Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, vient de recevoir la 2ème Conférence africaine pour la paix. Cet événement est organisé par le Forum africain pour la consolidation de la paix, issu du Forum d'Abu Dhabi, présidé par l'éminent érudit cheikh Abdallah ben Bayyah.
La paix, telle que la conçoit Abdallah ben Bayyah, dépasse largement les impératifs de la sécurité et de la stabilité. Elle embrasse toute la grille normative de l'éthique, de l’amour, du bien et de la solidarité entre les humains, qui est, selon cet éminent intellectuel, la quintessence de l'Islam.
C'est en référence à ce solide socle de valeurs communes à toutes les traditions religieuses que des dizaines de hauts responsables politiques, de leaders religieux et d’intellectuels remarquables ont participé à la conférence de Nouakchott, en présence des présidents de la Mauritanie et du Niger ainsi que des représentants de différents organismes internationaux et de ceux des grandes nations occidentales.
Les crises multiformes que traverse actuellement la région ont occupé l'essentiel des débats, riches et sincères, du colloque de Nouakchott.
Ces crises peuvent être cernées en fonction de trois problématiques distinctes.
La première a trait aux modes d'adéquation entre les exigences de la constitution d'une entité publique solide, efficiente, et les impératifs de liberté politique et de participation citoyenne, qui sont l'essence même de la demande démocratique objective portée par les acteurs de la vie politique et de la société civile.
Troubles et désarrois
Cette problématique revêt une importance capitale à la lumière des derniers troubles et des désarrois qui agitent la région, notamment en Afrique occidentale et au Sahel. Le retour alarmant des coups d'État militaires dans un contexte de désenchantement et d'amertume face à l'échec des régimes civils élus est un signe révélateur de ce dilemme difficile à résoudre.
Si la gouvernance démocratique est une nécessité incontournable pour gérer l'état de pluralisme politique et social, il pourrait cependant, dans des conjonctures données, s'avérer un danger réel pour la paix civile et l'unité nationale. Il est donc nécessaire d'instaurer les mécanismes de résilience sociale lors des ouvertures politiques inéluctables.
La deuxième problématique concerne les défis liés au pluralisme ethnique, tribal et communautaire, et leur impact sur la notion de citoyenneté égalitaire, qui est le pivot de l'État national moderne.
D’illustres africanistes, comme Mwayila Tshiyembe, ont défendu l'idée d'un «État multinational» qui présente une articulation différente de celle de l'Europe entre l'État et la société en intégrant au sein du système de la représentativité institutionnelle la diversité ethnique comme gage de stabilité et d'équité des systèmes politiques.
Cette approche pèche cependant par un simplisme réducteur: elle omet le caractère artificiel et erroné des identités construites et réajustées en fonction des enjeux de lutte et de compétition autour du pouvoir politique central.
Le consensusalisme présumé issu d'une large représentativité du corps social multiethnique masque au fond le pouvoir intégrateur et homogénéisant de l'État dans sa fabrication de la fragmentation sociale comme mode de fonctionnement et de contrôle de la multitude.
Cette logique de «gouvernementalitė» (dans le sens de ce mot défini par Michel Foucault) est absolument différente de la structure multiethnique prémoderne et pré-étatique.
La troisième problématique concerne directement le facteur religieux dans le contexte de violence radicale qui frappe actuellement les sociétés africaines. En effet, les mouvements terroristes qui s'approprient le label islamique sont devenus un danger crucial pour l'harmonie, la sécurité et la stabilité en Afrique occidentale et centrale et, au-delà de cette zone, dans le continent en entier.
Le Forum d'Abu Dhabi pour la paix a élaboré durant la dernière décennie une riche littérature conceptuelle, qui puise dans le référentiel islamique théologique et normatif; une ligne de conduite intellectuelle et pratique qui favorise le vivre-ensemble entre les hommes dans le cadre de l'allégeance à un État national souverain basé sur le lien de citoyenneté égalitaire.
Cette conception de la paix civique est la consécration de l'esprit éthique de la religion comme signe de miséricorde divine et de bienveillance morale qui englobe toutes les créatures humaines. Ces dernières sont, selon une tradition prophétique authentique, «la famille de Dieu».
Combattre le radicalisme violent en Afrique, dans cet esprit, est donc à la fois une obligation religieuse et une nécessité politique.
Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
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