Le président de la République a entrepris de s’adresser à l’opinion (nationale et internationale) via trois organes de presse étrangère : l’hebdomadaire Jeune Afrique, tout d’abord, puis RFI et France 24. Belles occasions de passer en revue diverses thématiques.
Il a réagi aux évènements en Tunisie, pays fortement affecté par le COVID 19 et plusieurs graves problèmes politiques qui ont conduit à la suspension des activités du Parlement et au limogeage du Premier ministre. Mais, contrairement à certains chefs d’État et responsables d’organisations de défense des droits de l’Homme, le président mauritanien s’est abstenu de qualifier la décision de son collègue tunisien de « coup de force », comme il a minimisé la sortie de son autre homologue nigérien, Mohamed Bazoum, sur le rôle des militaires après le second coup d’État d’Assimi Koïta, au Mali, et le retrait de la force Barkane...
Toujours sur le plan extérieur, le président mauritanien s’est félicité des efforts préservant son pays du djihadisme violent accablant le Sahel. Et de réitérer la « neutralité constructive » de la Mauritanie sur le dossier « Sahara occidental », alors qu’un ministre marocain considérait, il y a peu, que cette posture devenait « intenable ». Pour Ould Ghazwani, l’Algérie peut bien apporter son aide dans le combat que mènent les forces du G5 Sahel.
Au plan interne, il a affirmé n’être en rien concerné par les démêlées judiciaires de son prédécesseur, « cette affaire relève uniquement de la justice », dit-il, en rappelant qu’il a tenté, lui, de contribuer à désamorcer la crise qui couvait entre l’ex-Président, le Parlement et l’UPR. En vain. Toujours droit dans ses bottes, il a par ailleurs exclu tout dialogue politique global avec l’opposition :« la situation ne le commande pas », estime-t-il ; et continue donc à privilégier les « concertations » individuelles avec tous les leaders politiques du pays. C’est dire que « le dialogue inclusif » avec Ghazwani devient une véritable arlésienne. Principal parti de la majorité présidentielle, l’UPR s’y prépare pourtant à travers ses tournées et ateliers régionaux ; l’opposition s’y accroche… sans pouvoir imposer un quelconque rapport de force au pouvoir.
Dialogue ?
Dans sa dernière sortie, le parti Tawassoul avait réitéré sa demande de dialogue inclusif rapide pour trouver des solutions aux problèmes du pays. En vain, donc : l’opposition paraît bel et bien en train de payer la longue période de grâce qu’elle accorda au successeur d’Ould Abdel Aziz. Pour avoir trop souffert sous le règne de ce dernier, elle s’est vite montrée souple envers le nouveau Président. Résultat des courses, elle se fait encore rouler, comme toujours, par un pouvoir qui parle, cette fois, tantôt de dialogue, tantôt de concertations, dans un étrange climat où elle partage, avec les partis politiques de la majorité, une disposition à aller au dialogue afin d’apaiser et de normaliser davantage l’arène politique mauritanienne.
Revenant sur le dossier dit de la décennie, Ould Ghazwani dit tout en ignorer et n’avoir jamais pris connaissance du contenu du rapport produit pas la CEP qui a valu à l’ex-Président au moins dix chefs d’accusation dont blanchiment d’argent, corruption et entrave à la justice… Pour le désormais ex-ami et compagnon d’Ould Abdel Aziz, l’affaire est purement judiciaire et il ne peut donc pas en parler. Relancé encore par les journalistes sur l’ampleur des révélations de la CEP, le président Ghazwani s’est de nouveau refusé à se prononcer, réitérant sa décision de laisser l’affaire entre les mains de la justice : « je ne suis pas habilité à dire si Ould Abdel Aziz est coupable ou non ». Toutes choses qui donnent à penser que notre Raïs ne veut pas charger la barque de son ancien ami et, partant, offrir une fenêtre de tir aux accusés et à leurs conseils. À eux donc de s’atteler désormais à préparer leurs réponses aux juges de la Haute Cour de Justice (HCJ) qu’ils ne cessaient de réclamer. Rappelons ici que, selon eux, seule cette HCJ pouvait auditionner et éventuellement juger un ancien président de la République et autres membres de ses gouvernements successifs. C’est apparemment imminent, après un singulièrement long processus, et Ould Ghazwani devait, semble-t-il, prendre la parole, en affirmant aux Mauritaniens et à l’opinion internationale que le gouvernement ne s’est mêlé à aucun moment de ce dossier.
Mais ce faisant, le pouvoir marche sur les traces des enquêteurs qui ne se sont intéressés qu’à la seule personne d’Ould Abdel Aziz, laissant jusque là les douze autres inculpés en liberté. Ce qui interroge bon nombre de Mauritaniens : pourquoi ce dossier traîne-t-il tant, donnant cette impression de deux poids et deux mesures ? Les concernés parlent d’un « règlement de compte » et d’humiliation envers un ancien président de la République. Des allégations qu’Ould Ghazwani rejette aussi simplement que poliment, en déclarant qu’« un ancien Président mérite du respect »...
Dossiers oubliés ?
En ces différentes sorties, le président de la République ne s’est pas prononcé sur la question sociale et nationale. Depuis des mois, les prix des produits de première nécessité et de construction ne cessent de grimper, accentuant le malaise des couches les plus démunies de la Nation. Malgré les mesures prises par les pouvoirs publics à la veille du Ramadan pour endiguer la spirale d’augmentation de ces prix, voire de les stabiliser, les choses restent en l’état. Les produits vitaux comme le riz, le sucre et l’huile voient leur étiquette valser, sans que des sanctions ne tombent sur les contrevenants, contrairement à ce qui vient de passer récemment en Tunisie dont le Président s’attaque, après avoir, comme dit tantôt, limogé son Premier ministre et suspendu l’Assemblée nationale pour trente jours, aux hommes d’affaires et aux spéculateurs. Accusés de détournement de fonds, quatre cent-soixante de ceux-là sont dans l’œil du cyclone et Kaïs Saïed a demandé aux commerçants de baisser les prix pour aider les populations en souffrance. Chez nous, la CEP et la Cour des comptes ont épinglé des centaines de personnes. Sans aucun effet. Et nombre d’entre elles de se la couler toujours aussi belle dans leurs villas cossues de Tevragh Zeïna...
Autre dossier passé à la trappe, la question nationale. Les journalistes n’ont pas interrogé le Président sur l’esclavage et ses séquelles, encore moins sur le passif humanitaire. Ne savent-ils pas que l’unité nationale est malmenée et que l’esclavage – à tout le moins, ses séquelles… – persistent, malgré l’adoption, il y a quelques années, d’une loi criminalisant celui-là et ses pratiques ? Ces deux thèmes devraient être discutés, comme d’autres, au cours d’un dialogue politique en gestation…mais que le président de la République vient à nouveau d’enterrer.
En nous laissant sur notre faim : pourquoi a-t-il choisi de mener une offensive médiatique à la veille du second anniversaire de son arrivée au pouvoir ? A-t-il voulu dire aux Mauritaniens qui le trouvent peu loquace et réactif qu’il a enfin compris leur impatience ? Si tel était l’objectif de cette opération de communication, a-t-il été à la hauteur de leurs attentes ? Et, question banco, pourquoi nos chefs d’État préfèrent-ils s’adresser aux journaux étrangers plutôt qu’à leur propre presse et se soigner hors du Continent? Bref, tant à l’oral qu’à l’écrit et, surtout, dans les faits, Ould Ghazwani peut-il mieux faire ? Il lui reste trois ans pour le prouver.
Dalay Lam