Il est difficile d’imaginer qu’un centre de formation ou une école quelconque puisse se situer dans une zone industrielle où l’on ne voit ou rencontre que magasins, hangars de stockage, gros camions, garages mécaniques, charrettes, tricycles ouvriers et dockers. C’est pourtant le cas du centre de formation de promotion sociale des enfants en situation de handicap (CFPSESH) située dans la zone industrielle et inondable d’El Mina. L’établissement ouvre sur une ruelle étroite donnant sur la route reliant le carrefour Touré au Bataillon des Blindés (BB). Il faut donc bifurquer quelque cinq cents mètres après la station RIM Hydro pour tomber sur sa plaque d’enseigne, drapeau national au-dessus et gardien à la porte. Quelques tables-bancs rangées dans la cour suggèrent la nature enseignante de l’établissement. Il est composé de plusieurs compartiments dont certains ont été rafraîchis il y quelque temps. Maisson emplacement paraît très mal choisi, comme si l’on avait voulu cacher ces enfants qui n’ont pourtant pas choisi, eux, de naître avec un handicap. Ni leurs parents de les concevoir tels...
Vision et mission
Fondé en 2016, le CFPSESH entend aider chaque élève du centre à développer ses capacités spécifiques, sa volonté et son goût à s’intégrer au mieux dans la société. « Éduquer et former en vue d’insérer dans le tissu social et le marché de l’emploi, les enfants en situation de handicap », définit ainsi la mission du lieu son directeur Abdallahi Diakité, ajoutant, comme une boutade, « ils sont rares, les journalistes ou autres, à s’intéresser à ce qui se passe dans nos murs».
Handicaps divers
Le CFPSESH prend donc en charge des enfants souffrant de toutes sortes de handicaps : déficients visuels ou auditifs âgés de 6 à 12 ans, autistes et trisomiques 21, jadis appelé mongoliens, à partir de 3 à 4 ans, et autres déficients mentaux. Selon l’ordonnance 043/2006, l’âge n’est pas déterminant pour les enfants handicapés, surtout mentaux, qui sont répartis en différentes unités spécialisées. Leur prise en charge commença avec l’école des sourds d’El Mina, réorganisée à partir de 2016 lors de la fondation du centre et l’ouverture d’antennes régionales. D’autres spécialités furent prises en compte, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités, espère le directeur de l’établissement. Et de préciser : la prise en charge des enfants handicapés nécessite la conjugaison de beaucoup d’efforts, c’est une action transversale impliquant plusieurs départements ministériels : MASEF, Éducation, Emploi et insertion… Aussi faudrait-il ouvrir, aux enfants handicapés, l’accès aux écoles les plus proches de leur domicile ; cela passe par la formation des enseignants – plus généralement de tous les citoyens – à la prise en charge des handicapés dans l’enseignement public…
Au titre de l’année scolaire 2021-2022, le centre compte six unités de formation impliquant 317 sourds, 50 aveugles et 50 autistes. Face à la demande qui augmente et l’étroitesse des locaux, le ministère de l’Action sociale, de l’enfance et de la famille (MASEF) décida de décongestionner le CFPSESH par l’ouverture d’un centre pour les autistes au Ksar, de sourds-muets à Cheyarat (Mellah)puis des antennes régionales à Nouadhibou (30 enfants), Zouérate (30 enfants), Aleg (25 enfants) et Dalicoumba (42 enfants), un village du Hodh ech-Charghi dont 80% de la population est aveugle. Dans cette localité, l’intervention des Emirati a permis de mettre en place des infrastructures de base (eau, école, poste de santé...). Excepté le CFPSESH, les autres centres disposent d’au moins cinq formateurs.
Types d’enseignement
Au CFPSESH qui assure, avec deux bus, le transport des élèves dont certains viennent de Dar Naïm ou Teyaret, on dispense les apprentissages en fonction des handicaps. Le braille et le langage des signes, respectivement pour les aveugles et les sourds-muets, à partir de 6 à 7 ans, suivant le programme de l’enseignement public. Pour les autres, les formateurs s’attellent à socialiser les enfants atteints d’autisme et de déficience mentale, âgés de 4 et 5 ans. Les enseignements sont dispensés par des formateurs spécialisés dont « la tâche reste ardue », signale le directeur de l’établissement. « Leurs efforts doivent être poursuivis et renforcés à la maison pour consolider la pratique de socialisation et des habiletés enseignées au centre ».Selon Sidi, un formateur d’une classe de 3ème année d’enfants aveugles, « le travail avec les enfants handicapés n’est pas aisé mais si l’on s’y adonne avec force et détermination, on se rend vite compte que ce n’est pas très différent des autres enseignements ». Une séance de démonstration avec ses élèves prouve, sous nos yeux, combien la tâche est rude mais aussi exaltante. Et son collègue qui tient une classe de 1ère d’ajouter : « ces enfants sont comme des bébés, il faut tout leur faire. »
Formation professionnelle
Outre l’enseignement préscolaire et primaire, le centre offre des formations professionnelles à ces apprenants : arts plastiques, couture, boulangerie et pâtisserie, informatique ; sous des formes adaptées à chaque situation et avec des enseignants formés ad hoc, au niveau national ou à l’étranger, comme Sidi qui enseigne le braille à la classe de 3ème année. Les performances réalisées par ces enfants a priori considérés comme différents des autres prouvent combien ils peuvent réaliser des miracles, s’ils sont mis dans des conditions appropriées. Leurs produits le démontrent aisément. Au titre de l’année scolaire 2021-2022, le CFPSESH a placé dix filles au Centre de formation et de promotion féminine de la capitale, en vue de finaliser leur insertion dans le monde du travail.
« Tous les ateliers ont démarré en 2020 », indique Abdallahi Diakité, avant de souhaiter un partenariat avec la Fédération nationale des boulangers. L’unité de pâtisserie/boulangerie ne fournit-elle pas aux élèves et aux employés d’excellents gâteaux et pains ? Et l’on notera ici que le centre dispose d’une cantine scolaire pour assurer la restauration des apprenants, beaucoup d’entre eux viennent de familles démunies.
En dépit des efforts qu'il déploie, le CFPSESH rencontre un certain nombre de difficultés, notamment dans le transport des élèves. Les deux seuls bus disponibles –un grand et un petit – ne suffisent pas à effectuer convenablement le ramassage qui se déploie en des quartiers parfois très éloignés les uns des autres. Enfin, si le centre dispose d’une infirmerie permettant d’offrir, sur place, des soins d’urgence aux enfants blessés ou malades et le suivi de ceux sous traitement, il faut parfois les accompagner vers les centres de santé.
Autres difficultés structurelles
Citons encore à ce chapitre la situation géographique du centre (enclavé, inondable et non-sécurisé), les locaux inadaptés, le manque d’équipement (didactique et de filières spécialisées), le déficit en personnel d’appui et de suivi technique des ateliers de formation, l’absence de représentation à l’intérieur du pays, etc. Pour surmonter ces handicaps, l’administration entend mener un plaidoyer auprès des institutions de l’État et des Partenaires techniques et financiers (PTF) comme l’UNICEF, la World Vision, CARITAS… « Il faut moderniser et adapter le centre aux normes appropriées afin de lui permette d’accomplir sa mission », souligne monsieur Diakité.
Importance des parents
« Les parents jouent un rôle déterminant dans le processus d’apprentissage, de socialisation et d’intégration des enfants accueillis dans les centres de formation », affirme le directeur du CFPSESH. « Le centre ne peut réussir sa mission que si les parents s’impliquent et l’accompagnent dans cette tâche collective. Celle-ci est délicate, surtout pour les enfants atteints d’autisme et incapables d’exprimer leurs besoins », ajoute-t-il. C’est à relever ce défi que le CFPSESH travaille avec l’association des parents, en leur offrant une formation pour poursuivre, à la maison, les processus d’intégration de leurs enfants.
Dalay Lam
Encadré
Les missions du CFPSESH
- La scolarisation des enfants en situation de handicap ;
- La formation professionnelle pour des jeunes en situation de handicap ;
- La formation des enseignants et formateurs en enseignement spécialisé ;
- Le renforcement des capacités de communication des parents avec leurs enfants en situation de handicap ;
- L’élaboration de programmes pour l’enseignement, la formation et l’encadrement des enfants en situation de handicap ;
- La production de supports didactiques pour la promotion de l’enseignement des enfants en situation de handicap ;
- Le développement de l’enseignement inclusif spécialisé ;
- La protection des enfants en situation de handicap contre l’exploitation et la violence.