Les journées nationales de concertations sur la réforme du système éducatif mauritanien ont vécu. Au terme d’un long processus, les participants ont produit un rapport de plus de cent de pages. Si l’ambiance a été relativement bonne – mis à part l’attitude de certains qui ont déchiré les documents rédigés en français – les réactions sont, quant à elles, mitigées. Il ne pouvait pas en être autrement. Très politisée, l’école mauritanienne n’a cessé d’être, depuis l’Indépendance, le lieu d’affrontement privilégié entre différents groupuscules et communautés. Certains veulent imposer, pour des raisons idéologiques, une langue à toutes les composantes du pays, d’autres réclament l’équité entre les différentes langues nationales. Cela dit, il est bien connu qu’imposer une langue, voire une posture, entraîne inéluctablement des frustrations et des réticences chez ceux qui se sentent « opprimés ». Et cette « guerre des langues » n’a fait que s’accentuer depuis quelque temps. Elle a été servie aux Mauritaniens par leurs députés dont certains se sont montrés en spectacle devant le peuple. Un ministre de la République fut empêché par un de ceux-là, de longues minutes durant, de prononcer son propos en français, sans que le gouvernement ne réagisse – aucune solidarité… – ni que l’Assemblée nationale ne prenne la moindre mesure de rétorsion. Certains extrémistes ont voulu déplacer le combat en accusant les Négro-africains de défendre la langue française, alors que leur revendication en la matière, du reste légitime, est l’officialisation et l’introduction des langues pulaar, soninké et wolof dans le système éducatif. Une question de « justice linguistique», dira quelqu’un. Non seulement on en est encore loin mais leur volume horaire, dans les media publics (radio et télévision) est réduit à peau de chagrin. Le constat dressé par la HAPA dénonce l’irrespect de la diversité du pays dans lesdits organes. Et ceux-là même qui pourfendent la langue française envoient leurs enfants dans les écoles à programme français, tout en poussant les enfants des pauvres vers une école publique dépourvue de tout ! Tout un système de domination dont personne n’est dupe. Pourrait-on ne pas s’étonner de l’amalgame que certains tentent de fonder, en disant que l’arabe est la langue de l’islam et du Paradis. Dans aucun pays du monde arabe, on ne justifie l’enseignement de cette langue par ces arguments. L’islam est bien évidemment notre religion commune, la langue arabe appartient à l’Oumma et personne ne s’y oppose. Arrêtons donc la diversion ! Que les pêcheurs en eau trouble plient leurs filets et « ukases » appelés à la rescousse pour semer la zizanie et surtout « polluer le débat » sur la place des langues nationales dans le système éducatif ou ailleurs ! Qu’ils retournent à leur magistère !Et l’on remarque parmi eux ceux qui ne cessent d’agiter cette histoire de transcription des langues nationales en caractère latin ou arabe. Un autre amalgame encore entretenu, faisant appel à la religion trop souvent invoquée, chez nous, pour défendre des intérêts égoïstes. L’islam se vit et se pratique au quotidien ; pas pour des intérêts matériels ici-bas.
Durant ces journées de concertations, la bataille aura donc continué ferme, pour consacrer, à terme, la prééminence de l’arabe dans le système éducatif mauritanien. Elle gagne même en puissance puisque les matières scientifiques seront désormais enseignées en arabe. On se rappelle qu’une telle option avait été déjà adoptée… avant d’être abandonnée, posant un gros problème au niveau des enseignants. Ailleurs, on recourt à des langues comme l’anglais ou le français pour enseigner les sciences et autres nouvelles technologies. Ici, on s’entête en un chemin inverse.
L’unité dans la diversité ?
Contrepartie peut-être significative d’une approche plus nationaliste, les langues pulaar, soninké et wolof vont désormais être officialisées et enseignées. C’est un pas… à condition que cette résolution soit matérialisée dans la Constitution et le Budget assurant les moyens pour la réouverture et le fonctionnement pérenne de l’Institut des langues nationales (ILN). Il n’est un secret pour personne que l’expérience tentée sous le règne d’Ould Haïdalla donna des résultats probants mais que les extrémistes se hâtèrent d’enterrer. Il suffit donc d’une volonté politique réelle pour arriver au but. On se rappelle que lors du dernier dialogue sous Ould Abdel Aziz, on s’était contenté d’évoquer, dans le préambule de la Constitution, l’officialisation des langues nationales. Depuis, rien ne s’est passé. Va-t-on rééditer la même astuce ou le dialogue décidera-t-il de mesures autrement plus concrètes ? De quoi renforcer, dans les faits, l’unité nationale et la cohésion sociale et, partant, fonder une véritable école républicaine comme on nous le rabâche depuis bientôt trois ans ?
Nouvelle gestion des ressources ?
Reste une grosse inconnue : la situation des enseignants. Leur traitement, bien sûr, mais, aussi et surtout, leur capacité à prendre en charge les apprenants. Si l’on veut asseoir une école républicaine, citoyenne, il faut en effet des ressources humaines bien outillées. Nos enseignants ont fini de perdre leur notoriété ; leur dignité même. Ils se sont transformés en boutiquiers, revendeurs de cartes de crédit, taximen, courtiers en tout genre. Un personnel très mal géré, avec des salaires dérisoires… Un gros gâchis et avec la mentalité ambiante que subit notre école, la démission des parents d’élèves tenaillés qu’ils sont par les conditions de vie de plus en plus intenables, il est difficile de rester optimiste. Une fois le diagnostic en main, le ministère pourra-t-il trouver et, surtout, administrer le remède ad hoc ? C’est la question essentielle que tout le monde se pose aujourd’hui, tant le mal est très profond. Multidimensionnel, il pointe la gestion des ressources, tant humaines que matérielles.
Langues nationales et media publics
La question de la place des langues nationales pulaar, soninké et wolof ne se pose pas qu’à l’école :la portion congrue qu’elles occupent dans les programmes des media publics (radio et télé) a été récemment dénoncée parla Haute autorité des média (HAPA), épinglant ceux qui ne respectent pas la diversité préconisée par la Constitution. C’est la croix et la bannière, en ces organes, pour les animateurs dépourvus de moyens et de temps pour effectuer des reportages, organiser des débats. Les rares auditeurs de Radio-Mauritanie n’ont cessé de relever les coupures et autres en pleine émission pulaar pour diffuser des planches publicitaires ou autres émissions. Les cinquante minutes officielles se voient ainsi souvent réduites à trente, voire moins, le journal de 16h censé durer dix minutes pouvant facilement déborder « jusqu’à trente minutes », précise un animateur. « Quand nous demandons des explications, on nous promet de trouver des solutions mais ça ne cesse de se reproduire ». Même avec des grandes manifestations, comme celles de la commémoration de l’Indépendance ou les « visitations » du président de la République, les media publics ne font pas dans la dentelle. Une telle attitude détourne une bonne partie des Mauritaniens des media publics et privés. « Avec ces pratiques », déplora une députée de la République,« certains mauritaniens se croient étrangers en leur propre pays ».
DL