Solution ultime: Face au dynamisme des autorités du PPM, le mouvement, affaibli par la crise interne, et menacé par un moment d’inertie, il fallait dépasser cette situation intenable. J’étais déjà en contact avec Mohameden Ould Ichidou, l’homme qui semblait être le président du parti, PKM. J’en profitais pour bousculer les choses. Ichidou, qui, de son côté, semblait me découvrir, ne cessa de me demander de l’aider à trouver des solutions aux problèmes urgents qui assaillaient le parti. Ichidou découvrit en même temps ma tradition de méditation dans des promenades solitaires. Puisant dans son grand sens de l’humour et de la farce, il me dit qu’il avait constaté que, « contrairement aux communs des humains, qui réfléchissent par leur cerveau ; toi tu réfléchis par tes pieds ». Ils me posent souvent des problèmes difficiles qui demandent des solutions urgentes.
Après une promenade solitaire généralement à l’extérieur de la ville, je revenais avec des propositions de solutions. Rarement, je ne réussis à me concentrer sur mes propres préoccupations.
“La direction nationale”: C’est ainsi qu’on avait résolu ensemble le problème crucial de la composition de la liste des signataires de la lettre de soutien à l’orientation jugée progressiste du régime de Ould Daddah. La destination de cette liste nous avait posé un autre sérieux problème. Fallait-il adresser la lettre au gouvernement ou à la direction du parti PPM ? C’était bien moi qui avais proposé à Ichidou, un terme, qui va faire date : « Direction Nationale ».
Une pluie de lettres de soutien adressées à « la Direction nationale », va suivre. Auparavant j’avais harcelé Ichidou pour que le parti tranche dans un sens ou dans un autre. La direction du PKM devrait se réunir d’urgence et décider de l’orientation à suivre. Après cette réunion, la décision de rapprochement avec le régime fut arrêtée. Les opposants crièrent au scandale. La décision fut irréversible.
Le ciel s’obscurcit: Fort de ce climat général de ferveur populaire, le PPM va tenir un congrès historique en août 1975. Ce sera également en grande pompe qu’il va organiser les festivités de la fête de l’indépendance, le 28 novembre de la même année. Le président Mokhtar Ould Daddah est à l’époque au zénith de sa popularité. Malheureusement la descente aux enfers va suivre avec le déclenchement de la guerre du Sahara. Depuis quelques mois, on parlait déjà d’un accord secret de partition du Sahara Occidental entre la Mauritanie et le royaume du Maroc.
Solution à la Mauritanienne: Devançant les événements, le MND était parvenu à encourager le Polisario à négocier un accord de compromis avec les Espagnols, considérant que leur ennemi d’avenir sera inévitablement le Maroc. On comparaît leur situation à celle de la Mauritanie à la veille de l’indépendance. «La sagesse recommandait », leur expliquait-on, « hier à la Mauritanie de composer avec les Français pour se prémunir des prétentions marocaines ». Les Sahraouis, déjà mobilisés contre toute éventuelle velléité d’occupation de leur territoire, par toute puissance tierce, étaient surtout révoltés par la solution prônant le partage de leur pays et de surcroît de leur peuple. Ils nous avaient vite compris et se mirent à appliquer immédiatement la tactique proposée, car les Espagnols avaient commencé aussitôt à passer le service effectif à une autorité administrative issue du Polisario.
Les gouvernements marocains et mauritaniens s’inquiétèrent et accélèrent la mise en application de leur accord de partage. Le génie d’Hassan II, profitant de l’agonie du chef de l’État espagnol le dictateur Franco, créa l’idée de la marche verte. Véritable expédition coloniale, la marche verte réussit à mettre en échec l’accord Espagne-Polisario. Les Mauritaniens s’installèrent dans la partie du Rio de Oro, la partie la plus stérile du Sahara Occidental alors que les Marocains s’étaient emparés de la Saguiat Elhamra, la partie utile, une zone très riche en minerais de phosphate.
Souvenir d’enfance d’un sage vieux Soninké: Après que les techniciens, accompagnant le président Mokhtar Ould Daddah au parlement mauritanien, aient expliqué, carte à l’appui, les détails de la solution du partage, celui-ci demanda aux députés dont la déception se lisait sur le visage, s’ils avaient des commentaires à faire ou des questions à poser à propos de ce dossier. Tous hésitèrent sauf un : Camara Seydou Boubou. Il leva le doigt. Le président Mokhtar, qui gardait encore un peu de son sens d’humour, lui dit : « Vas-y Camara ! Un soninké a toujours quelque chose à dire ».
Le sage Soninké lança qu’il n’a pas de commentaire à faire ni de question à poser. Il déclare que cette affaire de partage lui avait simplement rappelé un petit récit, raconté souvent aux jeunes enfants de chez lui. Il raconta : « il était une fois, le lion, l’hyène et le chacal. Ils décidèrent ensemble d’aller à la chasse, et au retour de se partager leurs proies. Le lion et le chacal passèrent la journée à dormir.
L’hyène revint le soir avec une vache, un mouton et un rat. Les deux premiers déclarèrent qu’ils avaient été à la chasse, mais qu’ils n’avaient rien trouvé. Le lion regarda le chacal et lui dit de voir comment effectuer un équitable partage du butin de l’hyène. Le chacal répondit que le partage ne posera pas de problème. Il précisa, qu’habituellement la vache était réservée au lion, le mouton au chacal et le rat reviendrait à l’hyène. Cette dernière, en signe de mécontentement, fit un geste marquant un refus du partage proposé.
Le chacal se pressa d’ajouter : « Et celui qui refuse sa part, on la lui retirera ».
La salle de l’assemblée éclata de rire. Et l’évolution des événements donna raison aux prophéties de Camara Seydou Boubou, puisque le Maroc finira par annexer tout le Rio de Oro, la part correspondante à celle de l’hyène, après que la Mauritanie l’eût abandonnée. On me rapporta plus tard que même le président de l’Assemblée nationale du moment, feu Dah Ould Teiss, déclara, à son retour chez lui à une heure tardive de la nuit, après la réunion de l’Assemblée ayant entériné la guerre que : « Malheureusement le président Mokhtar venait de se suicider ! ».
(A suivre)