».

Rappelons que les deux principales périodes de soudure s’étalent de Mai à Septembre, pour l’agriculture, et d’Avril à Juillet, pour l’élevage. Dans toutes ces zones de moyens d’existence, les revenus saisonniers des ménages sont, cette année, nettement inférieurs à ceux d’une année normale moyenne et les deux périodes de soudure dureront un mois plus que la normale. Dans les zones à vocation agricole, la mauvaise répartition temporelle et spatiale des pluies a entraîné une forte baisse des superficies agricoles exploitables par les ménages, l’offre et la demande en main d’œuvre agricole ont été très faibles. À partir de fin-Septembre, les ménages de la zone de cultures pluviales et du sud de la zone agropastorale consomment, en année moyenne, déjà leurs productions agricoles de cultures de court cycle (sorgho, maïs, niébé, oseille et arachide). Mais le retard, cette année, des cultures consécutif au démarrage tardif de l’hivernage ainsi que l’impact des longues pauses pluviométriques ont retardé la maturation des cultures et les ménages de ces zones agricoles, comme ceux des autres zones, continuent de recourir presque exclusivement au marché pour se nourrir. La mission du Groupe Technique Spécialisé (GTS) – un groupe associant l’État et les partenaires en charge du suivi de la campagne agricole – note dans son rapport du mois d’Août 2021 que la majeure partie du walo – principale zone de cultures de décrue le long du fleuve Sénégal et du Sud-ouest de la zone agropastorale – n’a pas connu de crue assez suffisante et ne sera donc pas exploitée comme d’habitude. 

Dans les zones urbaines, la léthargie du secteur informel – tertiaire, surtout – consécutive aux impacts de la morosité économique et à la faiblesse des investissements (transferts) due à la pandémie COVID-19 continue d’affecter les revenus des ménages pauvres. La distribution de cash par les humanitaires et par le gouvernement est l’une des principales sources de revenus. Les aides des programmes humanitaires ont baissé en Septembre mais les opérations de distribution initiées par le gouvernement se poursuivent.

« L’inflation continue de peser sur les prix des denrées de base de façon générale. Ils sont en constante hausse dans tous les marchés formels. Les boutiques EMEL du gouvernement ouvertes à Nouakchott et à l’intérieur du pays ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande des ménages et celles du patronat ne concernent que Nouakchott. La hausse des prix qui ne concernait, jusqu’en Septembre, que certains produits importés touchent maintenant tous les produits, y compris les  locaux. Tous ces indicateurs nous laissent présager la précocité des périodes de soudure, d’une part, et, d’autre part, sa longueur et sa dureté sur le pouvoir d’achat des ménages pauvres »,ajoute le GTS.

 

Déficit pluviométrique marqué

La campagne agricole du pays s’est traduite, cette année, par une installation tardive des pluies et des retards dans les semis. Les longues et répétitives périodes de séquence sèche ont fortement impacté ceux-ci et la maturité des récoltes. A cela s’ajoutent les dégâts d’animaux dans les zones de cultures et comme dit tantôt, la faible crue du walo. « La faiblesse des activités agricoles génératrices de nourriture et de revenus fait que les ménages seront précocement dépendant du marché. La baisse de l’offre et la hausse de la demande maintiendront les prix au-dessus de leur moyenne jusqu’en Mai. […] La disponibilité de ressources pastorales inférieure à la moyenne contraint les éleveurs à la transhumance précoce vers les zones du Sud. […]La soudure pastorale sera plus longue et les mouvements de transhumance vers les régions du Sud et les pays voisins seront plus importants. Les éleveurs devront déstocker plus pour l’achat d’aliments-bétail et pour l’abreuvement des animaux », insiste le GTS.

« Les prochaines récoltes annuelles des cultures de contre saison devraient connaître une baisse relative par rapport à la moyenne car le faible niveau de remplissage des retenues d’eau entraînera une baisse des superficies emblavées et des rendements. […] Dans les zones urbaines, les effets résiduels de la pandémie vont limiter la demande d’emploi issue du secteur informel, entraînant une nouvelle baisse des revenus pour les ménages pauvres des zones urbaines et les migrants saisonniers ».

 

Perspectives contrastées

Selon fews.net, l’une des conséquences non-négligeables de la pandémie fut la forte baisse des transferts monétaires de la diaspora, à cause de la léthargie des activités économiques des pays d’accueils des migrants. Cette baisse des transferts fut importante dans les régions de forte émigration (Guidimakha, Gorgol, Assaba, les deux Hodhs et le Tagant) avec des conséquences néfastes sur l’accès alimentaire et des prévalences élevées de la malnutrition (Enquête SMART, UNICEF, Août 2021).

Les activités de la pêche industrielle tournée vers l’exportation ont aussi connu une baisse sensible à cause de la faiblesse de la demande dans les pays européens et asiatiques. La situation devrait cependant s’améliorer avec la reprise déjà perceptible de la demande dans les pays signataires de conventions de pêche avec la Mauritanie.

Une bonne reprise des activités économiques, notamment dans les secteurs tertiaires et informels, est plus que probable. On assiste à un retour des investissements, la régulation des flux externes et internes des denrées de première nécessité ainsi qu’une reprise des transactions financières et des flux de marchandises avec les pays frontaliers et les états d’Europe et d'Asie. L’inflation des prix des denrées de premières nécessite enregistrée sur les marchés depuis Septembre devrait donc se réguler.

Les ménages pauvres de la zone de cultures pluviales devraient vivre de leurs récoltes en cours, des ressources pastorales encore disponibles et des revenus des transferts, malgré la baisse des revenus issus du travail agricole et le déstockage préventif. Au niveau national, l’Insécurité Alimentaire Aiguë Minimale (IAAM, phase 1 de l’IPC) devrait prévaloir jusqu’en Janvier 2022. Entre Février et Mai, il est probable que « les ménages soient précocement plus dépendants des marchés avec des revenus inférieurs. Ce qui va dégrader leur pouvoir d’achat. Il est aussi probable que les déstockages d’animaux soient plus importants qu’en soudure typique car les éleveurs feront face à une situation plus difficile. En plus de leurs propres achats pour la consommation, ils devront aussi acheter plus d’aliments de complément (rakkal) pour le bétail et aussi dépenser plus pour soutenir la transhumance vers les pays voisins du Sud (Mali et Sénégal). Les moyens d’existence vont donc se dégrader et les pauvres resteront exposés à l’Insécurité Alimentaire Aiguë au Stress (IAAS, phase 2 de l’IPC) de Février à Mai ».

Synthèse THIAM Mamadou