Chère famille,
Chers camélidés,
Vous écrire, par ces temps de guerre et de pandémie mondiale, est un exercice laborieux pour un chameau comme moi qui n’a fait, jeunesse durant, que transhumer au milieu des pâturages verdoyants du Tiris, du Zemmour et de Ghalamane.
Les études constituaient à mes yeux de dromadaire, myopes et couverts de cils, une sorte de subterfuge utilisé par les aînés pour nous éloigner des douceurs de la vie en groupe, auxquelles seuls les chameaux adultes et dotés de crocs semblent avoir droit.
A cette difficulté mentale, s’est ajoutée un autre handicap d’ordre physique, les pattes d’un chameau étant formées de masses uniformes, il m’a fallu user de mon intelligence pour tenir le stylo avec mes lèvres fendues et me pencher allégrement pour vous écrire ces mots.
Cet exercice, quasiment impossible pour un chameau de mon âge, a été facilité par une météo bizarrement clémente en cette période de grand hiver au Tiris et par le fait que je n’ai pas brouté une brindille depuis le jour où l’envie de vous écrire m’a serré le gosier.
Passées ces difficultés, le contenu de la lettre est un autre défi pour un chameau analphabète, perdu au milieu d’un territoire hostile, en proie à une guerre meurtrière et destructrice.
Ah cette guerre des sables, je crois que vous aimeriez que je vous en parle.
Elle a recommencé au mauvais moment pour nous autres camélidés.
Au beau milieu d’un cycle de grande sécheresse, où pour survivre il nous fallait braver, sans cesse, les dangers du mur, au milieu des mines qui sautaient sous nos pattes éprouvées dès qu’on s’approchait trop de cette maudite plante de l’Askaff qui semblait se réfugier, malicieusement, au milieu des engins de la mort pour nous échapper.
L’autre jour, en compagnie d’une vieille tante, alourdie et portant la marque de la noble famille des Smacides « Lehbara», une tribu pourtant bien vue ici, j’ai vu la mort en face lorsqu’un explosif a emporté cette brave chamelle qui attendait de mettre bas et qui comptait sur moi pour la soutenir durant cette longue et douloureuse gestation.
J’en ai pleuré au point de perdre la vue par déshydratation.
Les dangers liés à ce nouveau (ancien) conflit se sont multipliés à la faveur du développement des nouvelles technologies.
Une nouvelle catégorie « d’oiseaux «, les drones, distribuent silencieusement la mort dans ces immensités désertiques.
Les nombreux chameaux qui ont commis, comme moi, l’erreur de suivre leurs flairs pour venir ici, sont terrifiés par le bruit assourdissant des explosions.
Certains en ont perdu l’envie de manger. D’autres en sont traumatisés au point de perdre leur sens vital de l’orientation.
Le plus difficile pour un chameau mauritanien est d’être pris entre deux feux.
On a beau scander la neutralité de notre pays, les gens étant dramatiquement engagés pour s’occuper de l’identification de maudits chameaux.
Les choses seraient plus simples si on pouvait arborer notre beau drapeau national pour éviter de se faire tuer ou même se faire assister en cas de besoin.
Heureusement que nous avons ces marques (Alama), faites au feu qui prouvent notre appartenance à une terre de paix à laquelle nous sommes profondément attachés et qui nous manque mortellement.
(À suivre…)
Laghdaf Ould Khaye