C'est un discours qui ne peut pas passer inaperçu. Un propos direct, un ton fort et un thème crucial pour le destin de la Nation.
A Ouadane, le président de la République a attaqué de front les archaïsmes qui plombent notre marche vers le progrès et proclamé la détermination de l'Etat à s'approprier les attributs qui sont les siens pour bâtir un pays unitaire et égalitaire. Il a aussi demandé aux citoyens de dépasser les survivances d’injustices envers des franges de la population et de combattre le « souffle tribaliste montant ».
C'est vrai que le citoyen est au cœur de toute problématique sociale. Mais son rôle dépend de son niveau de maturité et de conscience civique. On ne peut pas lui assigner, à l'état où il se trouve, la lourde tâche de battre en brèche le fait tribal, géniteur historique des autres tares sociétales. En général, sa perception des choses et son comportement sont déterminés par la mentalité des milieux ascendants.
Du temps de ma scolarité au collège de Rosso, assez bigarré à l'époque, fin 60 début 70, personne ne demandait à personne sa tribu ou son ethnie, tout au plus sa ville d'origine. En supporter, je venais applaudir indifféremment les joueurs de volley-ball, appartenant pour la plupart à l'axe Atar-Boutilimit-Aioun, ceux de basket-ball, venant en majorité de la zone Kaédi-Boghé et ceux de football, essentiellement des jeunes de Rosso. De nos jours, le premier identifiant qu'on cherche à connaître d'un individu est son appartenance tribale, avant son nom et sa profession.
En 1986, dans un bref sursaut de modernité, l'ex-président Maaouiya Ould Taya avait fustigé le système tribal, parlant péjorativement de « Qweybilat" (petites tribus). Il dut ravaler ses paroles avec l'avènement du processus démocratique, pour ne pas s'aliéner l'apport des grands électeurs tribaux. Depuis, la stratégie électorale dominante s'est attelée à ratisser large sur les terres d'allégeance traditionaliste, entraînant la montée en puissance d’un tribalisme débridé.
Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il s'éteigne de lui-même, telle une étoile filante. Il restera en vie et en bonne santé, aussi longtemps que l'Etat n'aura pas décrété la fin de ses jours. Après 61 ans d'un pouvoir centralisé, ouvert sur un monde en mutation, il est anormal que notre pays continue à ployer sous les pesanteurs d'un système éculé et de mentalités rétrogrades.
En fait, le souci d'élargissement de l'assise politique, finalement au détriment de la qualité, a conduit le pouvoir à revigorer la réalité tribale, socialement et économiquement, et à lui conférer la légitimité qui fait aujourd'hui sa force. Il suffit de lui retirer ses sources de puissance pour qu'elle perde ses lettres de noblesse et se réduise à sa plus petite expression. C'est le prix à payer pour l'émergence d'un électorat éveillé et libre, et pour la restitution du vote dans sa réelle signification en démocratie : un devoir civique, adossé à l'idée d'une appartenance citoyenne.
Dans la foulée, tous ceux qui tirent leur situation administrative ou politique d'une légitimité tribale devraient être recyclés au sens de la Nation ou simplement surclassés par des cadres méritants. La compétence et le dévouement à la République seraient les seuls critères à prendre en compte. Il est chaque jour plus évident que le rapport du pays à la modernité et à la citoyenneté appelle des actes décisifs.
Que peut donc nous réserver l'après Ouadane ? Un renouveau serait-il en vue ? En tout cas, la sortie du président de la République n'a pas manqué de frapper les esprits. Elle ne devra pas rester sans lendemains.
Mohamed Salem Elouma Memah
Entre-citoyens