Les 5 points: Dans le courant de l’année 1974, les structures organisationnelles du mouvement furent secouées par un débat interne très intense. Il portait sur une nouvelle option de demande de dialogue avec le régime. En fait, en prônant le dialogue, elle mettait en cause la fameuse tactique de Juillet. Elle était fondée sur un programme en 5 points, résumant les différents volets de notre programme politique.
L’économie, la culture et l’enseignement, la démocratie et les libertés publiques, ainsi que le soutien actif à la guerre de libération du peuple sahraoui voisin et frère, voilà les principaux axes de ce programme.
Quatre points de vue, qui se résument à deux, se sont exprimés au sein des instances dirigeantes du PKM. Ils sont présentés dans quatre documents envoyés aux directions locales du parti. Celles-ci sont chargées de les lire aux masses de militants et sympathisants et de les leur argumenter conformément à la logique des idées de leurs auteurs. Pour éviter d’influencer l’opinion d’un sympathisant, aucun responsable du parti, à quelque niveau que ce soit, ne doit donner son propre point de vue sur aucun des documents à l’extérieur des structures du parti. Il y a quelques années, plus de 40 ans après, feu Aziz Wane, un enseignant, grand sympathisant à l’époque, me demandait quel était réellement mon point de vue. Au moment où il me posait la question, il hésitait, croyant peut être qu’il n’a pas encore le droit de poser ce genre de questions.
Les divergences se rapportaient surtout sur l’appréciation des réformes réalisées par le gouvernement. Ici, on se réfère principalement à la révision des accords de coopération avec la France, la création de la monnaie nationale (l’Ouguiya) et la nationalisation de la Miferma.
Pour les uns, ces réformes constituaient une victoire incontestable de notre mouvement. C’étaient des concessions réelles du pouvoir, des conquêtes de notre lutte, que nous devions prendre en compte pour que le régime ne puisse les utiliser contre nous. Pour les autres, ce n’était que de la poudre aux yeux, visant, par le pouvoir, à donner l’impression d’avoir satisfait nos revendications et montrer à l’opinion que notre lutte n’avait plus de raison d’être. Au lendemain de la création de la monnaie nationale l’Ouguiya, Sayhatt Elmadhloum, l’organe du mouvement écrit : « à bas le nouveau CFA », titrant ainsi son principal article. Un débat passionnant s’ouvrit pour plus d’une année. Il constitua un début de division aigue et douloureuse au sein de notre parti et de notre mouvement. Un schisme grandissant s’installa dans nos rangs.
Le retour au bercail
Tourou: Le séjour à Akjoujt fut interrompu subitement par un incident exceptionnel. En janvier 1975, un jeune agent de liaison fut arrêté un après-midi à la gare routière d’Akjoujt. Il transportait un courrier comportant des documents très compromettants. Tourou était un agent de liaison de second degré. Il n’a pas pu résister longtemps à la police. À peine, 2 à 3 heures, après son arrestation, il livra deux noms à la police : Mohamed à Akjoujt et Moustafa Ould Abeiderrahmane à Nouakchott. Le dernier est la source du courrier et le premier, il s’agissait de moi, est sa destination. Tourou, en dépit de quelques rencontres déjà effectuées avec lui, n’a pu retenir de moi que mon teint et mon surnom public, Mohamed.
J’étais en mission à Nouakchott. Les amis d’Akjoujt, apprenant la nouvelle de l’arrestation de Tourou, vidèrent sur le champ de tout indice les lieux susceptibles d’être perquisitionnés par la police. Pour la police, je suis toujours à Akjoujt. L’envoi du courrier pour moi constitue une preuve de plus. À Nouakchott, j’étais dans le salon de Ould Abeidrrahmane à la Medina-R lorsque la police fit irruption dans la maison. Je fis quelques pas dans la direction de la cuisine. Je voulus donner l’impression que j’étais le cuisinier. Il y avait une bonne dizaine de personnes. Moustafa, qui était assis à côté de moi se leva et rentra dans sa chambre à coucher. Il en sortit aussitôt pour se mettre à la disposition des policiers. Ils l’escortèrent jusqu’à leur voiture garée à la porte d’entrée. Il fera un mois de prison ferme, mais sera libéré sans jugement suite à l’amnistie décrétée par le pouvoir en signe de bonne volonté à l’égard de l’opposition. Il serait le dernier prisonnier politique du mouvement.
Mon ami Dah Ould Sid Elemine m’informa plus tard, que la police de Nouakchott intervint en force la même soirée dans un lieu secret bourré de documents et de matériel suspects connu par Tourou. Dah s’y trouvait seul. Il avait la tête rasée et était habillé d’un sale boubou léger de percale. Lorsqu’il sentit la présence de la police à la porte d’entrée, il prit son Looh (ardoise traditionnelle en bois) et se mit à lire le coran à haute voix. Il avait tout l’air d’un petit broussard sans aucun intérêt pour la police. Après avoir défoncé la porte d’entrée, les policiers vinrent jusqu’à devant Dah. Avant de lui poser la première question, il les devança : « Vous cherchez maman ? Elle vient juste de sortir ». Il reprit aussitôt la lecture de son Looh. Le chef des policiers s’adressa à lui : « Espèce d’imbécile ! Qu’est ce qu’on fait avec toi et ta maman ?! », avant d’ordonner à ses hommes de rebrousser chemin.
Comme j’étais déjà activement recherché, il me sera difficile de retourner à Akjoujt sans être arrêté en cours de route. Tenant compte de cette nouvelle donne, après un séjour d’à peine deux semaines, il fut décidé de me muter à Rosso au Trarza.
Là je vais remplacer à la direction régionale du parti Hamadi Ould Hamadi. Avant d’aller à Rosso, j’ai assisté à de nombreux débats dans les chambres, chambrettes et salons de Nouakchott. Abdelkader Ould Hamad et moi, délégués du nord, nous défendions le point de vue en faveur d’un rapprochement avec le pouvoir. Dans les débats, on était les plus redoutés. On ne mettait pas de gants dans l’expression de notre point de vue. Il arrivait que certains camarades, défendant le point de vue contraire, se désistent à venir dans un débat auquel assistait l’un de nous.
(A suivre)