Entre silence radio et communiqués laconiques : Que sont nos partis de l’opposition devenus ?

3 February, 2022 - 00:14

Sempiternelle interrogation pour beaucoup de mauritaniens qui ont appartenu ou sympathisé avec ce qu’on appelait, jusqu’en 2019, l’opposition mauritanienne qui n’avait, en grande majorité, cessé de se battre, depuis le début des années 1990, pour la concrétisation, dans les faits, de la démocratie. Se serait-elle essoufflée depuis l’élection, en Juin 2019, du marabout-président Mohamed Cheikh ElGhazwani ? La question taraude observateurs et citoyens mauritaniens qui ne se retrouvent pas forcément dans le pouvoir en place ou, encore plus simplement, ceux qui se soucient de l’ancrage de la démocratie et ce de ce qu’elle peut apporter au pays. Tous peinent à comprendre de quel bâton magique le successeur d’Ould Abdel Aziz avec qui l’opposition eut maille à partir, dix longues années durant, de quel moyen, quel langage, le président Ghazwani a su user pour « endormir » les acteurs de l’opposition. Ceux qui étaient, jadis, les plus farouches, résolument affirmés en lions du désert, auraient-ils « bu de la bouillie », comme le dit un adage populaire ?

On n’entend presque plus l’opposition démocratique sur l’arène politique. « Qui est reçu au Palais en ressort quasiment muet », s’indigne un cadre de l’opposition. Quel discours leur tient donc le Raïs ? Mystère. Ce qui est sûr, c’est que celui-ci a bel et bien réussi à apaiser une scène fortement crispée dix ans durant. Rapports avec le pouvoir et sa majorité normalisés, opposition domptée ? Avec un allié de poids – le COVID 19 – pour mieux « endormir » celle-ci aux oubliettes. La pandémie a provoqué un consensus autour du pouvoir et l’opposition – elle qui avait tellement souffert de son musellement sous la tyrannie de l’ex-Président – s’est beaucoup plus préoccupée de comment se refaire une santé, quitte à sacrifier son long combat pour une démocratie réelle en Mauritanie. Et Dieu sait qu’elle en avait consenti, des sacrifices !

Même une partie de la Société civile s’est comme aplatie. En se constituant un pool d’avocats pour l’aider à recouvrer les biens détournés sous Ould Abdel Aziz, le gouvernement a également réussi à mettre à ses services presque tout le barreau mauritanien. Seuls quelques rares avocats continuent à préserver leur indépendance et ceux de l’ex-Président à dénoncer « l’arbitraire dont est victime » leur client. Désormais, l’opposition semble réduite à quelques partis qui peinent à faire entendre leur voix, l’essentiel se jouant dans les réseaux sociaux. Dommage pour notre pays qui dispose pourtant d’un grand potentiel politique mais qui aura visiblement mal supporté la traversée du désert. Certains sont suspectés d’avoir même laissé leurs chaussures à la porte du Palais…

Cette espèce de léthargie au sein de l’opposition expliquerait, d’une certaine manière, les difficultés que celle-ci aurait à peser sur le pouvoir pour organiser des concertations politiques. Incapable de trouver un candidat de consensus pour la dernière présidentielle et donc résignée à perdre la partie, l’opposition ou ce qu’il en reste n’arrive pas à accorder ses violons. Cela ne date pas d’aujourd’hui, diront certains, quoiqu’elle parvint longtemps, sous Ould Abdel Aziz, à garder son unité. De façade, me diront ces avertis. Toujours est-il qu’implacable, le constat paraît sans appel : idéologies, egos surdimensionnés de certains, opportunisme d’autres et troubles taupes ont eu raison de nos acteurs politiques.

 

Des mots aux actes

Pourtant, la matière à contestations ne manque pas : le système incarné jusqu’à hier seulement par Ould Abdel Aziz n’a pas fondamentalement évolué. L’essentiel de ce qu’on reprochait à Ould Taya et, plus récemment, à Ould Abdel Aziz demeure. Le seul changement notable reste l’apaisement de l’arène politique. Ould Ghazwani reçoit et écoute ses « opposants » dans son bureau. Tous ont salué son ouverture d’esprit, avant de lui reprocher sa « mollesse », trait de caractère qui le différencierait de son prédécesseur. Ould Ghazwani a aussi à son actif quelques gestes à l’endroit des couches démunies mais pour que ceux-ci portent, leur gestion doit se faire dans beaucoup plus de transparence.

Plus de deux ans après son élection, on parle toujours trop de la gabegie, des injustices, des inégalités, de l’exclusion, du népotisme, d’une école et d’un système de santé malades, d’un état-civil discriminatoire, de l’interventionnisme, du je m’en-foutisme ; en bref, donc : de l’incivisme… Des maux que quelques rares partis de l’opposition et des organisations de défense des droits de l’homme continuent encore à dénoncer. Certes, on peut reconnaître que deux ans et demi ne suffisent pas à extirper ce mal qui gangrène notre pays mais le pouvoir peut quand même donner quelques signaux forts pour marquer sa volonté de changement, à défaut d’une véritable rupture.

Face au discours du président de la République à Ouadane, qualifié d’« important » – « fondateur », même – et salué en conséquence par une grande partie de l’opinion,  Samba Thiam  président des Forces Patriotiques du changement (FPC) a, pratiquement seul, marqué la différence en déclarant : « ce discours ne me parle pas ». L’homme reste fidèle à  la ligne politique de son parti toujours non reconnu  et continue à réclamer la refondation de l’État mauritanien.

Conséquence des problèmes susdits qui devraient être le créneau de l’opposition et surtout faire l’objet d’un véritable débat national – « dialogue » ou « concertations »… – nous vivons au sein d’une nation en constante quête d’unité. On – pouvoir et opposition confondues – ne cesse de rabâcher depuis des années cette thématique mais, à l’arrivée, on ne récolte que des velléités et autres vaines tentatives. Des meetings ont été organisés, des voies publiques rebaptisées au nom de l’unité nationale mais l’injustice, les inégalités et l’hypocrisie, entre autres, battent toujours le pavé et le quotidien. Or le candidat Ghazwani s’était engagé, le 2 Février 2019, devant les mauritaniens réunis au stade de la Capitale, à rétablir tout citoyen victime d’une quelconque injustice dans son droit et cela avait suscité, il faut le rappeler, un immense espoir des Mauritaniens, en particulier  ceux qui s’estiment laissés au bord de la « route Mauritanie ». Les veuves et les orphelins des évènements des années 1986-1990 avaient cru trouver là une oreille attentive, un interlocuteur sensible, eux qui courent depuis des dizaines d’années derrière la justice et le réconfort moral. Ils attendent toujours, hélas depuis trop longtemps, une audience avec le président de la République. Si celui-ci fait montre d’une disposition à trouver une solution au passif humanitaire avec les intéressés, il peine cependant à trouver la bonne approche. Certains de son entourage prêchent le statu quo qui a prévalu jusque-ici. Plus grave, ils tentent même de diviser le front des victimes, en cherchant à les pousser à accepter un protocole d’accord inachevé. S’ils ne sont pas « mouillés » dans les horreurs des années sombres, de quoi donc ont-ils peur, ces visiteurs de nuit et autres « conseillers occultes » ? Le président Ghazwani ne gagnerait-il plus en trouvant un compromis avec les veuves, les orphelins et les rescapés, dissipant à jamais les méfiances vis-à-vis du pouvoir, pour ne pas dire entre les communautés ? Ce sera un gros pas de franchi vers la consolidation de cette unité nationale, surtout si la réforme de l’Éducation nationale qu’il prêche, avec l’officialisation et l’introduction dans le système éducatif des langues pulaar, soninké et wolof, se traduit dans les faits. Sacré challenge pour le président-marabout  qui n’aura cessé de clamer, dans ses différents discours, son entrain à œuvrer pour une Mauritanie de justice, une Mauritanie réconciliée et apaisée. C’est beau, les mots. Mais ce sont les actes qui transforment la réalité.

L’augmentation incessante des prix des denrées de base, l’absence  de mesures concrètes de la part du gouvernement pour en enrayer la spirale ;la persistance de l’esclavage ou de ses séquelles, le passif humanitaire qui continue à hérisser certaines poils ; les détournements de deniers publics, les marchés de gré à gré à grands coups de milliards d’ouguiyas ;et, par-dessus tout, la « discrétion » de l’État qui admet, tout de même, des manques dans l’exécution des engagements du président de la République ; devraient aujourd’hui motiver l’opposition à sortir de son silence,« complice »dirait l’autre. Ses trop rares communiqués de presse, les récentes révélations sur les détournements de deniers publics et agissements suspects de certains cercles réputés proches du Palais sont des signes  de l’urgence à donner de la voix.

Dalay Lam