Tout au long des siècles et dans toutes les mythologies, civilisations, religions ou sciences sociologiques, les notions de terroir natal et de mère biologique s’entremêlent. Avec la naissance des États-nations, elles ont engendré le concept mythique de Mère-Patrie. Le devoir envers la patrie est aussi sacré que celui que nous impose la religion et la morale envers notre mère biologique. Nos preux chevaliers ont irrigué de leur sang cette terre en la défendant. Nos poètes l’ont immortalisée par leurs œuvres. Nos savants ont répandu sa religion et son savoir en Afrique et au Moyen-Orient. Les premiers explorateurs étrangers qui visitèrent notre pays louèrent son peuple hospitalier et sobre luttant pour vivre sur une terre aride à laquelle il est pourtant très attaché.
Le seul combat qui vaille en cette période est d’atténuer autant qu’on peut l’impact d’une pandémie que même les grands pays peinent à endiguer, malgré tous leurs moyens technologiques et leur savoir. Les deux guerres mondiales ne semblent plus que des épiphénomènes, au regard des effets dévastateurs et multisectoriels de cette pandémie sur tous les États. Avant, nous étions confrontés à d’autres défis majeurs : luttes contre le terrorisme et la pauvreté, notamment ; que nous sommes cependant toujours obligés de relever car celles-ci forment le socle de notre politique de stabilité intérieure.
Au moment de la loi-cadre promulguée en 1956, il n’y avait pas de fortunes, au sens monétaire du mot. Les revenus du Territoire ne couvraient pas les frais de son administration. C’est la France qui comblait le déficit. Il y avait juste quelques fonctionnaires salariés et quelques commerçants qui vendaient surtout des produits alimentaires. Dès l’Indépendance, le gouvernement s’attela à former des cadres. Il les prenait en charge dans les écoles primaires, collèges, lycées et dans les universités à l’étranger. Cette prise en charge se poursuit encore, y compris durant les années de spécialisation. Ces élites formées occuperont de hautes fonctions avec les avantages matériels et les honneurs qui en découlent. Le gouvernement instaura également une préférence nationale pour les entrepreneurs mauritaniens dans les marchés publics. Ces encouragements permirent de faire émerger une classe d’hommes d’affaires dans tous les secteurs. Avec la fondation de l’ouguiya, ces hommes d’affaires rachetèrent toutes les entreprises étrangères et commencèrent à monter de petites unités industrielles.
Mimétisme
C’est dire que tout ce que nous possédons : élites ou entrepreneurs ; licite ou illicite ; nous le devons à notre patrie. Or elle fait aujourd’hui face à l’un des plus terribles défis depuis sa naissance. Souvenons-nous donc de la dette et du devoir que nous avons envers elle car rien ne sera plus comme avant. Face cette situation, personne ne doit rester passif. L’action que l’État mène sur tous les fronts : finances publiques, projets de développement, lutte contre le chômage, transferts sociaux… ; ne nous dispense pas d’accomplir notre devoir citoyen.
La diaspora de notre pays a été la première à réagir, fournissant des études et des plans d’action pour aider notre administration, de brillants médecins sont venus aider le ministère de la Santé à peaufiner sa stratégie anti-COVID et se sont rendus à l’intérieur du pays. Tout notre personnel médical, du professeur à l’infirmière, a travaillé jour et nuit et poursuit sans relâche sa lutte contre la pandémie. Certains d’entre eux l’ont payé de leur vie. Paix à leur âme ! Nos forces armées et de sécurité : officiers, hommes de troupe… ; défendent nos frontières contre le terrorisme et participent au maintien de la paix dans de nombreux pays. J’ai vu des reportages que diverses chaînes internationales leur ont consacrés. Paix à l’âme de nos martyrs !
Mais ce pays connu pour sa sobriété et son sens du partage verse, depuis quelques décennies chez les plus aisés, dans la frénésie de la surconsommation et du gaspillage. À tout bout de champ : deuils, fondations de foyers, baptêmes ; et même au quotidien pour certains, dans un infernal train de vie exhibitionniste. L’une des plus graves conséquences de ce phénomène est qu’effet de mimétisme sous la pression sociale, les pauvres se sont sentis obligés de copier les comportements de ces riches, ce qui a entraîné de graves problèmes financiers et sociaux : surendettement, dislocation des foyers, etc.
Nos sociologues spécialistes des problèmes sociaux doivent monter au créneau pour montrer les effets pervers de ces comportements dispendieux si contraires à notre pratique du rite-malékite sunnite, voie par excellence du juste milieu et de notre vécu civilisationnel marqué par le partage et l’entraide. Certes, seul l’État peut garantir la distribution équitable des richesses au niveau national mais cela n’empêche pas les citoyens de développer des actions personnelles. En de telles situations, le moindre geste ou action peuvent aider, pourvu qu’ils viennent du cœur et s’accomplissent dans la discrétion.
Acte civique
En voici quelques exemples, parmi tant d’autres. Par son comportement personnel et la sobriété de son train de vie, chacun d’entre nous peut aider son entourage et ses voisins à revenir aux valeurs de partage et d’entraide qui formèrent le socle de notre société depuis des siècles. Il suffit qu’une personne de référence mobilise, dans la sphère familiale, tous ceux qui ont des revenus pour apporter leur aide à une liste de familles proches, amies, voisines ou de vieilles connaissances, ici ou l’intérieur, qui manquent d’appoints ou sont carrément dans le besoin. Chacun d’entre nous peut aussi influer, au niveau de sa sphère familiale ou de ses amis, pour que cesse cette frénésie de surconsommation, phénomène dangereux qui peut disloquer un corps social très fragile, surtout en cette période particulière de l’histoire de notre patrie confrontée à de multiples défis. Chacun d’entre nous peut aussi amener sa sphère familiale, ses amis et ses promotionnaires à se faire vacciner ; les vaccins sont disponibles et ont beaucoup coûté au pays. C’est juste un acte civique :en ne l’accomplissant pas, nous pouvons nuire inconsciemment à d’autres. Tous les savants sont unanimes à dire que seuls les pays qui ont pratiqué la vaccination à grande échelle pourront revenir a des activités normales.
Si j’écris ceci, c’est parce que j’ai vécu la plupart des défis auxquels notre patrie a dû faire face depuis sa fondation. La pandémie du COVID-19 en est le plus terrible, tant pour nous que pour toutes les autres nations. Je souhaite seulement que nous en prenions conscience, que nous ne baissions pas les bras et que nos comportements et nos gestes s’accordent à nouveau avec les valeurs héritées de notre glorieux passé : partage, entraide, solidarité, sobriété. Qu’Allah le Tout-Puissant protège notre patrie !
Brahim Salem ould ElMoctar ould Sambe, dit Ould Bouleïba