La question de l’esclavage suscite de plus en plus de remous. Depuis plusieurs années, cette problématique nationale ravit la vedette à toutes les autres actualités. Avec des hauts : loi 048/2007 incriminant l’esclavage, « élévation » du phénomène à un crime contre l’humanité, publication du « Manifeste des Harratines », adhésion d’importantes franges nationales, issues de toutes les communautés, au combat de l’éradication de l’esclavage, érection d’un tribunal spécial et d’une agence dotée de plus de treize milliards avec pour objectif, théorique, de travailler à l’émancipation et à la réhabilitation des anciennes victimes de l’esclavage, entre autres missions. Et des bas : impunité totale avec la réticence, avérée, des appareils administratif, judiciaire et sécuritaire à appliquer la loi, théâtralisation de la question, à travers la mobilisation d’une soldatesque de cadres harratines manipulés, pour promouvoir, dans les tribunes internationales, le déni de l’esclavage en Mauritanie. La mauvaise gestion de la question, par les autorités nationales qui ne parlent que de séquelles, a probablement joué un rôle déterminant dans l’émergence, depuis 2009, d’organisations dont les approches et les visions, pour l’émancipation des Harratines, se fondent essentiellement sur la rigidité du langage et la dénonciation sans détours des manifestations de l’injustice sociale considérées comme les corollaires du phénomène de l’esclavage et qui toucherait, selon les estimations de ces organisations, des centaines de milliers de personnes à travers les quatre coins du pays. Face à cette surenchère, une nouvelle race de Beïdanes, encore très minoritaires, battent le macadam, en menaçant de ne plus accepter l’indexation et de se défendre, chaque fois « qu’eux, les Maures blancs, seraient mis en cause ». Les propos à la Ku-Klux-Klan de l’un d’eux, sur une des chaînes privées nationales, résonnent encore dans les oreilles. Quelques soient les motivations et les dessous de cette dangereuse sortie médiatique et de bien d’autres encore prétendument représentants d’un groupe ou d’un autre, il est incontestable que les fondements essentiels de l’unité nationale sont fortement menacés et que les autorités officielles ne font rien pour les sauvegarder. Au soir du lundi 22 décembre 2014, vers 22 heures, le brillant intellectuel Isselmou ould Abdel Kader, vice-président de l’UNAD, était l’invité de l’émission Politis de la télévision privée Al Wataniya. Comme d’habitude, l’ancien ministre et administrateur à la retraite, qui connaît bien la Mauritanie pour avoir été wali dans au moins neuf des treize régions nationales, a fourni de brillantes analyses politiques, économiques et, même, sécuritaires et sociologiques. Néanmoins, je voudrais apporter des réserves, sur quatre points, au moins, de sa sortie. D’abord, sur l’étymologie du mot Harratine dont il a cru bon, sinon désopilant, d’aller chercher en Azawad l’hasardeux sens de « métis ». Alors que quasiment toutes les recherches sociologiques autorisées lui trouvent une origine liée à l’exploitation de la terre par ces anciens esclaves (ou tributaires, selon certains). Ensuite, le vice-président de l’UNAD avance un nombre assez précis : entre 7 et 8 000 esclaves en Mauritanie. Or, les organisations des droits de l’homme, notamment celles qui luttent contre les pratiques de l’esclavage, parlent de centaines de milliers. Officiellement, il n’en existe aucune statistique. C’est pourquoi la recommandation du Manifeste des Harratines d’enquêter pour déterminer l’ampleur exacte du phénomène est pertinente. Toujours d’après Isselmou ould Abdel Kader, les esclaves n’existeraient pas en ville. A titre indicatif, les esclaves Esse et sa tante Aïchana ont pourtant bel et bien été retrouvés à Nouakchott. Et tous les honnêtes gens savent que 90 % des domestiques employés dans les maisons des grandes villes sont, généralement, d’anciens esclaves recyclés en boys ou en « hakamas » (baby sisters), contre des salaires de misère, variablement agrémentés de petits cadeaux circonstanciés. Enfin, d’être devenus, respectivement, président de l’Assemblée nationale, du Conseil constitutionnel et du Conseil économique et social, Mohamed ould Boïlil, Sghair ould M’bareck et Messaoud ould Boulkheïr auraient cessé d’être des Harratines, puisqu’ils se sont embourgeoisés. La « hartanité » ne serait alors qu’une question de pauvreté et de dénuement. Pour certains, un hartani qui s’enrichit devient un bidhani. Pour d’autres, un hartani qui s’enrichit n’est plus un hartani. Et dire que « Birame combat mal une cause juste » ! Cela vaut mieux, à mon avis, que manipuler la vérité pour servir le faux.
Sneïba El Kory