Jusqu’à nos jours, les Mauritaniens ne cessaient d’entretenir la polémique sur les raisons du putsch du 10 juillet 1978. Ils étaient partagés entre deux opinions. Presque tous étaient d’accord sur les méfaits de la guerre du Sahara sur la Mauritanie. A la veille du coup de force des militaires, le pays se trouvait dans une situation intenable.
Pour les uns, notamment les diverses oppositions au pouvoir en place à l’époque, l’Armée, en tant que corps constitué, strictement organisé et doté de moyens militaires pour imposer son ordre aux différents secteurs civils de la vie publique, constituait, en ce moment-là, l’unique recours possible pour tirer le pays d’affaire. Pour d’autres, généralement, les partisans du régime de Mokhtar, il était encore possible à ce dernier de trouver une issue non militaire à la situation d’impasse que vivait le pays. Hypothèse idéale bien que difficile à démontrer.
Personnellement, comme d’ailleurs une bonne partie de l’opinion à l’époque, je pensais qu’en dehors d’un coup de force de l’armée, la poursuite de la guerre ne fera qu’accentuer la crise interne. La situation d’enlisement du président Mokhtar et son régime dans le conflit armé était telle que le pays allait vers son épuisement accéléré et par conséquent sa disparition inéluctable en tant qu’entité unie et souveraine.
Sur le terrain, les Marocains, appuyés par les Français d’un côté, les unités du Polisario de l’autre, se disputaient seuls l’initiative. La Mauritanie, coincée dans une position défensive, se démenait désespérément pour limiter l’impact désastreux des attaques osées et répétées du Polisario.
Visées malveillantes
Tout le monde savait qu’au fond le Maroc n’avait jamais enterré complètement ses velléités expansionnistes vis-à-vis de la Mauritanie. Le Sénégal, tout proche, misant sur l’agonie de son voisin mauritanien, par la voix du président Senghor, se mit à remettre en cause nos frontières communes le long du fleuve Sénégal. L’attitude du président Senghor n’était certes pas solitaire.
Elle était sûrement concertée dans ses moindres détails avec le régime marocain et les maîtres de l’Elysée. A la veille du putsch du 10 juillet 1978, tout indiquait que le régime du président Mokhtar, épuisé par la guerre, cessait de constituer un réel obstacle devant les visées malveillantes de ses voisins.
On fera plus tard état d’informations, étayées de preuves, révélant le rôle prépondérant du super responsable de la « France- Afrique », le célèbre Jacques Foccart, dans l’entrainement de la Mauritanie dans le conflit du Sahara occidental. Une façon, disaient certains, de la punir pour « sa rébellion » du début des années 1970. Avant et au lendemain du putsch, l’attention était focalisée sur le voisin du nord : le Maroc.
Tous craignaient une intervention militaire marocaine pour maintenir la Mauritanie dans le conflit. Juste après l’annonce du coup d’Etat, des civils proches des putschistes se mirent à organiser les jeunes dans la perspective d’une telle éventualité. Le Maroc possédait en effet, en ce moment, des milliers de militaires dans le nord mauritanien. Le nommé feu Ahmed Ould Wavi s’était particulièrement distingué dans cette mobilisation des jeunes.
De nombreuses réunions étaient tenues par-ci, par-là. Des entrainements au maniement des armes étaient envisagés avec sérieux. Heureusement l’inquiétude de cette éventualité s’était dissipée petit à petit. Une chance pour nous autres, jeunes de l’époque. Manifestement, certains auraient cherché à nous sacrifier pour gagner des positions avantageuses dans la périphérie du nouveau pouvoir militaire.
Par rapport aux auteurs du putsch, les opinions étaient partagées. Les sympathisants de l’ancien régime sont déçus. Ils cachaient mal leur inquiétude de l’avenir. Une bonne partie de l’opinion était plutôt favorable aux nouveaux détenteurs du pouvoir. Dans leurs premiers communiqués, ces derniers promettaient tout. Ils condamnaient avec leur dernière énergie l’ensemble de la politique de l’ancien régime. Comme tous les putschistes de la terre, ils s’en prenaient surtout à la corruption du régime précédent.
La paix à tout prix
Ils annonçaient des « révolutions » dans tous les domaines. Pour réaliser leurs nombreuses promesses, ils comptaient d’abord œuvrer pour ramener la paix dans notre pays. L’espoir d’une bonne partie de l’opinion, toutes sensibilités politiques confondues, était focalisé sur ce dernier point : la paix.
C’était mon cas également. D’ailleurs, ma conviction fut que c’était l’unique point susceptible de bénéficier de l’unité de la majorité écrasante des militaires. Ces derniers furent les premières victimes d’une guerre dont tout indiquait que notre pays en était le plus grand perdant.
Entre-temps, la plupart des putschistes furent travaillés par d’autres préoccupations : deux à trois jours à peine après le succès du putsch, ils se ruèrent sur les postes administratifs supposés les plus juteux. Tous se souviennent encore du fameux «pour moi telle direction financière!» lancé par un jeune officier au cours d’une réunion de partage du « butin ».
Les militaires s’emparèrent des ministères et des directions, des postes aux budgets supposés importants. Les gouverneurs civils furent coiffés par des chefs de zones militaires à qui on confiait l’essentiel des prérogatives civiles et militaires. L’Assemblée nationale fut dissoute. Elle fut remplacée dans ses locaux et dans ses compétences par un organisme militaire dont le nom ne cessait de changer au gré des changements souvent brutaux des nouveaux gouvernants casqués du pays.
Aux premières années d’indépendance, considérant le bas niveau intellectuel de nos administrateurs nationaux, les tâches techniques, comme particulièrement les directeurs de cabinets dans les différents ministères, étaient confiés à des français. Les nouvelles autorités militaires, qui géraient les choses civiles, avaient procédé de la même façon.
Désormais, avec les militaires au pouvoir, les tâches techniques et administratives furent confiées à des technocrates de la société civile. Rappelons-nous les nombreux directeurs exécutifs à la direction du comité militaire.
Le nouveau pouvoir, tout au moins dans ses débuts, était dominé par son aile conservatrice, avec souvent un fort relent tribaliste et régionaliste. Au moment du putsch, les régions administratives du pays portaient des numéros : 1e région, 2e région……. jusqu’à 12, en plus du district de Nouakchott.
Des dénominations furent décidées par le président Mokhtar suite à des frictions avec certains milieux féodaux, pour contourner les dénominations à connotation traditionnelle souvent émirale ou tribale. On revient désormais aux dénominations coloniales inspirées sans détour du pouvoir traditionnel : Adrar, Trarza, Brakna, Hodh…….
(À suivre)