Le parlement mauritanien a approuvé, le mardi 9 Novembre 2021, la loi de protection des symboles de l’État. La séance fut mouvementée. Les députés de l’opposition ont contesté et boycotté la séance. Pour eux, les procédures n’ont pas été respectées. En tous les cas, la loi est bel et bien passée puisque que le gouvernement dispose, comme on le sait, d’une « majorité mécanique » à l’Assemblée nationale. Mais adoptée à l’heure des manœuvres entre la majorité et le pouvoir en vue d’un dialogue, cette loi risque de polluer les débats. L’apaisement politique en aura-t-il pris un coup ?
Est-elle nécessaire ?
En décidant de l’imposer, le gouvernement cherche à mettre de l’ordre dans le développement anarchique du secteur des media. Devant les députés, le ministre de la Justice, Mohamed Mahmoud ould Boyé a déclaré que « cette loi intervient pour combler un vide juridique constaté au sein de notre code pénal national ». Et de préciser : « Certains ne mettent à profit que les aspects négatifs de ces tribunes, afin de répandre fausses rumeurs, sujets fabriqués de toutes pièces, audios et vidéos, écrits racistes et discriminatoires, insultes, propos diffamatoires et haineux contre des individus, des groupes ou des institutions. […] Les appareils spécialisés seront désormais dotés de mécanismes juridiques claires, afin d’imposer la souveraineté de la loi et le respect de la République ».
Il est de fait vrai qu’à faveur de la libéralisation des media, les sites électroniques ont poussé comme des champignons, des citoyens se sont transformés en bloggeurs, inondant les réseaux sociaux d’«informations», touchant à tous les secteurs, parfois très « sensibles » du pays et toujours sans aucun respect de la déontologie de la profession. Des « insanités » sont déversées tous les jours sur la Toile sans un minimum de retenue – ni le moindre professionnalisme, donc – « menaçant parfois la sécurité de l’État ». La loi votée par le Parlement entend ne plus laisser attaquer la personne du président de la République, le drapeau, l’hymne national et certaines institutions, notamment, l’armée. Ceux qui se livrent à ce jeu dangereux s’exposent désormais à la rigueur de la loi.
Recul des libertés ?
Mais pour les députés de l’opposition, le gouvernement empiète, en faisant adopter ce texte, sur le champ de la liberté d’expression garantie par la Constitution. « Loi liberticide », disent certains acteurs politiques qui s’inquiètent du « recul des libertés ». Les uns et les autres parlent de « musellement » de l’opinion. Avec, notamment, « le refus d’autoriser des manifestations publiques pacifiques et la répression contre leurs organisateurs.» On aura remarqué au premier rang des députés contestataires, Kadiata Malick Diallo, son collègue Mohamed Ould Maouloud, le député et avocat, El Id M’Bareck et le bouillant député Mohamed Bouya.
Pour le RFD, « la loi de protection des symboles de l’Etat viole la Constitution et les pactes internationaux auxquels la Mauritanie a souscrit ». Le parti condamne cette décision à l’heure où le gouvernement prêche l’apaisement et tente d’organiser, avec les acteurs politiques, un dialogue politique inclusif. Et ledit parti d’exprimer ses craintes d’assister au retour des politiques « despotiques ».
A côté de ces élus, on remarque également la réaction du vice-président de l’UFP, Lô Gourmo Abdoul qui écrit : « Le prétexte de lutter contre les offenses au chef de l’État, aux symboles nationaux, au moral des forces armées et de sécurité ne doit pas primer sur les acquis démocratiques. Une bonne partie des articles est une compilation de lois contre les discriminations. [Ce texte] ne sert que «l’intérêt des forces obscurantistes qui se cachent derrière cette manœuvre politique » Les militants anti-esclavagistes haratines et les négro-africains victimes du passif humanitaire seraient particulièrement visés par cette loi liberticide. »
Les réserves du bâtonnier de l’ONA
Dans un communiqué publié par le bâtonnier de l’Ordre National des Avocats (ONA), maître Brahim Ebetty a exprimé ses réserves. « Les injures, les insultes et les calomnies véhiculés sur les media sociaux ne nécessitent pas l’élaboration d’une loi spéciale pour protéger les symboles […] l’arsenal juridique existant est à même de faire face à ces méthodes […] « la symbolique du président de la République », ajoute-t-il, « ne doit pas figurer aux côtés de celle des sanctuaires religieux, du drapeau national et de l’hymne national. »
En ce qui concerne la protection des forces armées et de sécurité, l’ONA a exprimé son inquiétude quant à la couverture d’éventuels crimes commis à l’encontre de citoyens lors de manifestations ou regroupements typiques de tout système pluraliste et de ce que la loi forme un blanc-seing pour un usage démesuré de l’autorité. Par ailleurs, l’octroi au Parquet de la prérogative d’ester automatiquement en justice à propos de questions liées aux délits prévus par le Code des symboles lui apparaît comme « une nouvelle orientation qui sort ce genre de délit de son cadre initial en vigueur.
« Notre système démocratique pluraliste » indique-t-il, « a connu des soubresauts, à l’instar, par exemple, de l’article 104 de la Constitution de 1991 qui suspendit, des années durant, diverses libertés prévues et garanties par la Constitution, […] [nous devons donc impérativement et] constamment demeurer vigilant afin d’éviter tout glissement qui l’éloignerait de sa réalité. ». Pour le bâtonnier, le texte laisse beaucoup de questions sans réponse. Pour toutes ces raisons, Ould Ebetty a demandé aux députés de modifier le texte déposé au Parlement, car il « est susceptible de compromettre dangereusement certaines des dispositions essentielles de notre système démocratique ».
Les interrogations du Pr. Lô Gourmo
Comme dit tantôt, le célèbre professeur de Droit fut un des premiers à monter au créneau pour dénoncer les insuffisances et les risques que cette loi fait encourir à la Mauritanie. Après s’être posé de pertinentes questions sur le flou entourant certains concepts et symboles (entre autres : qui et quoi est symbole de l’État ? Que signifie atteinte au moral de l’armée et des forces de sécurité ?), l’expert en Droit reconnaît certes que « la Toile est devenue un égout puant la haine et le chaos et donc l’urgence de lutter contre la cybercriminalité ». Mais il estime que « cette lutte ne sera productive que dans le respect des libertés démocratiques et des exigences de leur sauvegarde. » La question est si sérieuse, à son avis, qu’il faut en débattre sérieusement et s’abstenir d’imposer un point de vue unilatéral.
Dalay Lam
Encadré
Réactions
Ahmed Taleb El Maaloum, président du SJM
« Le syndicat des journalistes mauritaniens n’était pas contre le projet de loi désormais adopté par le Parlement, mais nous avions émis des réserves sur certains articles qui pouvaient constituer une entrave au travail des journalistes. À cet égard, nous avions réclamé au gouvernement d’élargir les concertations afin de revoir les articles en question. Aujourd’hui que le texte est passé devant le Parlement, nous invitons nos collègues journalistes à s’y conformer, tout en espérant pouvoir trouver l’opportunité de l’améliorer lors des prochaines concertations ».
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Monsieur Bakary Guèye, président de la section UPF Mauritanie :
« Pour nous, cette loi sur les symboles de l’État, dans ses principes, s’imposait. Je comprends le débat qu’elle a suscité au sein de la classe politique et au niveau de certains médias. Je pense qu’il fallait en arriver là pour mettre de l’ordre dans les sorties intempestives de prétendus journalistes ou bloggeurs, sans aucun respect des règles régissant la profession. On y déverse des insanités, des propos diffamatoires, etc. La loi va donc permettre de réprimer tous ces manquements et combler le vide sur les media électroniques.
Il y a cependant des choses à dire quant à son contenu. Les définitions des concepts et expressions demeurent assez vagues, flous et ouverts à des interprétations pouvant empiéter sur la liberté d’expression. Qu’est-ce, par exemple, que l’atteinte à la sûreté de l’État ? Qu’appelle-t-on « atteinte au moral des forces armées et de sécurité ? Qu’entend-on par unité nationale et cohésion sociale ? C’est pour ces raisons que l’opposition a boycotté la séance d’adoption du texte, les concessions faites par la majorité étaient trop maigres. »