Depuis le début de l’insurrection au Nord-est du Nigéria en 2009, le Groupe Armé a conduit trois offensives militaires majeures :
La première remonte à la mi-2013 lorsque le groupe s’est retiré de Maiduguri, la capitale de l’État du Bornou, vers la forêt de Sambisa, dans le sud, où il a pris l’armée nigériane par surprise en attaquant des casernes dans tout l’Etat du Bornou et l’État voisin de Yobe. Cette campagne comprenait le fameux raid sur Chibok, où le groupe a enlevé plus de 200 écolières. Cette opération spectaculaire a rendu le Groupe célèbre, en raison de la compassion mondiale avec les familles des victimes et de la grande campagne médiatique entreprise à l’époque pour faire libérer les filles « BRING BACK OUR GIRLS ». Plusieurs rapports et vidéos suggèrent que les combattants qui ont été entraînés par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ont fourni un soutien tactique au Groupe armé pour cette offensive.
Néanmoins, le Nigeria a pu récupérer en 2015, la majeure partie du territoire conquis par le Groupe, avec l’aide des armées des pays voisins (Niger, Cameroun et Tchad,) qui sont intervenus sur le territoire nigérian pour chasser des villes proches de leurs frontières communes, les combattants du Groupe Armé.
En mars 2015, Abubakar Shekau prêta allégeance au « Calife » de l’État islamique (EI) Abubakar al-Baghdhadi et le groupe adopta le nom d’État islamique dans la province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP). Shekau a été destitué par la suite par l’EI en août 2016 au profit d’Abu Musab al-Barnawi, relativement plus modéré, ISWAP à la mi-2019 a de nouveau commencé à reconquérir des territoires de l’Etat du Bornou et certaines parties de celui de Yobe.
Cette fois, l’ISWAP n’a pas tant pris l’armée nigériane au dépourvu comme en 2013-2014, mais a plutôt ciblé des avant-postes militaires ruraux mal protégés et mal situés où l’ISWAP a maintenu un avantage asymétrique. À cette époque, certains commandants de l’ISWAP s’étaient également entraînés avec l’EI en Libye et le groupe est devenu plus professionnel en termes de tactiques, de communication et même d’uniformes.
Cette amélioration est due en grande partie à son intégration dans le réseau mondial de l’EI. Néanmoins, fin 2019 et début 2020, l’Armée Nigériane a tenté de maitriser la situation en établissant des « super camps », qui sont de grandes bases militaires hautement fortifiées et théoriquement imprenables.
Avec moins d’avant-postes à attaquer et des super camps trop forts pour être envahis, le rythme des attaques d’ISWAP s’est ralenti en 2020. Cependant, l’armée nigériane est restée en grande partie confinée dans ces super camps avec des incursions intermittentes dans les zones rurales pour cibler les cachettes d’ISWAP. Ces incursions, cependant, ont souvent conduit à des embuscades sur les routes rurales, et ISWAP a commencé à tenir des territoires dans les zones rurales, où il a recruté, prêché et reconstruit ses forces.
Depuis début 2021, l’ISWAP a été en mesure de contrecarrer les incursions de l’armée nigériane dans les zones rurales et a même attaqué les défenses extérieures des super camps et des villes dans lesquelles ils se trouvent. Ils ont aussi ciblé d’autres casernes militaires de taille moyenne dans presque tout le Bornou.
Les reportages photos de l’ISWAP à la fin du Ramadan 2021, montraient ses combattants distribuant de l’argent aux enfants et des biens divers aux civils et prêchant la bonne parole aux populations.
ISWAP est en train de développer une stratégie insurrectionnelle centrée sur la population pour contrer l’armée nigériane ; et commence à jouir d’une grande liberté de mouvement à travers les zones rurales du Bornou pour conquérir les cœurs et gagner les esprits. La remise en selle d’Abou Moussab al-Barnawi, qui avait la réputation d’être indulgent envers les civils pendant son premier règne à la tête de l’ISWAP d’août 2016 à mars 2018, a renforcé cette tendance.
L’opération de mise à mort de Shekau sous le commandement d’al-Barnawi raffermira la crédibilité de celui-ci auprès des populations civiles, mais elle renforcera également l’engagement de l’EI envers l’ISWAP. Cet engagement a probablement été renforcé aussi à la suite de la purge signalée par al-Barnawi des membres de la ligne ultra-dure d’ISWAP quelques jours seulement après la mort de Shekau.
On se rappelle que l’EI a reconnu qu’al-Barnawi a remplacé Shekau en août 2016, mais n’a jamais reconnu la destitution d’al-Barnawi, en mars 2018, par les mêmes commandants de la ligne dure d’ISWAP dont il vient de se débarrasser. L’EI a apparemment redésigné al-Barnawi comme chef de sa succursale en Afrique de l’Ouest spécifiquement pour lancer la campagne maintenant couronnée de succès contre Shekau à Sambisa
La popularité d’al-Barnawi, fils du fondateur du Mouvement, et les potentialités militaires qu’offre Sambisa permettront à ISWAP de recruter à tour de bras et de lancer davantage d’attaques dans les mois à venir, alors que le nouveau chef consolide sa position et tente de réincorporer les commandants de Shekau dans son Groupe ou à défaut les éliminer.
(A suivre)