La première partie de cet article (intitulée ‘’Mais qu’attend le Chef de l’État pour augmenter de toute urgence le SMIG ?’’et publiée dans Le Calame1275 du 1er décembre 2021) accordait la priorité aux arguments juridiques dénonçant les lacunes de la gestion du SMIG depuis une quarantaine d’années, en insistant toutefois sur l’urgence de le majorer. Cette seconde partie porte sur l’implacable vérité des chiffres ainsi que des expériences internationales sur le salaire minimum pouvant servir de boussole et d’aiguillon au gouvernement.
Il ne sert à rien de tenter de faire baisser les prix des denrées alimentaires par des mécanismes inefficaces et infructueux. Quand ils atteignent un niveau très élevé, il devient impossible de les faire baisser spontanément. Pourquoi dès lors le gouvernement persiste-t-il dans cette voie sans issue ? Alors que les grandes nations, même libérales, les États Unis, l’Allemagne, la Grande Bretagne, la France, le Canada, l’Espagne, la Turquie, et j’en passe, ont choisi en ce début d’année de revaloriser les salaires minimas.
Inspirons-nous d’eux au lieu de perdre du temps dans des scénarios contreproductifs. Pourtant, notre gouvernement détient, sans le savoir, la clé de l’unique solution, à savoir revaloriser immédiatement le salaire minimum, prérogative souveraine du Chef de l’État. Il n’existe pas d’autre alternative. C’est ce qui se fait dans tous les pays du monde. Sauf le nôtre, en raison d’une carence notoire du ministère en charge du Travail, depuis 1981. Que de gâchis, de pertes de temps et d’infinis déboires depuis toutes ces décennies au détriment des bas salaires !
Voilà trois publications que je rédige en moins de 12 mois pour sensibiliser toute la classe politique sur le SMIG. Vraisemblablement, je fais face à une incompétence généralisée de toutes les institutions de l’État ne prenant pas en compte la flambée des prix des denrées alimentaires atteignant des niveaux historiques insupportables.
Devant cette réalité cruelle, nos autorités et nos hauts fonctionnaires en charge du social affichent une paralysie générale pour leur incapacité à résoudre la plus simple des équations, majorer le SMIG. Je suis par conséquent formel, ni le Président, ni son Premier ministre, ne paraissent être au courant de l’existence d’une disposition législative permettant de majorer le SMIG selon une procédure si simple.
1. Partout dans le monde le salaire minimum augmente chaque année, sauf chez nous !
Un exemple suffit à démontrer l’échec de la gestion du SMIG par la Mauritanie. En effet, depuis 1980, le SMIG a subi 23 majorations au Maroc. Alors que sur la même période il n’a été majoré que 3 fois en Mauritanie. Le comble d’un échec retentissant de la politique des salaires conduite par tous les gouvernements mauritaniens successifs, sans exception, depuis 40 ans. Affligeant constat !
Ne parlons pas même des autres pays où le SMIG est revalorisé chaque année. Parfois même, deux fois par an comme en France ou en Grande Bretagne, ces 12 derniers mois. Rappelons que le salaire minimum dans tous ces pays est réévalué régulièrement, au moins une fois par an, pour correspondre au coût de la vie et suivre l’inflation.
Citons quelques pays qui, en décembre 2021, ont décidé de majorer le SMIG dans des proportions importantes. D’abord la Turquie, dont l’économie est pourtant mal en point avec une livre turque qui s’est nettement dévaluée, prévoit 50,4 % de majoration du salaire minimal. Le nouveau chancelier allemand annonce une augmentation du SMIC de 25%. Tandis que l’Espagne le revalorise à 22%. Et le Canada à 15%. Nous avons choisi quelques exemples. On aurait pu continuer la liste.
Au contraire de la Mauritanie, où le SMIG n’a été majoré que trois (3) fois seulement en quarante (40) années. Une hécatombe sociale, un immense scandale dont personne n’évalue la portée, mettant lourdement en cause tous les gouvernements. Pire que la gabegie financière de la dernière décennie. Car les victimes directes sont humaines. On a privé des citoyens pendant des décennies de la possibilité de vivre décemment, des enfants de suivre une scolarité normale et des braves mères de famille de nourrir correctement leur progéniture.
2. Une administration du Travail responsable de graves lacunes depuis 1981
Voilà plus de quarante ans que je me considère un témoin privilégié d’un scandale dont personne ne semble se soucier. Et pourtant, il me remplit de peine et m’exaspère au point que je décide à nouveau de crever l’abcès dans une forme de plaidoyer désespéré ou une énième confession espérant qu’elle trouve un écho favorable autorisant enfin de revaloriser d’extrême urgence le SMIG.
Depuis les années1980 que je chemine avec ce mécanisme, j’ai l’impression de deux choses. D’abord que je continue de prêcher seul dans le désert pour n’avoir jamais vu une seule personne parmi nos dirigeants, y compris de l’opposition, consciente que le SMIG est le seul recours contre l’envolée des prix des denrées alimentaires et une inflation dont les autorités ont tout intérêt à ne pas dévoiler le chiffre réel.
Ensuite, pour avoir compris depuis fort longtemps que l’administration en charge du Travail, toutes les directions du Travail ainsi que les ministres depuis plusieurs décennies, sont les principaux bourreaux des travailleurs pour n’avoir jamais bien compris et maitrisé la signification de ce mécanisme de régulation sociale que remplirait le salaire minimal interprofessionnel garanti qu’ils ont mal géré.
J’en viens à un douloureux constat. J’ai l’impression de brasser du vent face à un océan de médiocrité et d’inconscience des acteurs censés résoudre cette question du SMIG. Le droit du travail est incompris par des fonctionnaires faisant office de spécialistes et dont l’incompétence, qui sacrifie des dizaines de milliers de travailleurs, saute manifestement aux yeux. Comment dans tout le pays, ne parvient-on pas à déceler une seule voix dissonante qui appréhende comme nous l’urgence absolue de revaloriser le SMIG et réparer une injustice sociale ?
Comment ce système érigé à l’origine pour apporter une plus grande justice sociale et éviter que les bas salaires ne soient trop éloignés des salaires moyens a pu dériver dans une forme de misérable mendicité. En allouant un SMIG de 3 000 MRU aux pères et mères de famille depuis 2011. Sans jamais le revaloriser depuis plus de 10 années.
Rappelons à nouveau la principale lacune de cette gestion du salaire minimal. Une interprétation erronée et malencontreuse des dispositions législatives et conventionnelles par l’administration du Travail depuis 1981 aboutissant à un détournement des prérogatives présidentielles, seules compétentes pour majorer le SMIG, en les transférant aux partenaires sociaux. Et ainsi, implicitement, délivrer carte blanche aux employeurs de rester maîtres du jeu dans les hypothèses de revalorisation du SMIG depuis 40 ans. Une éternité de privations, de frustrations et de rancœurs s’en est suivie.
3. Combien d’opportunités de revaloriser le SMIG perdues ces dernières décennies ainsi que ces dernières années
Si la loi avait été observée strictement depuis 1981 au lieu de trois (3) augmentations du SMIG, on aurait obtenu au moins treize (13) revalorisations à raison d’une (1) au moins tous les trois (3) ans. Un délai maximum pour une revalorisation du SMIG. Trois ans, c’eût été préférable et sans commune mesure avec l’inqualifiable et monstrueuse périodicité moyenne de13 ans + 6 mois d’intervalle entre deux majorations du SMIG. Et le SMIG actuel aurait été de 70 000 à 80 000 MRO soit 200 dollars au minimum comme dans beaucoup de pays africains. Soit deux (2,5) fois et demie le SMIG actuel !
Cela fait dix ans et presque quatre mois, depuis septembre 2011 que le SMIG n’a pas évolué d’une seule ouguiya, une anomalie des plus insoutenables dont sont victimes des dizaines de milliers de salariés les plus vulnérables du secteur privé et parapublic. En matière sociale, les opportunités ratées sont hélas perdues à jamais. En effet, on aurait dû majorer le SMIG en 2014, 2017 et 2020. Trois possibilités de majorations ratées et définitivement perdues en vertu du principe développé dans la présente publication que la majoration devrait intervenir au moins tous les trois ans.
Comment le bon sens peut-il admettre qu’un travailleur puisse percevoir un misérable salaire de 30 000 MRO au titre du SMIG. Soustrayez le transport quotidien et une maigre collation pour lui permettre de tenir debout dans la journée et il ne restera de ce montant indigne qu’à peine 20 000 MRO. Une honte pour notre Nation envers ses honnêtes citoyens. Pratiquement la même rémunération, 20 000 MRO, que les allocations de stage accordées récemment aux chômeurs diplômés en attente d’un emploi.
Ma qualité d’expert jouissant d’une expérience de plus de quarante années sur le plan national et international m’offre une position privilégiée pour observer ces pénalisantes erreurs. On dirait, et c’est ma ferme conviction, que ni le Chef de l’État, ni son gouvernement, ne disposent d’aucune structure de conseil en matière sociale digne de foi.
Qu’ils fassent appel alors aux expertises nationales de haut niveau pour éviter ce type d’hécatombe sociale, ces errements indignes d’une haute administration. Dans tous les pays disposant d’une administration publique, des experts sont fréquemment sollicités pour accroître la performance et la qualité des services. A fortiori en Mauritanie où les dirigeants du pouvoir exécutif se plaignent souvent des carences de l’administration publique.
Alors pour conclure, posons-nous l’ultime et incontournable question. Qu’attendent le Chef de l’État et son gouvernement pour majorer enfin le SMIG de 100 %et le porter à 6 000 MRU, soit 60 000 MRO ? Une concession minimale pour tenir compte du lourd fardeau qu’on a fait injustement porter, durant de longues décennies, aux dizaines de milliers de travailleurs de la Mauritanie.
*Expert International en Droit du Travail, Protection et Stratégies Sociales