La professionnalisation des armées de la sous-région : l'unique solution contre le terrorisme/Par Béchir Fall, juriste, expert International

10 February, 2022 - 08:52

Contre les armées de masse, inefficaces, désorganisées et incapables de se projeter au combat, une seule solution, opter pour une professionnalisation des armées nationales de la sous-région.

Il est surprenant que ce terme de professionnalisation des armées n'ait pas acquis une grande réputation dans la sous-région. Pourtant depuis la fin de la guerre froide, une majorité de pays, en dehors de l'Afrique, l'ont adoptée. Les États-Unis en premier dès 1973 et la France un peu plus tard en 1997.

Finis la conscription ou service militaire obligatoire. Place à une armée de métier. Et aux engagés volontaires qui sont choisis par contrat à des conditions strictes.

Ils seront mieux équipés. Mieux formés et mieux entraînés. Et naturellement, mieux rémunérés. Leur rémunération devrait être égale, voire supérieure à celle des hauts fonctionnaires des administrations publiques souvent corrompues.

1. Déclin des armées de masse et montée des armées professionnelles

Les effectifs des armées professionnelles seront peu nombreux. Mais efficaces et performants. Pour éviter le phénomène de masse expliquant la débandade de l'armée malienne dès les premiers accrochages avec les terroristes en 2012. Ces armées de masse sont la cause du défaut d'efficacité des armées de la sous-région. Réduire drastiquement les effectifs mettrait ainsi dehors tous les bras cassés et les oisifs inutiles.

Une opération de compression des effectifs devrait voir le jour visant les hauts gradés militaires nombreux et qui coûtent cher aux budgets des États. Il est anormal que le budget de l'armée mauritanienne soit supérieur à celui de l'éducation nationale. Pour un pays qui n'est pas en guerre.

Pour les États du G5 en guerre, les hauts gradés ne vont jamais au front. Quel est alors leur rendement ? Leur fait d'armes ? Aucun ou nul ! Ils devraient lire la littérature militaire et s'inspirer du courage des généraux des campagnes féroces de l'armée de Napoléon. Toujours aux premières lignes menant leurs hommes. Il est utile de rappeler le courage hors norme des Masséna, Davout, Lannes, Berthier, Soult et Ney.

Personne n'est au courant, pas moi en tout cas, qu'un officier supérieur parmi la cohorte de ces gradés ait perdu la vie ou se soit blessé les armes à la main. Parmi les milliers de morts au Sahel dont une majorité de civils, aucune trace de ces colonels désertant les combats et squattant les allées du pouvoir en promettant monts et veaux.

Conséquence de la professionnalisation des armées : ne jamais plus faire appel aux puissances étrangères. Ni les français, encore moins des russes habitués à plonger les pays où ils passent dans une désolation humaine indescriptible (Syrie). Nous apercevons tous les jours des réfugiées syriennes et leurs enfants mendier dans nos rues.

Il est ridicule et extrêmement humiliant que des pays, comme le Mali, le Niger et le Burkina ayant chacun plus de 20 millions d'habitants, continuent de se faire assister par des armées ou milices étrangères sur leur sol. Désormais, des armées professionnelles, quelques milliers hyper entraînés et motivés, suffiront en toute logique à neutraliser des terroristes en motos.

2. Renforcer la coopération militaire pour réformer les armées en vue de les professionnaliser

La coopération avec les puissances étrangères se limitera à la fourniture d'équipements des plus performants. Une logistique de qualité. Des avions et hélicoptères pour le transport et le soutien rapide des troupes d'interventions au sol. Exceptionnellement, une couverture aérienne.

Pour la formation des unités d'élite, des partenariats seront conclus avec des armées étrangères, de préférence africaines qui ont acquis une longue expérience au cours des opérations de maintien de paix dans le cadre onusien.

L'objectif est de limiter la présence de puissances étrangères sur le sol des opérations. Seules les armées professionnelles nationales feront face aux ennemis. C'est à ce prix seulement qu'on pourra parler d'indépendance et de souveraineté réelles de nos pays.

Un exemple de coopération militaire entre les États-Unis et la République Démocratique du Congo, en 2021, doit être souligné. Les USA ont révélé l'intérêt de leur pays à construire un nouvel avenir au profit d'une nouvelle génération de chefs militaires congolais en vue de professionnaliser le programme de réforme de l'armée congolaise et de lutte contre la corruption. Ce genre de partenariat mérite d'être encouragé.

3. Détruire le couple infernal, corruption massive et persistance des coups d’Etat

Les pays du G5 sont minés par une corruption massive. Ils sont mal classés au niveau mondial. À l'exception du Burkina (88e) dont le rang moyen africain l'épargne pour le moment de ce cycle infernal. À moins que les nouveaux colonels ne l'y précipitent. Rappelons le classement humiliant des pays du G5. Le Niger 123e, le Mali 135e, la Mauritanie 140e et le Tchad 168e. (Dernier classement 2021 de Transparency Internationale). Il n'y a pas de quoi être fier de nos pays. Qui s'enfoncent dans une corruption devenue endémique.

Pourquoi les pays de l'Est africain échappent-ils aux coups d’État ainsi qu'à une corruption généralisée ? Et inversement pourquoi les pays d'Afrique de l'Ouest y sont souvent embourbés ? Et demeurent moins développés ?

À cela une tentative d'explication. D'abord, le rôle d'une armée républicaine qui est la défense du territoire ainsi que des populations est perdu de vue depuis la fin des années 1960. Avec les Moussa Traoré (Mali), Sangoulé Lamizana de la Haute Volta (Burkina), Seyni Kountché (Niger) ainsi que la succession des colonels mauritaniens.

Cela fait déjà plus de cinquante ans que les pays du G5 sont familiers des coups d’État militaires. L'histoire continue de se répéter pour 3 pays sur 5. Le Niger et la Mauritanie s'étant quelque peu "civilisés". Pourquoi admettre cette fatalité ? Et ne pas y mettre un frein définitif ?

Dans l'esprit des vieux dirigeants africains prétendument nationalistes et largement corrompus, il faut surarmer une garde prétorienne, en faire une unité d'élite (Basep en Mauritanie par exemple) au détriment du reste de l'armée nationale, négligée délibérément. Dans un seul but, s'assurer une protection personnelle pour continuer de piller leurs pays.

Or, dans tous ces pays, cette garde confiée à un homme de confiance s'est toujours retournée contre le pouvoir qu'elle était censée protéger. D'où la succession des coups d’État aujourd'hui. Au Mali 2 fois, en Guinée récemment et tout dernièrement au Burkina.

4. Condition primordiale, le retour à l’ordre constitutionnel

Comment remédier à tout cela ? Une seule solution. Revenir à l'ordre constitutionnel. Et refuser toute prorogation des délais de transition. 12 à 16 mois maximum, comme le suggèrent le président algérien et l'UA. Pas de dérogation.

Assimi Goita et ses sbires doivent rendre le tablier à échéance fixée. Ainsi, après des élections encadrées par les organisations sous-régionales, l'UA et l’ONU, le pouvoir doit être rendu aux civils choisis par les populations dans le cadre d'élections libres, consensuelles et transparentes. Les élites sous-régionales devraient être plus responsables et rigoureuses en s'engageant à élire des leaders exemplaires promettant une lutte sans merci contre la corruption.

La professionnalisation des armées du G5 est l'avenir à court, moyen et long termes de nos États, en termes de sécurisation des territoires, de protection des populations ainsi que de barrage et de frein contre la fréquence des coups d’État militaires. Vecteurs d'une corruption massive et de la persistance d'un sous-développement chronique.