Le texte ci-dessous est un essai de traduction d’une tribune en langue arabe qu’il m’a été donné de lire dans la presse et qui m’a parue particulièrement pertinente et remarquable dans la description et l’analyse qu’elle fait de la situation qui prévaut en ce moment dans notre pays. Au point que j’ai tenté d’entrer en contact avec son auteur, Mohamed Mahmoud Isselmou Abdellahi, pour le remercier, le féliciter et l’encourager à persévérer dans son combat contre la ‘’médiocrité ‘’ qui, comme il le dit à juste raison, « nous assaille dans tous les domaines ».
Pour lui demander en même temps de m’autoriser à en faire une traduction en langue française à l’usage des lecteurs francophones.
Faute d’avoir pu le joindre, (il serait m’a-t-on dit à l’étranger), j’ai pris la liberté que je lui demande de me pardonner de présenter au lecteur la présente traduction dont j’espère qu’elle n’aura pas trahi de manière excessive, ni la lettre ni l’esprit d’un texte dont la densité et la concision ne le cèdent en rien à la pertinence remarquable et à l’intelligente acuité.
Ahmed Ould Sidi-Baba
Ancien Ministre
Il suffit de jeter un regard rapide sur le contenu de nos médias et de nos réseaux sociaux ou simplement de prêter attention au langage et aux échanges quotidiens dans la rue, pour mesurer à quel degré de médiocrité écrasante nous sommes entrain de parvenir.
La scène médiatique est aujourd’hui l’apanage des opportunistes, des flagorneurs, des caméléons et autres indigents de la qualification et de la formation et, à la mission d’illumination et de culture dévolue aux médias, se sont substitués l’abaissement et la banalité.
Observez seulement cher lecteur qu’ALLAH vous assiste, le volume des rumeurs, des nouvelles à la crédibilité douteuse ou même sans fondement, les analyses mesquines, les titres aussi ronflants que trompeurs, sans oublier l’absence de référence à des sources lorsque, par bonté divine, celles-ci en viennent, et c’est rare, à exister.
Quant aux réseaux sociaux, les voilà envahis, à l’égal d’une nuée de sauterelles, par l’armée de soldats de l’obscurantisme.
Celui-ci, sortant de l’école primaire, prétend vous donner des leçons dans le domaine culturel.
Celui-là, usant du parler de la rue et des gens de peu, disserte sur les valeurs de civilisation.
Cet autre, vous entretient dans un style chétif, parsemé de fautes, redondance dans sa signification, verbiage dans son objet. Agité lorsqu’il s’exprime, le regard étincelant, il se prétend malgré cela l’élève inspiré ou même l’héritier de l’école « deimaniya » où la pondération, la finesse et le bon goût sont de tradition.
‘’L’ordre de la médiocrité’’
Certains, au sein de ce monde devenu fou chez qui subsiste encore un minimum de bon sens, ont perçu depuis des années déjà le danger de la médiocrité et lancé un cri d’alarme dont les échos se sont répandus avec force en Occident : il faut cesser de porter aux nues les ignorants ! Il faut arrêter les médiocres et cesser d’en faire des célébrités !
La médiocrité est devenue, en vérité, le fléau de notre temps et, à cet égard, le philosophe canadien contemporain Alain Deneault reste le plus connu de ceux qui ont eu le courage d’y faire face, publiant un ouvrage sous le titre « l’ordre de la médiocrité » dont le contenu constitue une mise en garde adressée à un monde englué dans la médiocrité et qui, dans tous les domaines vitaux ou importants, a confié aux médiocres le soin de sa destinée.
La marginalisation des valeurs et la démission aveugle face à la dégradation et à l’abaissement, ont entaché de leur opacité profonde la presse, l’art, les lettres, la culture, les sciences et même l’économie et la politique.
Tout s’est délité et les rires de la dérision conjugués aux applaudissements complices, sont venus accroitre l’entrain des animateurs de la fête du déni des valeurs et les inciter à persévérer de plus belle dans leur pitrerie.
De plus, et, par le fait de notre laxisme et de notre manque d’attention, parfois même grâce à notre appréciation de l’imbécilité des médiocres, les choses en sont venues à échapper à tout contrôle, rendant notre monde de jour en jour plus révulsant.
Facebook, tout comme ses consœurs Messenger, WhatsApp, Snapchat et autres TikTok constituent aujourd’hui le plus grand foyer et l’illustration la plus patente de la médiocrité.
Et notre surprise n’est pas petite lorsque nous assistons à l’envahissement inattendu de ces espaces par les vocaux et les vidéos débordants de vulgarité et minables de contenu, emplis de récriminations, de calomnies, de dénonciations, appelant au redressement et à la réforme de la part de celui qui, lui-même incapable de mettre de l’ordre dans sa chambre à coucher, dans l’organisation de son domicile et, encore moins de veiller à la conduite de sa propre famille, prétend se préoccuper de celle de la société dans son ensemble et des affaires du pays tout entier.
Le déni du bon goût
Le déni du bon goût et des usages établis conjugué à la prolixité aux fins de conquérir des milliers d’adeptes, nous menace d’un péril véritable et le nombre de ceux parmi nous qui prêtent maintenant quelque attention aux professeurs d’université, aux hommes de culture et de pensée n’atteint pas 3 % de celui des affidés aux vedettes de Facebook et aux fashionistas.
Qui se préoccupe aujourd’hui des congrès scientifiques, des conférences académiques ou encore des maîtres inspirés de la poésie ?
De son côté la commercialisation du corps humain à atteint elle aussi un niveau alarmant et si, aux dires des spécialistes, la non vocalisation constitue une astuce commode pour les faibles en grammaire, de même la féminisation est devenue un procédé pratique pour ceux qui appréhendent la mévente de leurs produits, au sens où il suffit d’insérer la photo d’un corps féminin dans une page publicitaire, fût-elle relative à un turban de « toubit ».
La médiocrité a investi la politique, l’administration, les affaires et réussit le mieux aujourd’hui en politique le politicien à la voix tonitruante, le flagorneur menteur et exhibitionniste, aux vociférations ininterrompues, aux humeurs changeantes ; et l’on peut juger à la même aune les fonctionnaires et le monde des affaires où se distingue entre tous le lunatique surdoué de l’encensement, de l’éloge et de la basse flatterie.
Dans son livre déjà évoqué, Alain Deneault nous dit, l’âme en peine : « il n’existe désormais aucun moyen quelle que soit son efficacité, propre à nous prémunir de l’enfer que nous impose le contact quotidien avec les médiocres et les gens de courte vue : tout rapport social, toute réunion de travail, toute transaction officielle, toute course au marché et même tout arrêt bref aux feux de signalisation devient l’occasion d’un véritable défi : nous sommes des martyrs ».
Complices que nous sommes dans le degré élevé de dégénérescence de notre société, quand donc nous élèverons nous au-dessus des cloaques de la médiocrité, du dépérissement et de la banalisation de l’esprit ?
Quand nous hisserons nous au plus haut de l’échelle dans le ciel de nos valeurs de civilisation ? Quand arrêterons-nous de nous adonner au dénigrement d’autrui ? Quand cesserons-nous de renoncer à la recherche du prestige au détriment du naturel et du bon goût ?
Journalistes, écrivains, hommes politiques, leaders d’opinion de sagesse et d’esprit, n’abdiquez pas et tous ensemble, faites front contre la médiocrité qui nous assaille dans tous les domaines.
Mohamed Mahmoud Isselmou Abdellahi