La question de l’esclavage est revenue de nouveau au devant de la scène et ce au moment où l’on pensait l’avoir plus ou moins dépassée. En effet des lois l’interdisant et d’autres la criminalisant ont été promulguées et des délégations d’Imams et de hauts responsables ont sillonné le pays pour mener des campagnes de dénonciation et de sensibilisation autour de ce phénomène. Campagnes largement relayées par l’ensemble des média. Toute équivoque autour de la question a été levée à tel point que Messoud OBelkheir, le seul vrai militant anti-esclavagiste, a déclaré un jour, cédant à un légitime sentiment de mission accomplie : « aujourd’hui les esclaves sont libres, n’est esclave que celui qui tient à le rester ». A peine avons-nous commencé à savourer le progrès accompli dans le domaine que des zélateurs hier indifférents à la question, s’en saisirent pour développer, cette fois un discours exceptionnellement provocant, malveillant et impie. Un discours en totale discordance avec l’optimisme ambiant en matière de démocratie, de liberté et de perspective de développement.
Comme bien d’autres, je me suis souvent interrogé sur les motivations de ce curieux mouvement et des solidarités qui se manifestent ça et là avec lui. J’ai réalisé que le phénomène de l’esclavage est le talon d’Achille du pays, point vulnérable qui saute à l’esprit de tous ceux qui pour une raison ou une autre cherchent à lui nuire.
Certains militants des droits de l’homme et acteurs de la société civile à court d’inspiration s’y accrochent fébrilement et redoublent d’imagination pour accréditer de nouvelles thèses qui n’existent que dans leurs esprits irrémédiablement rivés à un passé à jamais révolu. On leur répète à tue-tête les esclaves sont désormais libres, ils s’insurgent et rétorquent avec hargne, c’est faux nous sommes esclaves ! Ils se cramponnent à leur captivité comme un précieux trésor auquel on ne peut renoncer. Et dans leur exaltation tentent de rééditer le bon vieux temps de la négritude qui a fait son temps (au sens positif du terme) mais qui ne peut plus être opérationnelle aujourd’hui. C’est comme si, pour ses activistes, l’enjeu véritable, au-delà de la libération c’est surtout la préservation du prestige acquis et de l’audience internationale dont ils jouissent. En effet, on résiste difficilement aux yeux doux de l’Occident et on est en droit de jubiler quand on se sent au centre des préoccupations de parlementaires européens et de diplomates américains. Cet intérêt à lui seul ne compense- t-il pas bien des déboires et ne vaut il pas le sacrifice de la stabilité et de la quiétude d’un peuple ?
Quant à l’occident, au lieu de s’émouvoir de l’arrestation d’un élément qui trouble l’ordre public, ne devrait-il pas plutôt se garder de s’ingérer dans les affaires d’autres pays. L’arrestation de Biram O/ Abeid a coïncidé avec le mort d’un jeune adolescent noir froidement abattu dans les rues de l’Etat du Missouri. Son cas n’étant hélas pas isolé dans ce pays, modèle de démocratie, n’a-t-il pas de quoi pousser les responsables américains à plus de réserve. En Mauritanie Biram O/ Abeid est le premier et seul prisonnier politique et il n’a été arrêté qu’au terme d’une série de provocations inédites. Son cas mérite-il l’intérêt d’une Europe ou ses frères africains sont quotidiennement humiliés, stigmatisés pourchassés et livrés à la fureur des vagues de la Méditerranée? J’ai été surpris au hasard de mes lectures de constater que certains de nos intellectuels accueillent favorablement l’ingérence Européenne et continuent encore aujourd’hui à croire aux vertus de sa prétendue mission civilisatrice. Il n’est plus un secret pour personne que l’Europe n’est sensible qu’à ses intérêts et que les principes de liberté et de droit de l’homme ne sont qu’un masque pour cacher la laideur de ses motivations véritables. Elle emploie à son service les soi disant défenseurs des droits de l’homme qu’elle entretient et lance contre tout pouvoir qui ne se plie pas à ses exigences. Elle compte parmi un ensemble d’intervenants qui manifestent un vif intérêt pour la cause des haratines, non pas par solidarité avec ces derniers mais pour instrumentaliser cette cause et l’exploiter à des fins inavouées.
Parmi ces intervenants figurent les militants du FLAM qui sont rentrés d’exil à la faveur de la large ouverture démocratique que connait le pays. Ils n’ont pas tardé à montrer que rien dans leur programme n’a changé et que le temps n’a en rien entamé leur implacable volonté déstabilisatrice. Ils plaident pour une remise en cause totale des fondements de l’Etat Mauritanien et clament haut et fort leurs visées séparatistes. Ils ne sont cependant pas sans savoir que leur objectif et irréalisable parce que en porte à faux avec les données territoriales et démographiques. Aussi tournent- ils le regard vers Biram espérant réussir à travers lui un fractionnement de l’entité Bédane qu’ils rejettent en bloc et tiennent responsable de tous les maux du pays. Ils tentent de faire cause commune avec les haratines et à se confondre avec eux. Mais là aussi ils se heurtent à la complexité des réalités sociales. La société négro-africaine est fortement hiérarchisée, et foncièrement esclavagiste. Son esclavage contrairement à l’esclavage en société maure a été jusque là épargné par la propagande anti-esclavagiste et conserve intacte sa nature primaire.
Aux gens du FLAM s’ajoutent certains intellectuels ulcérés d’avoir manqué le grand rendez – vous du printemps arabe. Ils suivent avec intérêt l’évolution du mouvement de l’IRA. Ils savent par expérience que le discours raciste, populiste et démagogique a de tout temps été dévastateur et prélude souvent aux gravent tensions. Et pour éviter que le mouvement ne s’essouffle, ils s’empressent de lui préparer une base idéologique à même de lui assurer une plus longue durée. Ils décrivent la Mauritanie comme étant une société féodale esclavagiste qui malgré l’impact de la colonisation et de 50 années d’indépendance a réussi à préserver les rapports de domination et d’exploitation qui prévalaient dans la société traditionnelle d’antan. Ils parlent de haratines sans terres, de grands féodaux qui font travailler des serfs dans leurs immenses concessions mais quand ils se hasardent à avancer des exemples pour illustrer leur propos, ils commettent des bévues.
A ce propos je peux par contre affirmer que chez moi au Brakna et au Gorgol les haratines possèdent plus de terres cultivables que leurs anciens maîtres et qu’au niveau de la vallée du fleuve, les terres cultivables des Idéguejemella, des Lemtouna et des Twabir appartiennent presque intégralement aux haratines de ces tribus. Il convient en outre de signaler que la féodalité guerrière, celle qui vient au premier rang dans la hiérarchie féodale mauritanienne ne possède pas de terres cultivables et que en l’état actuel des choses, elle mérite l’attention de ceux qui plaident pour une nouvelle redistribution des terres. C’est dire que la probabilité d’une confrontation entre féodaux et haratines autour de la propriété foncière est presque exclue et que les appels pour susciter des jacqueries risquent de rester sans suite.
Je tiens cependant à préciser pour éviter tout malentendu, que la cause des haratines est une cause juste mais elle gagnerait à être délestée de toutes ces causes secondaires qui la parasitent et risquent à terme de la dénaturer. Elle doit être défendue de manière responsable et sans haine car la haine est mauvaise conseillère et mère de tous les dérapages. L’esclavage est un phénomène historique dépassé et n’a plus d’adeptes ni de défenseurs. L’arsenal juridique le bannissant en Mauritanie est l’un des plus complets. Il ne reste plus maintenant qu’à aider les anciens esclaves à s’émanciper économiquement et intellectuellement. C’est une entreprise qui requiert beaucoup de bonne volonté et assez de temps car n’oublions pas que nous avons aujourd’hui des États peuplés exclusivement d’anciens esclaves et dirigés par eux qui n’ont pas réussi jusqu’à présent à enrayer la pauvreté ni à niveler les disparités sociales. Le Liberia est là pour l’attester. Le pouvoir en place a créé l’Agence nationale pour la lutte contre la pauvreté et les séquelles de l’esclavage. Son action sur le terrain est visible et louable. Tous les acteurs politiques doivent avancer des propositions concrètes pour aider à éradiquer ce phénomène. Cela reste à faire car dans tous les débats que j’ai suivis, j’ai cherché en vain à entendre une esquisse de solution, les analyses finissaient toujours dans un flou énigmatique renvoyant à la nécessité d’ouvrir un dialogue. Un dialogue national, je veux bien, tous d’ailleurs semblent le souhaiter mais en attendant le dialogue, cette chère panacée, ne peut-on pas faire des suggestions ?
Enfin pour terminer je voudrais dire à l’adresse des militants anti-esclavagistes : « qui trouve l’eau n’a pas besoin de creuser davantage » ! Votre cause est partagée, la porte que vous voulez défoncer est ouverte, il n’y a personne à l’autre extrémité de la corde que vous tirez.
Professeur Abderrahmane Ould Sidi Hamoud