Le Calame numéro 1266du 22 Septembre 2021, a publié un article de Ahmed Mahmoud Mohamed Ahmedou dit Gemal intitulé : « Mohamed Aly Chérif, Mémoire et oublis ».
L’objet de l’article : une présentation critique de l’ouvrage,« Regards du Sud, Bribes de mémoire du 20e siècle finissant ».
Le travail de synthèse est fait avec méthode et une grande clarté.
Dès lors en écrivant les lignes qui suivent, j’ai tenu à restituer le sens, le cadre et le contexte de la conception de l’ouvrage sur un certain nombre de points.
Comme il m’a paru utile d’approfondir des données ayant sous-tendu le règlement du contentieux frontalier avec le Sénégal, et aborder, sans m’y attarder ici, d’autres questions que je me réservais de traiter bien plus tard…
D’abord sur les « oublis ».De manière très claire, j’ai indiqué dans le texte même de l’ouvrage, qu’il y a des choses qu’une mémoire érodée ne m’a pas permis de présenter. Ce n’était pas là une clause de style mais un oubli d’autant plus réel que je ne me souviens franchement pas, à aucun moment, avoir eu peur d’exprimer ma position sur quelque sujet que ce soit. Il y a dès lors beaucoup de choses involontairement omises et c’est en partie pour cela que j’ai tenu à qualifier de «Bribes» de mémoire, l’essai sous examen. C’est ainsi que j’ai expressément mentionné que «le présent essai vise à restituer autant que possible un certain nombre de faits et évènements qui ont tout particulièrement marqué ma génération».Dès lors il peut paraître un peu surprenant aujourd’hui qu’un lecteur avisé n’ait pas eu le temps de prêter attention à ce passage.
Quoi qu’il en soit, il est évident que quand j’écrivais, je choisissais, et c’était mon droit, les faits que j’ai estimé les plus marquants, non que d’autres pouvaient juger comme tels pour des raisons qui leur sont propres.
Sans qu’il y ait de ma part une quelconque volonté d’ignorer des rôles, peut-être d’une grande portée, assumés par des tiers. Et encore moins une arrière pensée de péjoration à leur encontre.
A posteriori, je regrette par exemple de n’avoir pu disposer d’éléments suffisants pour traiter de façon approfondie les problèmes linguistiques et culturels soulevés par les «événements de 1966 » même s’ils ont eu lieu avant mon retour. D’autant plus que même si je n’étais pas présent lors de leur déroulement, j’ai eu par la suite le privilège de souvent rencontrer et lier une amitié réelle et durable avec les principaux acteurs et d’échanger avec eux, de même qu’avec bien d’autres intellectuels de notre génération sur les réalités et perspectives qui s’offraient en vue d’assurer sans confrontation, la coexistence et la promotion d’espaces culturels et politiques viables.
Sur la tragédie de Zoueirat
Je ne pense pas juste d’aller plus avant sans souligner combien fut réconfortant pour moi de constater que plus qu’une réconciliation, c’est une amitié et une estime mutuelle réelles qui se sont rétablies entre les acteurs mêmes du conflit de 1966.
Je noterai à titre d’illustration, que deux des plus grands intellectuels qui sont apparus sans équivoque comme les plus importants porte-paroles des deux courants ont fait partie du même Gouvernement, de 1971 à 1978, et occupé tour à tour le poste crucial de Ministre de l’Éducation Nationale en travaillant la main dans la main. Oeuvrant ensemble à l’accomplissement de l’indépendance totale de la Mauritanie.
Au sujet des évènements de Zoueirat de Mai1968, je précise que j’étais bien à Nouakchott mais je ne disposais pas d’éléments même lointains pour porter un témoignage. Cependant lorsque les circonstances m’ont amené à entrer dans l’Administration, j’ai eu quelques échos là -dessus, qui m’amèneront à me poser des questions sur la tragédie survenue. D’emblée j’ai eu des explications étayées en particulier sur quelques aspects des responsabilités au regard des faits.
Côté Administration tant locale que centrale, la mort d’hommes était ressentie d’autant plus vivement que l’Etat n’a pu avoir les moyens de l’éviter, face à une Société dont l’arrogance ne datait pas du même jour. Au sujet des tirs sur la foule des manifestants, une enquête détaillée, établie immédiatement après la confrontation, avait conclu que la décision d’ouvrir le feu était prise sans pouvoir contacter les Autorités centrales à Nouakchott malgré des tentatives répétées mais vaines, à travers le RAC (Réseau Administratif de Commandement). Seul moyen de communication officiel permettant des contacts en cas d’urgence, le R A C était évidemment installé à F’derick, chef-lieu de la circonscription, distant de Zoueirat où se déroule la manifestation, d’environ une vingtaine de kilomètres, naturellement non bitumés. Pas encore de téléphone entre les deux endroits, ni entre l’un ou l’autre et Nouakchott. Tant s’en faut.
Est-il besoin d’appeler l’attention de ceux et celles qui n’ont pas vécu cette période qu’on était loin, pas seulement en Mauritanie, mais pratiquement partout ailleurs dans le monde, de l’ère des nouvelles technologies de la communication. Même, simplement, le téléphone fixe, en dehors des trois chiffres à Nouakchott. Le R A C donc, mais de quoi s’agit-il…D’un simple appareil téléphonique connecté à une batterie ordinaire permettant la communication sans fil suivant des fréquences radio très sensibles aux variations des températures et des vents. Qu’on met en marche suivant des horaires convenus, ou vacations. Très peu fiables, les conditions atmosphériques pouvaient empêcher l’établissement d’une liaison des heures entières malgré les efforts des opérateurs, réduisant à néant la plus officielle des urgences. On ne disposait même pas du Talkie-walkie qui venait d’être commercialisé à grande échelle aux États-Unis d’Amérique et dans quelques Pays d’Asie.
Telle, dès lors, était la réalité des lieux et des moments où se produisirent les événements. Et effectuée l’ enquête qui ne releva pas d’entorses aux règles d’engagement face à la confusion totale que l’effectif extrêmement réduit de la force de l’ordre ne put maîtriser.
Quoiqu’il en soit c’est une compréhension malheureuse que de penser un instant que je minimise la tragédie. Mais je maintiens avec force que l’Etat n’était pas du côté de Miferma contre les travailleurs ou les chercheurs de travail.
La lettre de Mokhtar à Senghor
Pour qui a vécu le parcours ‘’moktarien’’, sa gestion de la chose publique jusqu’à la nationalisation de cette Société le 28 Novembre 1974, et, plus encore, jusqu’au Coup d’Etat de Juillet 1978, la présente affirmation est loin d’être un vain mot. Moins encore un essai de plus de s’attacher à vouloir présenter le régime, que je n’ai d’ailleurs rejoint que sur le tard, comme un pouvoir angélique– et me poser de la sorte en héros de tous ses combats. Car pour moi le coup d’État lui-même était un dépôt de bilan en termes de déficit cruel de moyens pour assurer la saine gestion des services publics, donc un échec que j’ai évidemment partagé.
Qu’est-ce à dire sinon que je ne cherchais aucune notoriété particulière en accomplissant, au mieux que je pouvais, les taches qui m’incombaient au service du Pays, auprès d’un homme qui avait déjà pu imposer l’existence de l’Etat Mauritanien «contre vents et marées», avec la sereine et d’autant plus vigoureuse force de la foi, l’ouverture d’esprit, une vision résolue des enjeux, et cette détermination à toute épreuve d’associer toutes les forces vives qui acceptent, sans chercher à humilier qui que ce soit. Moins encore à corrompre tel ou telle pour l’amener à collaborer.
Sous cet angle, au risque de me répéter, il m’a paru, de la part de l’auteur de l’article, intellectuel de talent, un peu dommage de dire que la reproduction de la lettre du Président Ould Daddah à son Collègue Sénégalais sur le tracé de la frontière fluviale était pour moi l’occasion de montrer avec «enthousiasme», la place singulière qui était la mienne, sous-entendu une volonté de ma part de marginaliser le rôle qui fut joué par d’autres, au surplus sur la même question. Notamment en omettant de citer l’Accord sénégalo-mauritanien établi par l’importante Délégation ministérielle présidée par le Ministre de l’Intérieur Abdoul Aziz Sall. Accord cité dans l’article.
En fait cette pièce à tous égards essentielle était partie intégrante du dossier et y a bien figuré comme un élément de base. Mais, faut-il le préciser, la lettre elle-même ne pouvait être qu’une synthèse et non l’énumération exhaustive de tous les documents, sans lesquels, au demeurant, le dossier aurait été incomplet …Je regrette ici encore, et peut-être surtout, de ne pouvoir disposer de tout mon temps pour dire à tout lecteur qui y trouverait quelque intérêt, comment s’effectuait le travail administratif et gouvernemental à cette période. Sinon à souligner combien on s’efforçait de travailler en équipe. Sans prétendre toujours réussir. Mais l’expérience avait quand même permis de mettre en place une ossature administrative non gangrenée. Compétente, singulièrement dévouée, motivée. Et réellement soudée, fraternelle.
Je garde sans réserve la satisfaction d’avoir partagé cette expérience sans le moindre incident.
De fait, qu’on le croie ou non, j’essaie depuis longtemps d’inscrire mon existence hors du large espace qu’habitent les chercheurs de louanges, et où souvent on se noie. C’est ainsi que, pour ne pas aller en profondeur, ou assez loin dans l’évocation de références, j’ai retenu depuis les années 1960, années d’enthousiasme révolutionnaire, le crédo de Frantz Fanon : « l’enthousiasme est l’arme des faibles ».
Mais j’ai tenu à réitérer, autant que j’ai pu, le privilège que j’ai eu de travailler avec le président Ould Daddah en des temps qui ne furent pas toujours faciles. J’ai bien affirmé cela, en m’appuyant sur des faits qui ne souffraient d’aucune contestation pour moi et toute personne au courant des choses. Ni ne m’autorisent à laisser entendre que j’étais le seul ou le meilleur des collaborateurs du Chef.
Il y a proprement une approche, voulue ou non, de « lecture sélective » à interpréter autrement ma démarche. Car, encore une fois, mon propos visait strictement à présenter un autre exemple connu de l’intégrité intellectuelle et morale de cet homme d’Etat qui traduisait dans le vécu son dessein d’illustrer et pérenniser l’esprit d’équipe alors que rien ne l’y obligeait. C’est au demeurant cela qui explique qu’il a consacré de longs développements aux rapports personnalisés qu’il avait instaurés entre lui et ses « coéquipiers », dont justement Sall Abdoul Aziz, Ahmed Ould Mohamed Saleh et Mohamed Ould Cheikh.
La longue et minutieuse élaboration de la Lettre
En ce qui concerne le fait que j’ai omis de donner les détails au sujet du différend frontalier qui conduisit à la longue et minutieuse élaboration de la lettre, ou d’énumérer les personnalités juridiques, administratives, politiques et même des historiens et des sociologues, j’avoue que je n’y ai pas pensé, malgré la pertinence d’un tel développement. Mais mon propos étant un simple essai, et non une œuvre à caractère historiographique, je ne regrette pas beaucoup de n’avoir pas eu à m’étendre davantage là-dessus.
Je ne regrette pas non plus de n’avoir pas consacré de développement aux circonstances du déclenchement de la crise : ce n’était pas mon propos.
L’essentiel pour moi est que les deux Hommes d’Etat et leurs Gouvernements se soient totalement compris et mis d’accord sur une frontière établie sur la base fondamentale du Droit International et bien entendu, au bénéfice bien compris des deux Etats. Ce qui s’inscrivait au demeurant dans une logique pratiquement incontournable quand on sait la solidité juridique du dossier, en prenant tout le temps, qui ne fut pas court, pour consacrer le plus grand soin dans l’étude minutieuse, approfondie, des références internes aussi bien que des vastes références internationales érigées en règle intangible depuis plus d’un siècle déjà à l’époque. En tenant aussi compte de la sincérité totale qui caractérisait les relations entre Senghor et Ould Daddah, et de l’impératif absolu de mettre de côté tout ce qui ne relevait pas des faits et du droit, au sens strict de ces termes.
S’y ajoutait que le Gouvernement Sénégalais avait un Dispositif administratif et juridique solide non entaché de « ratures » au gré de gouvernants dont la parole du Chef constituait souvent ici et là ‘’LA LOI’’ en ces années -là. Dispositif hérité d’une administration coloniale particulièrement rigoureuse dans les affaires frontalières, attachée à la lettre à l’exactitude dans le fond comme dans la forme. Une donnée cardinale qui découlait tout particulièrement du fait que le temps des négociations serrées pour fixer les frontières avec l’Angleterre sur la Gambie, et avec le Portugal sur la Guinée-Bissau, n’était pas si loin, au registre du partage colonial. Davantage le Gouvernement sénégalais disposait, avant même l’indépendance, des vastes Archives du Gouvernement général de l’Afrique Occidentale Française, en plus des Archives de la Colonie initiale basée à Saint Louis. Sans oublier les Archives de l’IFAN où j’ai fait en 1966 quelques mois de recherche pour compléter les éléments dans l’élaboration de ma thèse de doctorat. J’apporte ce détail pour porter témoignage sur l’étendue et la bonne tenue de la documentation de qualité que les Autorités sénégalaises avaient conservée à Dakar, relative à l’ensemble des territoires progressivement intégrés dans l’ex-«AOF».
Nouakchott, Capitale naissante, avait également, il est vrai, ses Archives Nationales: La loi de création, le Hangar où fut proclamée l’indépendance nationale; un Directeur et quelques trois à cinq agents non tout à fait formés à classer et conserver les maigres lots que livrent de temps à autre les Administrations embryonnaires.
C’est dans ce contexte que survint la crise dont la donnée fondamentale est, pour moi, la conclusion et, bien entendu, le processus qui a permis d’y aboutir.
Ce qu’il importe de souligner dès l’abord à cet égard, côté mauritanien, c’est qu’il fallut travailler d’arrache-pied pour constituer une documentation aussi précise et large que possible…Cela fut réalisé dans les conditions les plus difficiles, surtout les délais les plus courts, avec une volonté réussie de ne produire que des faits dont la validité est juridiquement établie dans tous les cas d’espèce connus au plan international. Le vrai architecte de l’œuvre fut, sans aucune intention de délivrer une nouvelle fois des louanges, le Président Mokhtar Ould Daddah, servi par une mémoire rare et une grande connaissance des lieux. A cette entreprise participèrent tout spécialement, au plan intérieur avec un dévouement exemplaire Mohamed Lemine Ould Hamoni, Yedaly Ould Cheikh et Hamoud Ould Abdel Wedoud ainsi que des fonctionnaires expérimentés notamment des Ministères de l’Intérieur, des Finances, des Transports ou de l’Equipement. Au plan extérieur, Moulaye El Hacen Ould Mokhtar El Hacen, Ambassadeur aux Nations Unies, put réunir et apporter une documentation cruciale, dense, presque exhaustive, sur tous les cas et procédures enregistrés dans le monde. Mais le bouclement du dossier fut réalisé grâce au concours, intermittent mais décisif, du savant Mohamed Ould Mawloud Ould Daddah, qui travaillait depuis quelque temps au titre du Ministère de l’intérieur sur le dossier du tracé de la frontière maritime, dont il avait une maîtrise parfaite...Il y eut d’autres intervenants qui contribuèrent à des degrés différents, parfois significatifs, au travail.
Un règlement clair et sans appel du contentieux
Il reste que la décision souveraine revient toujours aux Chefs d’États. On ne peut, sous ce rapport oublier le rôle personnel qui fut celui du Président Senghor, cet agrégé de grammaire, qui avait déjà montré dans ses discours, et, paraît-il, dans tout document soumis à son approbation, même implicite, une exigence de rigueur ‘‘presque à la virgule près‘‘,et son sens fondamental du respect du droit. Un Senghor qui attachait aussi une importance singulière aux relations non pas seulement de voisinage, mais de mixité entre les Princes du Trarza, et les Princes et Princesses Sénégalais d’en face. Rappelons qu’il a été aussi un Membre respecté du Gouvernement De Gaulle inaugurant la Cinquième République française.
Or tous ceux qui ont travaillé avec le Président Ould Daddah n’ont pu qu’avoir retenu, en ce qui le concerne, le caractère extrêmement méticuleux qu’il attachait à la chose écrite, et son rejet, frisant la colère, de toute approximation et/ou affirmation douteuse figurant sur tout dossier ou document requérant son approbation ou, naturellement, pouvant engager l’Etat.
Il le fut même avant d’être avocat, et donc avant son accession à la magistrature suprême, selon ceux qui l’ont le plus connu. Il va de soi qu’il a lu et relu dans le détail chacune des pièces constitutives du dossier et chaque référence régionale et internationale, à chaque stade de l’élaboration de la lettre qu’il a signée, après au moins une double ou triple lecture, à tête reposée. Ceci est dit sans la moindre exagération, qu’on le croie ou non.
On peut ignorer aujourd’hui encore-mais qu’importe vraiment- que ce fut le règlement clair et sans appel du contentieux frontalier ainsi réalisé qui permit d’asseoir entre les deux Pays les relations non entachées d’ambiguïté d’aucune sorte depuis ces années-là au plan juridique, quelles qu’aient été des crises ou frictions politiques qui n’ont pu être évitées.
Il ne peut être indifférent de rappeler, sous ce rapport, que c’est sur ce socle qu’a été édifiée l’OMVS. Et qu’est actuellement entreprise la réalisation du grand ouvrage transfrontalier qu’est le Pont entre Rosso-Mauritanie et Rosso-Sénégal. Que, surtout, ce fut grâce au règlement de ce dossier frontalier que l’OMVS put obtenir le financement des grands Barrages de Diama et Manantali qui étaient les cadres de justifications économiques fondamentales de la création de l’Organisation. En effet aucun financement ne pouvait être simplement demandé aux Bailleurs de fonds tant que n’était pas clairement réglé ce problème.
Je souhaite revenir de manière plus précise à cette autre affirmation que mon ouvrage reflète une subjectivité à peine voilée, structurée en une mémoire sélective qui a occulté des faits majeurs, en prenant comme exemple ‘’les tortures perpétrées‘’ par le régime mauritanien, et dénoncées dans une lettre ouverte au Président Ould Daddah en date du 1erJanvier 1971.Lettre signée par onze cadres de la Fonction Publique nommément cités.
Je m’étonne un peu que l’auteur de cet article, intellectuel de talent, ne sente pas qu’il a commis une évidente omission, lui-même, lui surtout, en ne rapportant pas le texte, même partiel, de cette lettre du 17 Février 1971que le Président de la République a tenu personnellement à adresser aux cadres. Alors qu’il a reproduit un passage essentiel de la lettre ouverte de ceux-ci au Chef de l’État. Et que c’est lui-même, auteur de l’article, qui a expressément donné la référence exacte de la réponse du Président.
Je tiens à dire ici que pour ceux qui ont vécu les moments dont il est question, il n’est pas juste de ne pas mentionner, pour peu qu’on ait gardé la mémoire, que la simple interpellation d’un Chef d’Etat par des compatriotes, au surplus constitués en groupe, pouvait conduire à la prison, ou pire, à des interrogatoires injustifiés très durs, conduisant, sans le procès le plus élémentaire, à la potence. Pas seulement en Afrique, mais également dans toute l’Amérique latine, et beaucoup de Pays d’Asie, sans parler des États où régnait le système communiste. Ou, plus près de nous, l’Espagne du Général Franco, et le Portugal où trônait Salazar avec son effroyable police politique, la PIDE, les années 1975.
Qu’est-ce à dire sinon que je maintiens sans équivoque, et plus encore ici, ce que je sais au sujet des tortures durant les années ‘’moktariennes’’.En la circonstance, je réitère avec la conscience tranquille que j’ai gardé la mémoire intacte qu’il avait été procédé très rapidement, concernant les cas soulevés début 1971, à une enquête qui avait établi, sans complaisance possible, qu’il n’y avait pas eu torture.… Mais que quelques altercations entre des personnes, à titre individuel, ont pu se produire ça et là, qui ne relevaient point, selon le compte-rendu des témoignages confrontés, d’actes punis par la loi et autres textes en vigueur.
Mais qu’effectivement le régime alimentaire était un régime de sous-alimentation et de malnutrition. Je sais qu’à cet égard des mesures furent prises pour améliorer sans délai la situation. Et qu’elles furent appliquées autant que permirent les moyens budgétaires-moyens qui furent renforcés.
Sur les cas de torture
C’est pour moi le lieu de dire qu’en pensant alors à la torture, je savais la gravité de ce terme, d’abord parce que j’avais encore en mémoire le cas spécifique de Jemila Bouheired, qui fut la plus célèbre victime de cet acte de barbarie que connurent les années 1960.
Le sujet est d’une gravité telle que je ne peux que revenir encore un peu en arrière pour attirer l’attention sur les conclusions relatives aux faits de torture attribués au Gouvernement du président Moktar Ould Daddah.
Je tiens comme une preuve supplémentaire qu’il n’y avait pas eu de torture le fait qu’aucun des signataires de la lettre ouverte de Janvier 1971auPrésident de la République, mentionnés dans l’article de M. Gemal, ne continua d’en faire état par la suite. Je suis sûr, ayant personnellement connu la plupart sinon la totalité de ces responsables d’alors, que ce n’est pas le courage qui pouvait leur manquer pour s’exprimer à nouveau sur ce sujet ou d’autres. Il m’a réellement semblé que le silence était dicté par un manque, non d’arguments, mais de preuves crédibles.
Au demeurant, c’est parmi ce groupe de cadres de haut niveau, qu’en cette même année 1971, le Président de la République devait choisir, en même temps que d’autres universitaires, ainsi que des personnalités souvent de grande compétence et probité, les membres du Gouvernement qui sont restés au pouvoir, donc à ses côtés, jusqu’au Coup d’Etat de Juillet 1978.
Ceci dit je ne cherche pas à vouloir convaincre à tout prix. Mais je répète que, qu’on le veuille ou non, je suis de ceux qui considéraient et considèrent encore et toujours, qu’aucun alibi de nature à voiler les données n’est acceptable en matière de violation des droits humains, de droit tout court, y compris les droits des autres êtres, ou concernant la protection de la nature. Cela m’amène à dire que l’utilisation de termes aussi sensibles que la ‘’ torture‘’ ou la violation des droits, sans pouvoir invoquer des définitions et apporter des preuves assises sur des bases juridiques susceptibles de validation, comporte le risque d’en dévoyer le sens, et de banaliser de quelque manière les actes les plus graves dans la gestion de problèmes majeurs qui se posent à l’ humanité. Ce qui ferait finalement perdre les repères pour porter de jugements appropriés dans la définition des mesures et règles adéquates aptes à régir une vie partagée, sans trop d’abus et d’injustice.
On ne doit en effet jamais oublier qu’en matière de droit, l’histoire est toujours réversible, que les pires actes de cruauté peuvent se reproduire à tout moment. Et donc qu’il est impératif de garder les champs et les concepts propres à les caractériser et traiter avec toute la force du droit.
Sur un autre registre, si on peut considérer tels passages rapportés dans «Regards du Sud»comme des descriptions «croustillantes» de situations survenues dans tel ou tel État que nous visitâmes les années 1970, j’estime indispensable de devoir préciser ici que le rire qui s’invite à la lecture des données d’alors est de l’ordre du tragique: comment des peuples qui se proclament majeurs restent domptés par des personnages élisant domicile hors des réalités, pour ne voir dans le pouvoir que le moyen de«tromper tout le monde tout le temps».Et, au final, mener des États entiers à l’auto-désintégration.
Car c’était cela aussi une certaine Afrique, et une certaine Asie! Et comment ne pas poser la question, plus d’un demi-siècle après, de savoir, légitimement, ce qu’on doit franchement assumer comme progrès accomplis sur ces mêmes terres qui sont les nôtres au vu de la gestion calamiteuse par des «élites» civiles ou militaires autrement plus économiquement voraces, et idéologiquement défaillantes et débiles sans s’en rendre toujours compte. La gangrène est peut -être moins étendue, mais parfois plus ancrée, et plus lourde et difficile à enrayer…, car réelle, vécue, têtue ici ou là.
Il y a certes des exceptions vertueuses, mais honnêtement rares et fragiles, qu’on souhaite et espère voir s’inscrire dans la durée. Lentement s’il le faut, patiemment, mais clairement et résolument. Autant que permette le dérèglement cosmique qui a montré la fragilité des États et systèmes les plus puissants, arrogants et dominateurs, qu’un ‘’simple‘’ virus a déstabilisés en quelques jours sans qu’on sache encore ce que sera demain. Si ‘’gouverner, c’est prévoir ‘’comme le disait en 1955-1956 le Président du Conseil français Pierre Mendes France, il semble qu’il faille redoubler d’efforts pour faire face même au quotidien… Surtout au regard des développements qu’apportent, presque chaque jour, les menaces de guerre autour de nous.
Mohamed Aly Cherif