En Mauritanie, on vient de célébrer le deuxième anniversaire de l'accession du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani au pouvoir.
Quand il a été élu à la faveur des élections présidentielles auxquelles ont participé les différentes composantes de la classe politique, les Mauritaniens ne savaient pas beaucoup de choses de cet ancien officier, affable et discret, qui a occupé les plus hautes fonctions de l'armée, avant de présenter sa candidature à la présidence.
Les deux années du règne de Ghazouani furent marquées par les rebondissements du dossier de l'ancien président Mohamed ould Abdel Aziz, inculpé par la justice suite à une enquête parlementaire pour corruption et mauvaise gestion, et par les efforts de lutte contre la pandémie de Covid-19 qui a frappé de plein fouet l'économie mauritanienne fragile et dépendant, en grande mesure, de l'Etat.
Mais à l'heure du bilan, on peut affirmer que la réussite éclatante de Ghazouani était, pour les Mauritaniens, le climat d'apaisement et de confiance générale qu'il a instauré dans le paysage politique mauritanien après des décennies de tension continue et de frictions enflammées débordant parfois sur la rue.
Ce style consensuel a porté ses fruits : les institutions politiques fonctionnent régulièrement, l'entente cordiale entre les acteurs politiques est patente, la tension sociale a sensiblement baissé dans le pays, le bilan des politiques sanitaires contre la pandémie est largement satisfaisant.
Déficit de reconnaissance
Excepté la brève période d'accalmie qui a suivi les élections présidentielles de 2007 et le choix des urnes du président civil Sidi ould cheikh Abdallahi, la démocratie mauritanienne instaurée en 1991 a constamment souffert de déficit de reconnaissance et de légitimité. Les périodes des compétitions électorales débouchaient souvent sur des crises politiques aiguës.
La transition militaire de 2005 - 2007 a introduit, à l'issue d'une large concertation politique, des réformes constitutionnelles et procédurales importantes, pour garantir la transparence et la crédibilité des élections et l'alternance pacifique au pouvoir. Force est de constater que le règne tumultueux de l'ex-président Aziz a bousillé ces réformes qui paraissaient salutaires pour la totalité de la classe politique.
Le régime de Mohamed ould Abdel Aziz tout en multipliant les initiatives de dialogue national, a galvaudé le slogan du " renouvellement de la classe politique ", adopté une posture populiste anti-élite, et a éliminé la Chambre haute du parlement mauritanien qui a voté contre les amendements constitutionnels proposés par les autorités en pouvoir.
C'est ainsi que le président Ghazouani a hérité un lourd passif, qu'il a géré avec délicatesse et subtilité, sans secouer les fragiles équilibres dont dépendent la stabilité et la sérénité du champ politique.
C'est dans ce cadre que s'inscrivent l'option d'ouverture et de concertation permanente avec l'opposition politique, la réhabilitation des institutions constitutionnelles malmenées durant la législature précédente, la pacification de la vie politique auparavant agitée et tourbillonnante.
Le président Ghazouani a affronté les trois défis majeurs qu'ont affrontés ses prédécesseurs par rapport à la question démocratique : le passage d'une démocratie de compétition formelle à une démocratie de société libre et pluraliste, la prise en charge des demandes de justice et d'équité sociales pour endiguer les aléas de la discrimination et de l'injustice liés à la vieille hiérarchie sociale ou aux abus de pouvoir, la garantie d'alternance au pouvoir selon les mécanismes de choix compétitif libre.
La démocratie mauritanienne qui a marqué des points lors des premières élections pluralistes libres de l'histoire du pays en 2007 a perdu son éclat après le putsch de 2008 – jamais accepté, ni assimilé par les partenaires politiques.
Face à une régression notoire de la dynamique démocratique dans les pays du Sahel déchirés par les guerres civiles et indécis devant le danger terroriste, la Mauritanie représente aujourd'hui le seul espoir de " santé démocratique " dans la région sahélienne.
Le président Ghazouani, très bien instruit sur la problématique sécuritaire dans ses aspects endogènes et exogènes, est conscient que le mode de gouvernance politique en Mauritanie relève du concept de " pacification ", mot-clé depuis la création de l'Etat dans ce vaste désert sous-peuplé.
La pacification a, dans ce cadre, un double sens : l'apaisement de la sphère politique interne en déjouant les facteurs d'antagonisme et de division nuisibles pour la stabilité et la quiétude sociales et la sécurisation des frontières fluides et poreuses du pays.
La première option est conditionnée par le bon ancrage d'une démocratie participative et délibérative ouverte qui respecte les modalités de compétition représentative.
La deuxième exigence implique la formation d'une armée forte et efficace, qui reste l'ossature institutionnelle de l'unité et la continuité de l'État mauritanien.
Seyid Ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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