Mercredi 13 Octobre 2021. C’est la « débandade » ! Une véritable « débâcle », même, dans toutes les rédactions des journaux en lignes et sur les sites d’informations. La nouvelle est relayée et éparpillée comme une traînée de poudre : « Un avion s’est écrasé dans les premières heures de la matinée de ce 13 Octobre aux environs de la localité de Bedr, à quelques soixante-dix kilomètres au Nord de Rosso près de Keur Macène ». L’information est même reprise par les plus crédibles rédactions de la presse nationale.
Après le journal Tawary, Mauriweb, un journal en ligne reprenait le scoop lancé par Tiguint.info qui ajoutait pour sa part : « Une brigade logistique des Forces armées s’est rendue sur les lieux et une enquête a été diligentée pour identifier l’avion et sa provenance ». D’autres sources parlaient, elles, « d’une brigade de gendarmerie dépêchée sur les lieux pour intensifier les recherches ».
À la « Une » de toute la presse, l’info faisait réagir les pouvoirs publics. Comme pour rassurer l’opinion publique, l’état-major général des Armées avait d’ailleurs très tôt publié un communiqué officiel : « tous les avions de la flotte aérienne des forces armées sont stationnés et l’appareil en question n’est pas militaire ». Presque un « démenti », donc, laissant tout de même « un peu de vie » au bouche à oreille des mauritaniens de la rue et des salons, si friands de ce mode de propagation de rumeurs, vraies ou fausses, en tous cas systématiquement « informations à sensations » commentées à bord des taxis et des bus.
Avion-fantôme ou furtif ?
Toujours est-il qu’en cette matinée du 13 Octobre 2021, un avion est bel et bien passé à très basse altitude – c’est-à-dire quasiment en rase-mottes – à la verticale de la petite localité de BEDR, frôlant les cimes des arbres. L’information n’était donc pas dénuée de tout fondement. De nombreux témoins oculaires avaient bel et bien observé le passage du petit avion de type Cessna, traînant à sa suite une colonne de fumée noire. Des recherches avaient été finalement effectuées par l’armée et la gendarmerie pour ratisser la zone. En vain. Où était donc est passé cet aéronef ?
Les faits – très basse altitude et fumée noire – avaient naturellement poussé les bédouins à conclure à un crash. Mais où ? À défaut des incontournables débris, on est en droit de se poser quelques questions : « s’agissait-il bien d’un avion ? Ou hallucination collective de tous les habitants de Bedr et de ses environs ? ». Dans le premier cas, « où est-il passé, s’il ne s’est pas écrasé ? Et s’il s’est écrasé », comme le pensaient les bédouins, « où en sont les débris ? » ; « S’il ne s’est pas écrasé, comment expliquer la fumée noire ? » Toujours dans l’hypothèse astronef, « quel en était vraiment le type ? Pourquoi volait-il à si basse altitude ? D’où provenait-il et où se dirigeait-il ? »…
Trois mois et quelques jours après cette incroyable affaire, aucune réponse. Ni officielle ni officieuse, mais les questions n’en restent et resteront pas moins d’actualité, tant que des explications ne seront pas fournies. À moins d’admettre qu’un nouveau triangle des Bermudes se soit « formé » dans la poche « Tiguint-Badr-Keur Macène », rien que pour aspirer l’aéronef qui l’avait survolé.
« L’avion de Bedr », un tissu de mensonges bédouins relayés par des journaux à sensation ?
Ce que les bédouins n’ont pas vraiment compris, c’est pourquoi le petit avion qu’ils prirent au début pour un avion de reconnaissance militaire, volait-il très bas, laissant échapper une colonne de fumée. Pour répondre à ces questions, on n’a pas besoin d’être expert en navigation aérienne. Une fois exclue la fatalité du krach, un avion ne vole à très basse altitude que pour généralement l’une ou l’autre des raisons suivantes.
Soit l’appareil veut échapper au balayage-radar des contrôles aériens, en évoluant ainsi dans ce qu’on appelle « l’angle mort du radar ». Cette zone qui échappe au balayage « spectral » de la surface contrôlée par celui-ci permet donc à l’aéronef de se déplacer sans être repéré par les contrôleurs de l’air. Seconde hypothèse, l’appareil exécute ce que l’on appelle un « vol de reconnaissance ». Plus exactement, dans le cas d’une altitude aussi basse que celle décrite par les bédouins, un « vol de repérage ». Une mission à risque élevé, rarement effectuée et pratiquement toujours exécutée que par des pilotes-acrobates ou forts d’aptitudes professionnelles idoines, comme les pilotes des canadairs (avions-pompiers) et autres avions de lutte antiacridienne. Dans le cas de l’avion de Bedr, le pilote volait peut-être moteurs éteints, pour éviter le bruit et se déplacer par énergie cinétique. Lorsque le pilote rallume les moteurs, la propulsion provoque un lâcher de fumée épaisse qui donne, en se dégageant, l’impression que l’avion est en feu alors qu’en réalité, il ne fait que reprendre de la puissance.
Dans les deux cas, le pilote éteint généralement son transpondeur, un appareil situé à l’avant de l’aéronef, émettant un signal radio conventionnel personnalisé qui permet aux aiguilleurs du ciel de recueillir des informations sur l’identité de l’avion, son immatriculation et diverses données techniques sur son vol.
Mais d’où donc vient cet appareil ? Question première à celle de sa destination…
Il est impensable que l’aéronef vu au-dessus de Bedr soit venu du Sénégal. Un pays qui dispose d’une armée professionnelle, très bien équipée, très bien armée et très regardante sur la souveraineté de son territoire. La preuve : peu de temps auparavant, un petit avion marocain avait survolé le territoire sénégalais. La réaction de son armée de l’Air ne s’était pas fait attendre. La chasse aérienne avait intercepté l’avion « indésirable », immatriculé au Maroc et considéré à ce titre comme un avion-espion. L’affaire avait suscité à l’époque l’embarras dans les milieux diplomatiques aussi bien à Rabat qu’à Dakar. C’était en Avril 2021. Ledit aéronef avait pour mission d’effectuer des prises de vues et des « relevés topographiques » en Guinée-Bissau. Mais, allez savoir pourquoi, semblait s’être « aventuré » à l’intérieur du territoire sénégalais. Bref, il ya peu de probabilités que l’avion soit venu du Sénégal.
D’autant moins que nos bédouins – tous musulmans et donc parfaitement connaisseurs des quatre coins cardinaux – déclaraient unanimement que l’avion venait du Nord. S’il tel fut le cas – c’est-à-dire dans une trajectoire Nouakchott-Tiguint – cela signifie qu’il serait passé inaperçu des radars, normalement nombreux, déployés entre l’aéroport Oum Tounsi et certaines vedettes de surveillance de nos côtes appartenant à la Marine nationale ; ou aurait bénéficié – c’est ce qui est plus à craindre – d’un « laisser-passer ». Avec, alors, l’intrigante question : par qui et pourquoi ?
Ce qui est certain, c’est que ni les « bédouins » des localités de Bedr ni ceux des environs de Ouad Naga qui auraient aussi vu « l’avion-fantôme » survoler leur zone à basse altitude, ne furent pas pris d’une « hallucination collective ». Reste donc à savoir comment se fait-il, qu’entre 8 h30 – heure à laquelle l’engin fut aperçu à Bedr – et 13 h de ce même 13 Octobre 2021 où il l’aurait été à Ouad Naga – le mystérieux « intrus » ait « échappé » à l’interception d’un des avions de notre flotte aérienne de chasse, une des plus performantes de la sous-région. Comment expliquer qu’aucun avion militaire de reconnaissance n’ait décollé pour localiser l’appareil vu par les villageois survolant illégalement notre espace aérien ?
Revenons enfin sur notre explication du vol à très basse altitude. Des deux possibilités susdites, le vol de « repérage » paraît le plus plausible. Repérage d’un lieu où se poser pour débarquer ou récupérer quelque chose, sinon d’un site pour une opération à suivre du même type. Avec en filigrane une question qui demande un peu d’investigations.
Reprise d’activités des cartels dans la sous-région ?
Ce qui n’est peut-être malheureusement pas à exclure, pour peu que nos souvenirs nous permettent de remonter à peine dans le temps. Depuis 2006, des opérations kamikazes de transport et autre transbordement de drogues, le long du littoral entre Nouadhibou (Mauritanie) et Freetown (Sierra Léone) se sont en effet multipliées avec pour centre de gravité Bissau. « L’Aéropostale », comme on appelle maintenant cette combine dans les milieux de la lutte antidrogue ; autrement dit : la « Saint Exupéry de la cocaïne ».
Chez nous, la gravité du phénomène se révéla dans la nuit du 1erau 2 Mai 2007. Un Cessna 441 de type Conquest se posa en catastrophe sur la piste humide de l’aéroport international de Nouadhibou. À son bord, 629,15 kilos de cocaïne. L’avion venait du Venezuela et avait effectué un traversée non-stop entre Recif (Brésil) et Nouadhibou, soit 4.800 kilomètres. C’est le petit avion qui fut retrouvé huit jours plus tard à 125 kilomètres aux environs de Tasiast et qui sert actuellement à des missions militaires. Les enquêteurs du narcotrafic avaient établi que le petit Cessna avait les mêmes caractéristiques qu’un autre appareil quis’était, l’année précédente, posé en Sierra Léone bourré de drogue. Avec, à son bord, Georges Aritsizabal Archilla, un nom très connu dans les milieux du cartel qui opère des deux côtés de l’Atlantique.
Moins de deux ans après Nouadhibou, un Boeing 727 fut retrouvé le 2 Novembre 2009 à Tarkint dans la région de Bourem, à 200 kilomètres au Nord de Gao. Cet avion avait effectué un « vol-sacrifice » pour décharger une cargaison de cocaïne en plein désert au Mali. Sacrifice, puisque l’avion avait été abandonné sur place après avoir accompli sa mission. Loué au Venezuela, ce Boeing était immatriculé en Arabie Saoudite et volait sous licence bissau-guinéenne expirée. À l’époque, le gouvernement malien avait refusé catégoriquement de partager ses informations avec l’Agence onusienne de lutte contre la drogue et le crime.
Plus récemment au Maroc, dans la matinée du mardi 30 Novembre 2021, 47 jours après le survol de l’avion-fantôme de la zone-Sud du Trarza, un petit avion effectuait un atterrissage d’urgence sur une route reliant Sebt Zinatt et Dar Chaoui, dans la région de Tanger. L’avion était piloté par un espagnol et tentait de faire passer une quantité importante de drogue vers l’Espagne. Mais au moment du décollage et gêné par le brouillard des premières heures de la matinée, il avait fini sa course dans un camion-poubelle sur une piste peu fréquentée.
Avion volant non identifié mais… avion quand même !
Ce mercredi 13 Octobre 2021, les Mauritaniens n’ont parlé, tout au long de la journée, que de l’avion de Bedr. Tantôt attribué à l’Armée nationale, tantôt annoncé scratché. Mais le vraiment bizarre est que cette affaire ait été classée… sans suites, alors que tant de nos citoyens ont vu ledit engin, à des moments différents et à des endroits différents. Pourquoi ? Mieux vaut ne pas avancer de réponse. Par prudence. Mais n’en pas donner, c’est tout simplement accepter d’admettre que les villageois soient des menteurs. Que les journalistes soient des menteurs. Que peut-être les villageois avaient trop bu ce jour-là, les journalistes étaient tous drogués et les rédactions prises de folie.
Les autorités nationales sont presque arrivées à cette conclusion. Au cours de la conférence de presse d’après conseil de ministres – j’assistais à celle-ci – un journaliste posa une question à ce sujet. « Les villageois avaient laissé entendre que l’avion était un avion de l’Armée nationale », répondit le porte-parole du gouvernement. « L’état-major général des Armées a publié un communiqué disant qu’aucun appareil de l’Armée nationale n’avait décollé ce jour-là ». Le ministre se voulait rassurant, c’était pourtant tout le contraire. Ce qu’il oubliait, c’était que l’important, pour nous, n’était pas de savoir si tous les appareils militaires étaient « cloués » au sol mais bien plutôt d’apprendre qu’au moins l’un deux était en vol de reconnaissance.
Pourquoi donc aucun d’eux n’avait-il décollé pour vérifier les informations qui circulaient ? Le survol de notre territoire par un avion non identifié volant à très basse altitude avait été annoncé tôt dans la matinée, aux environs de 8 h30 à Bedr et confirmé à 13 h à Ouad Naga. Ce n’était donc pas un cas d’« hallucination collective ». Un fait bel et bien réel. Peut-être que les villageois sont des menteurs, peut être aussi que nous sommes, nous autres journalistes, des rapporteurs d’informations « infondées ». Mais il est maintenant clair, en tous cas, que l’Armée Nationale manque de « réaction rapide ». Le temps que les gendarmes reçoivent l’ordre de faire mouvement sur les lieux, le temps qu’ils préparent leurs véhicules et le temps de ratisser « mètre par mètre » le terrain, l’avion-fantôme avait peut-être accompli sa mission.
Laquelle ? On ne le saura peut-être jamais. Toujours est-il que, deux mois et douze jours après « ce dysfonctionnement » grave dans la chaîne de commandement de l’état-major des Armées, le chef de l’État a décidé un « chambardement » au sein de la Grande Muette. Le général Hamadi ould Ely Mahmoud a été appelé à la tête de l’état-major de l’Armée de l’Air. Il y sera certainement plus regardant sur les « AVNI », ces Avions Volants Non Identifiés qui prennent notre espace aérien pour un lieu de « voltiges » aériennes. Espérons-le.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant