Après le Mali et le Tchad, un régime militaire provisoire s'installe en Guinée, élargissant le cercle les régimes militaires au Sahel.
Si le cas tchadien a sa spécificité notoire, relative à la disparition tragique et spectaculaire de l'ancien maréchal-président Idriss Déby, ceux du Mali et du Tchad sont comparables dans leurs genèses et leurs modes opératoires. Les deux coups d'État malien et tchadien s'inscrivent dans des crises politiques internes exacerbées par l'enkystement des régimes civils élus, sourds aux contestations populaires qui reflètent un mécontentement grandissant au sein de l'opinion.
Au Mali, le catalyseur de la crise était la recrudescence des actes terroristes combinée à une véritable guerre civile à caractère ethnique dans le centre du pays. En Guinée, le «coup de force constitutionnel» qui visait à permettre au président Condé, au pouvoir depuis 2010, un troisième mandat électif a été le déclencheur des tensions vives qui ont débouché sur le putsch du 5 septembre dernier.
La deuxième génération des «coups d'État rectificatifs» des démocraties boiteuses en Afrique a commencé en Mauritanie en 2005.
Le propre de ces prises de pouvoir par l'armée est le mode consensuel inclusif de gestion des transitions politiques, qui consiste à introduire des réformes institutionnelles et réglementaires en concertation avec les forces politiques et la société civile afin de garantir la transparence et la crédibilité des futures élections ressuscitant l'ordre constitutionnel rompu.
Les deux gages nécessaires à la réussite des processus traditionnels sont les suivants: la non-éligibilité des conseils militaires au pouvoir et la mise en place d'un organe indépendant chargé des actions électorales.
Des soldats du colonel Doumbouya, quelques jours après la prise du pouvoir par celui-ci en Guinée (Photo, AFP).
L’exception tchadienne
Le Mali et la Guinée ont connu ce schéma: en 2008 et 2012, les transitions militaires dans ces deux pays ont procédé à des dénouements heureux à la faveur de l'élection du symbole de la résistance politique en Guinée, Alpha Condé, et du leader de l'opposition malienne, Ibrahim Boubacar Keïta.
Avec l'élection de Mahamadou Issoufou au Niger en 2011, et le renversement du colonel Blaise Compaoré au Burkina Faso, en 2014, le Tchad constituait le seul cas malheureux dans un Sahel «démocratique», bien qu'il soit devenu la force de frappe de la région contre le péril terroriste.
Les nouveaux régimes militaires ouest-africains, tout en ravivant le modèle des transitions militaires rectificatives conformément aux pressions externes (l'Union africaine, notamment) ont conscience des difficultés inextricables que pose l’ingénierie démocratique déjà tentée et expérimentée dans les contextes locaux.
Si garder le pouvoir en se légitimant par le biais d’élections s'avère une aventure risquée et difficilement envisageable, la nouvelle génération des militaires putschistes africains a perdu toute confiance dans la classe politique et se croit investie d'une mission «prophétique» qui consiste à sauver la patrie et à défendre la continuité et la stabilité de l'État face à l'impuissance et au laxisme des élites civiles.
Les jeunes chefs des juntes ont pour modèle le lieutenant Jerry Rawlings, l'ancien président ghanéen, qui a transmis le pouvoir aux civils avant de le reconquérir par la force, dirigeant son pays vers la prospérité et la stabilité. Récemment, le nouveau homme fort guinéen, Mamady Doumbouya, a cité une phrase célèbre attribuée à Rawlings: «Lorsque le peuple est écrasé par ses dirigeants avec la complicité des juges, il revient à l’armée de rendre au peuple sa liberté.»
Il s'agit donc d'une nouvelle lignée politique des militaires africains qui contraste avec deux modèles classiques: l'officier révolutionnaire nourri de l'imaginaire gauchiste populiste (par exemple, Thomas Sankara au Burkina Faso) ou l'officier libéral artisan de la démocratie pluraliste (Amadou Toumani Touré au Mali).
Le nouveau dirigeant militaire est le plus souvent issu des rangs des forces spéciales proches du pouvoir, véritable base de protection du régime politique dans un contexte de délabrement et de déconfiture totale de l'institution armée. Il est de ce fait indirectement impliqué dans le champ politique et capable d'intervenir, en cas de blocage du système, sans l'aval des dignitaires gradés de l'armée.
Il serait imprudent de prospecter l'avenir politique des pays ouest-africains actuellement engagés dans des transitions militaires fragiles et précaires, mais lorsqu’on examine aujourd'hui les tendances perceptibles des enjeux politiques dans ces contextes, il se dégage clairement que les armées n'ont pas dit leur dernier mot.
Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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