Le débat sur l'éducation en Mauritanie qui n'a jamais connu de répit vient de connaitre un essor nouveau avec les concertations régionales récentes en cours. Compte tenu de la centralité de ce débat dans notre Etre, il est quasi impossible de rester sans réaction, surtout par rapport á la manière dont il a été introduit. Nous pensons que le manque de préparation qui a caractérisé ces assises montre que le Ministère de l’Education Nationale est loin d’appréhender la magnitude du problème, ou il n'est pas á la recherche d’une solution juste et équitable comme il le prétend. Présenter cette situation uniquement comme un problème éducationnel fausse totalement la donne, car il est bien plus que çà. Il s'agit de définir l'identité de la Mauritanie elle-même. Toute réforme qui n'intègre cette dimension est inévitablement vouée á l'échec parce qu'elle ne fera qu'approfondir la crise qui continue de miner les fondements de l'Etat.
Par ceux qui pensent que l'Arabe doit être imposé aux populations Négro-africaines, de gré ou de force n'ont fait que révéler leurs propres limitations. Par conséquent, ils ne doivent pas être considérés comme des interlocuteurs dignes d’être écoutés, loin s’en faut. Ils doivent comprendre que leurs déclarations sans soubassement ne changeront nullement rien au caractère multiculturel et multiracial de la Mauritanie. Et j'en profite pour saluer l'honnêteté des membres de la communauté Beydane qui ont eu le courage de dénoncer cette attitude contreproductive.
Comprendre la portée réelle de cette réforme est la clé de son succès. Car elle est une question existentielle pour les Négro-africaines qui y voient un danger réel pour leur identité en tant que communauté automne. En fait de quoi s’agit? Il s'agit de sincèrement considérer la Mauritanie dans sa pluralité en prenant en compte les préoccupations des uns et des autres pour trouver une solution consensuelle dans l'intérêt de la nation. Pour y arriver nous devons faire preuve d'intelligence émotionnelle et sociale pour mieux se comprendre. L'approche qui consiste á dire, "my way or no way," (ma solution ou pas de solution) n’est pas une option viable.
Le multilinguisme, une richesse
Tout comme ceux qui m'ont précédé, tel que le Professeur Lo Gourmo Abdoul qui l'a éloquemment articulé dans ses interventions, le problème est le traitement inégal des langues nationales dans la constitution á travers son article 6 qui fait de l'Arabe la langue officielle du pays. Par ce biais elle a légalisé la hiérarchisation des langues, ce qui n’estpas sans conséquence sur la vie des Négro-africains. Car tout ce qui impacte la langue d'une communauté affecte inévitablement ses membres. Comme vous le savez, en plus de sa fonction de communication, la langue est le véhicule et le dépositoire de la culture d’une communauté. C'est pourquoi en réduisant le statut d'une langue, du coup vous portez atteinte ál’identité culturelle qu’elle représente, d'où la raison d'être de la communauté. Pour paraphraser le Juge en Chef Navajo Robert Yazzie, si vous n'êtes pas égaux au sein d’une loi, vous ne pouvez pas attendre un traitement équitable de celle-ci, comme c’estle cas avec l'article 6. Par conséquent pour résoudre le problème á la source, toutes les langues du pays doivent avoir le même statut. D'où la nécessité d’amender l'article 6. Autrement, toute autre solution ne serait que cosmétique.
S'agissant de l'usage du français, les partisans de l'arabisation outrancière doivent faire preuve de bon sens. C’est une langue de communication dont le pays aura toujours besoin. En plus, une importante frange de la population a fait sa formation dans cette langue, et il serait inconcevable de les punir comme si parler le français était un crime. Ces gens doivent cesser d'établir de fausses équivalences entre l'Islam et l'Arabité. Selon les statistiques, la majorité des Musulmans ne sont pas Arabes, et tous les Arabes ne sont pas Musulmans. En guise d'illustration, le philosophe et sociologue Michel Aflaq considéré comme le père du Baathisme n'était pas un musulman. A ce sujet, l’article de Patrick Riban intitulé, "Répartition des Musulmans dans le Monde," est très édifiant. A travers cet article, il a rappelé que, "les Arabes sont minoritaires parmi les musulmans. Les indonésiens musulmans (204 millions) sont, á eux seuls, presque aussi nombreux que les Arabes musulmans du Maghreb et du Machreq." Dois- je ajouter que si le multilinguisme n'était pas perçu comme une richesse, le Saint Coran n'aurait jamais été traduit en français ou dans les autres langues. De grâce, laissez tomber vos œillères pour vous ouvrir aux opportunités illimitées qu'offre le monde.
En conclusion, la Mauritanie est multiculturelle et multiraciale, et appartient équitablement á toutes ses communautés. Par conséquent ses citoyens doivent faire preuve de bon sens en gérant leurs conflits de manière consensuelle pour l'intérêt supérieur de la nation. Ce qui passe nécessairement par le respect de notre diversité á travers un traitement juste de nos langues. Autrement, nul ne peut compromettre l'identité de la communauté Négro-africaine sans mettre en cause l'existence de la Mauritanie elle-même.
Bakary Tandia, Human Rights Advocate
New York le 24 Octobre 2021