Le dossier dit « Passif humanitaire » continue à occuper les principales victimes, certains politiques et quelques organisations de défense des droits de l’homme. Si les premiers continuent à se battre, en manifestant pour réclamer la vérité et les droits qui en découlent, les seconds en parlent (majorité et opposition) comme une question nationale à régler. Thème, entre autres, de l’unité nationale, il figure dans la feuille de route des parties au dialogue en gestation. Mais les divergences en termes de solution restent profondes. Avec ce résultat, depuis des décennies que les victimes courent derrière la vérité, qu’aucune volonté politique n’est venue proposer de solution réaliste. Si quasiment tous reconnaissent que le dossier a fortement affecté l’unité nationale et la cohésion sociale, aucun des pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays n’a décidé de prendre le taureau par les cornes. Il s’y ajoute de nombreuses manipulations des principaux intéressés, divisés entre ceux qui cherchent à trouver une solution consensuelle et ceux qui veulent en finir coûte que coûte. Dans ces conditions, peut-on parler de cette question sans passion ? Il s’est pourtant agi, il faut le reconnaître, de violations flagrantes des droits de l’Homme. Et accepter d’en parler sans passion, c’est envisager qu’une solution consensuelle est bien possible. Pourvu qu’on déchire le voile du paravent.
Lever les obstacles de taille
Quelques tentatives ont été avancées par les pouvoirs mais leurs initiateurs n’ont pas réussi à satisfaire les principaux concernés. D’abord parce qu’ils n’ont pas cerné toute la question. Certains continuent à réduire le passif humanitaire à son aspect militaire alors qu’il y en a bien d’autres : les « déportés », les fonctionnaires révoqués, les expropriations, les exclusions, etc. De fait, la problématique nationale va bien au-delà. Avec, par exemple, la question des langues et donc de l’école…Bref : si l’on veut régler sérieusement les choses, il ne faut jamais perdre de vue la globalité de la situation.
Premier pas à franchir, faire preuve d’une réelle volonté politique et de magnanimité pour briser la glace : cela relève du pouvoir politique en place. Avec, dans un premier temps, une rencontre entre le président de la République et les principaux concernés (veuves et orphelins). Pour leur parler, les rassurer, en somme, de sa volonté à trouver une solution à leurs problèmes. Une étape importante pour faire tomber le mur, lever les équivoques et les malentendus. Les veuves attendent une audience au Palais depuis plus d’une année. Le simple projet de cartographier les tombes des victimes prise par Ould Abdel Aziz pourrait y contribuer.
On se rappelle qu’en 2009, veuves et rescapés avaient été conduits à la Présidence, en pleine nuit, pour signer un protocole d’accord qui conduisit à l’octroi de quelques « aides » qui eurent cet effet, fort contraire à l’ouverture d’une voie réelle d’apaisement, de plutôt diviser les organisations de défense des ayants droit et des rescapés. Intervenue au lendemain de la Prière de l’Absent à Kaédi, le 25 Mars 2019, la scission du COllectif des VIctimes de la REpression (COVIRE) n’en finit plus de faire des vagues. Ceux qui avaient géré le dossier et pris une part active à ladite prière continuent à se déclarer les seuls légitimes interlocuteurs avec l’État, tandis que d’autres organisations, notamment le COllectif des Rescapés MIliaires (COREMI), une partie des veuves et des orphelins et rescapés, rejettent cette posture de COVIRE, dénonçant la gestion « calamiteuse » des « aides » octroyées par Ould Abdel Aziz. Ce dernier avait choisi, durant tout son règne de soutenir le COVIRE qui avait signé le protocole d’accord avec son « monsieur Passif humanitaire ». Cela braqua l’autre partie.
Cette division des victimes a profité à des opportunistes qui font miroiter, sous l’ombre, des sommes mirobolantes à diverses organisations de défense des ayants droit et des rescapés, entretenant ainsi la confusion. Quelques politiques se sont aussi investis dans le dossier sans en connaître les véritables leviers, ce qui peut encore ajouter à la pagaille. Depuis quelque temps, d’autres enfourchent le cheval…mais pas dans la discrétion. Bref, comment éviter les écueils et convaincre le président de la République à accomplir le bon pas vers les mères, veuves, orphelins et rescapés, à l’instar de Sidioca envers les déportés, après son élection ?
Justice transactionnelle ?
Si les devoir de mémoire et de réparations peuvent être discutés sans accrocs, ceux de vérité, de justice et, enfin, de pardon, continuent par contre à braquer les pouvoirs. Pour preuve le refus catégorique des élus et du gouvernement à confier le dossier, ainsi que le réclamaient les plaignants, à la Commission d’enquête parlementaire (CEP)fondée par l’Assemblée nationale. Car ces revendications touchent les forces de défense et de sécurité dont certains membres sont suspectés d’avoir trempé dans les exactions perpétrées en diverses casernes militaires et dans la vallée du fleuve Sénégal. Or pour certains mauritaniens, l’armée est une « institution intouchable », c’est d’ailleurs pourquoi le président Ould Taya avait fait voter, à la hâte par le Parlement, la loi d’amnistie de 1993. Un sérieux obstacle, aujourd’hui : les ayants droit et les rescapés ne pouvant intenter aucune action en justice en Mauritanie, certaines organisations se sont retrouvées obligées de les entreprendre à l’étranger. Ould Taya pourrait en être la première victime. Et c’est justement faute d’une levée de cette loi d’amnistie que plusieurs organisations de défense des ayants droit, victimes et rescapés penchent pour une justice transactionnelle. Elle est la seule voie, selon eux, pour régler la question. Et de s’appuyer sur les expériences sud-africaine, marocaine et rwandaise. Mais il est difficile, voire impossible, que certains responsables acceptent de comparaître devant une quelconque commission ; ce serait, à leurs yeux, un désaveu, une honte, pour ne pas dire une humiliation, alors que l’objectif, disent les victimes, n’est pas d’humilier quiconque mais de connaître la vérité sur cette page sombre de l’histoire de la Mauritanie. Comme tout patriote sincère le sait fort bien, celle-ci a fortement ébranlé l’unité de notre nation et creusé de profondes méfiances entre les communautés.
Il la faut, cette instance de vérité. C’est seulement au terme de ses travaux, clament plusieurs organisations, que pourra intervenir le pardon clôturant définitivement le dossier. « Personne ne peut pardonner à notre place », continuent à marteler les veuves et orphelins chaque 28 Novembre, quand ils célèbrent, à leur façon, la pendaison dans la caserne d’Inal de vingt-huit officiers, sous-officiers et hommes de troupe. Lors la dernière commémoration, on a constaté combien les divisions des concernés sont profondes. Sit-in de veuves et orphelins, Place de la Liberté ; COVIRE en son siège au PK 13 ; tandis que certains du COREMI ont préféré rester à la maison. Pourtant, des tentatives de réconcilier les uns et les autres avaient été annoncées comme concluantes. C’est dire, tant le terrain est miné, la nécessité, pour ceux veulent réellement trouver des solutions au problème du passif humanitaire, d’attaquer d’abord le mal par sa racine. Amener les uns et les autres à parler d’une même voix avant d’établir une feuille de route consensuelle avec les collectifs représentatifs. Faute de quoi, ils risquent fort d’accentuer les divisions et compromettre toute chance de solution, alors que le président Ghazwani aurait une réelle volonté, croient avoir décelé certains, de trouver un « compromis » avec les concernés. Pourvu que cette présumée volonté se transforme en actes ! On finira alors par tourner cette page douloureuse et arrêter les gesticulations. Enfin !
Dalay Lam