Kobenni il y a quelques mois, R’kiz la semaine dernière, une autre ville dans quelques jours peut-être : jusqu’ici pratiquement inconnue sous nos cieux, la tentation de l’émeute commence à entrer dans nos mœurs. Des scènes d’une rare violence sont filmées et diffusées en boucle sur les réseaux sociaux. On y voit des jeunes – et des moins jeunes… – dresser des barricades, brûler des pneus sur la chaussée, attaquer les édifices publics – et privés, comme à R’kiz… – et exprimer, invectives à l’appui, leur ras-le-bol face à la démission de l’État. Officiellement, les émeutiers protestent contre le manque d’eau potable et les délestages électriques. Mais, côté pile, le problème n’est-il pas plus profond ? Mal-être d’une jeunesse désabusée par le chômage et le manque de perspectives ? L’eau et l’électricité, qu’ils ont tout à fait raison de réclamer par ailleurs, ont-ils été la goutte (introuvable) qui a fait déborder le vase ou l’étincelle (tout aussi rare) qui a mis le feu aux poudres ?
Certes il existe d’autres moyens – beaucoup plus civilisés… – pour se faire entendre mais nul n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. L’aspiration au changement tarde à se concrétiser alors que ce pauvre peuple pensait, après une décennie chaotique, qu’il allait enfin voir le bout du tunnel. Résultat des courses, son électricité est rationnée, il ne boit pas à sa soif et ne mange plus à sa faim, hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité oblige. Et voilà qu’on lui demande en plus de rester calme ! Lorsque le gouvernement tunisien décida, en 1983, d’augmenter le prix du pain et des produits céréaliers, le peuple manifesta sa colère. Malgré l’état d’urgence et le couvre-feu, les émeutes firent plus de cent quarante morts. Le prix de l’annulation des augmentations qui s’en suivit dans la foulée ? Mais nous qui subissons toutes sortes de hausses, dans un climat alourdi de suspicions et de rancœurs entre ethnies et castes, un tel scénario « optimiste » est-il seulement envisageable ? Les émeutes de Kobenni, R’kiz et consorts sont plus probablement des avertissements d’une tout autre ampleur de chaos. À moins de miser, a contrario, sur une telle aventure, il faut agir. Et vite, si l’on veut vraiment le bien commun.
Ahmed Ould Cheikh