Comme il s’y était engagé après la période électorale, le président américain, Joe Biden, vient de convoquer un sommet mondial virtuel pour la défense et la promotion de la démocratie. Ce sommet a été consacré à trois thèmes majeurs: la défense contre l'autoritarisme, la lutte contre la corruption et la promotion des droits de l'homme.
L'initiative de Biden, tout en visant à ranimer la flamme de la démocratie dans son pays après la période trouble de Trump, s'inscrit dans l'approche stratégique américaine classique, qui institue un lien de conditionnalité organique entre les intérêts géopolitiques des États-Unis et la nature des régimes politiques alliés (la démocratie libérale).
La Russie et la Chine ayant été éliminées de cette initiative et les régimes populistes de l'Europe de l'Est mis à l'écart, le sommet a provoqué un véritable tollé partout dans le monde.
Plusieurs voix éminentes ont souligné les aspects problématiques de cette approche messianique, que ce soit sur le plan interne, où l'effort de relance et de revitalisation de la démocratie entrepris par la nouvelle administration piétine toujours, ou sur le plan externe, où le désenchantement démocratique prend de l'ampleur.
Dans un article paru dans le Daily Times le 9 décembre dernier et qui critique l'initiative de Biden, l'homme politique chinois Liu Hongyang défend le modèle de «démocratie populaire intégrale» appliqué en Chine. Selon lui, ce modèle est en effet plus adapté aux caractéristiques structurelles de la «vraie démocratie» que la démocratie libérale, avec la pleine et permanente participation du peuple aux différents processus de décision publique, l'expression de la volonté souveraine et unique de la collectivité nationale et la traduction de la conscience solidaire de la nation au sein d’institutions efficaces et solides.
Ces idées ont été reprises sous une forme similaire dans le discours politique russe actuel, qui met en valeur les mêmes vertus d'unité, de souveraineté et de solidarité face aux «dérives» du libéralisme occidental (l'individualisme égocentrique, les antagonismes sociaux, la volatilité électorale...).
Dans cet ordre d'idées, le président russe, Vladimir Poutine, a vanté le modèle d’une «démocratie souveraine» – expression inventée par son conseiller historique, Vladislav Sourkov – qui valorise le contrôle, la verticalité, la tradition en lieu et place du «nihilisme libéral» (la déconnexion de l'idéal de liberté d’un socle civilisationnel ou culturel stable).
Ces idées commencent à connaître un large écho au sein des démocraties occidentales; la vague populiste de droite que l’on constate en Europe en est l'illustration. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, s’est réapproprié la formule de «démocratie illibérale» qui fut introduite par l'essayiste américain Fareed Zakaria pour désigner la nouvelle lignée des démocraties néoconservatrices qui congédient les valeurs libérales de la modernité.
Clivages profonds
Le dilemme auquel s’est trouvé confronté le président Biden dans sa nouvelle initiative réside dans l'échec patent des efforts qu’il a consentis pour redynamiser la démocratie américaine. Le 1er anniversaire de l'assaut du Capitole, le 6 janvier prochain, sera célébré dans une atmosphère morose et pessimiste qui traduit un large désenchantement, révélant les divisions et les clivages profonds de la société américaine.
La démocratie américaine n'est plus ressentie comme «la nation indispensable» («the indispensable nation», selon les termes de l'ancienne ministre Madeleine Albright) susceptible d’inspirer une grande fierté aux citoyens. Sa puissance d’attraction dans le monde est en régression.
Dans les pays du tiers-monde qui ont subi par le passé les aléas du despotisme et de l'oppression sociale, la demande démocratique a été fortement investie par les forces politiques dans une optique holistique qui dépasse largement la question de la légitimité du pouvoir pour englober les idéaux d'égalité et de justice sociale. L'implantation du système de gouvernance démocratique est censée conduire à la société de liberté, d'équité et de prospérité, à l'image des puissances occidentales développées.
Force est de constater que, dans les pays du tiers-monde, les printemps démocratiques ont tourné en rond. L'idéal même de liberté publique a souvent été supplanté par la demande sécuritaire ou hégémonique du pouvoir politique, dans des contextes d'érosion généralisée des institutions étatiques.
En clair, quand la démocratie perd sa force de mobilisation et sa dynamique symbolique, elle se transforme en un simple mode de domination politique dont la légitimité finit par se déliter et se détruire.
Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
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