Qu'est-ce que les élites ont apporté au pays en 50 ans d'indépendance ?
Quelle image projettent-elles d'elles-mêmes dans la société Mauritanienne ? Coup de projecteur, sans filtrage, sur des générations de jouisseurs qui ont saigné à blanc leur pays et paupérisé méthodiquement nos concitoyens.
Le commun des mauritaniens, désabusé, émet un verdict sans appel : « les élites mauritaniens sont tenues pour responsables de la débâcle de la société par le fait qu'elles ont servi leurs intérêts au détriment de ceux de la population ».
Or, qui dit « élites » voit un ensemble hétéroclite des leaders sociaux et technocrates qui, à des degrés divers, ont participé ou participent encore à l'exercice du pouvoir dans ce pays. Ces élites se classent ainsi en élites coutumières, élites intellectuelles, élites politiques.
Une constante : en dépit d'incessantes et vertigineuses rotations du personnel politique au pouvoir, pendant 50 ans, aucune véritable volonté politique n'a effleuré les dirigeants pour sortir le pays de l'ornière de la crise multisectorielle. Mise à part l'exécution, de manière sporadique, de quelques actions d'éclat, soi-disant d'intérêt général, en signe de trompe-l'œil.
Je pense que le mal est profond : ce n'est pas en changeant les acteurs, un remaniement où par voies de décrets, que les comportements des politiques vont changer au point de les contraindre à prendre dorénavant en compte les intérêts des populations qui s'impatientent de voir leur pouvoir d'achat augmenter.
Pour la clarté de ma contribution, j’ai analysé ces élites suivant trois périodes.
De 1960 à 1965 : l'expérience des élites traditionnelles et des évolués.
De 1965 à 1997 : le règne des technocrates.
De 1997 à 2005 : le fourre-tout des lettrés.
De 2009 à 2021 : les je m'en-foutistes.
Je tenterais ensuite d'apprécier l'apport, ou non, de chaque groupe d'élites à la satisfaction des besoins des populations.
Les traditionnels et les évolués
Le colonisateur français, ayant limité le niveau d'instruction des indigènes, le pays accède à l'indépendance avec moins de dix cadres universitaires. Les premiers fils autochtones, qui seront appelés à remplacer les cadres coloniaux dans tous les rouages de l'administration et de l'armée, ainsi qu'à exercer les fonctions politiques, seront naturellement les anciens commis et les enseignants, détenteurs pour la plupart d'un diplôme de 2 ou 4 ans post-primaires. Rarement d'un bac.
Non initiés à assumer de hautes charges au sommet de l'Etat, ces « évolués » essaieront de faire fonctionner une machine qui dépassait leur niveau d'apprentissage. Débrouillards, ils l'ont été. Mais ils n'ont pas été servis dans leur volonté de faire autant que le colonisateur. Ceci s'explique, d'une part, par une précoce rupture des relations avec l'ancienne métropole. Et, d'autre part, par des contradictions politiques internes, attisées par des ingérences extérieures.
Sur leur gestion de la chose publique, l'histoire a retenu que ces élites (intellectuelles et traditionnelles) avaient globalement le sens du respect du patrimoine commun. Bien qu'ils aient été tentés de vivre à l'européenne et même certains de se marier a des européennes- leur modèle de jadis - les circonstances ne leur ont pas offert des opportunités d'amasser une fortune de façon scandaleuse sur le dos de l'Etat. A signaler aussi que les clivages partisans ont annihilé l'ambition de ces jeunes politiciens de faire œuvre utile en faveur des populations. Ainsi, la 1ère République disparaît-elle avec ses promesses et ses rêves.
Technocrates et fourre-tout
A la génération des « évolués » de 1960 est venue se greffer l'énorme masse de cadres universitaires des années 70-80. C'est l'avènement de l'ère des technocrates, bien formés au pays et dans d'illustres universités et académies d'Europe et d'Amérique. Intégrés au régime politique de Taya et corrompus, ils se sont faits chantres de la pensée unique, de l'immoralité politique.
En matière de gestion, ces élites ont déçu sur toute la ligne. Les détournements de fonds publics et du patrimoine de l'Etat avaient été élevés au rang de sport politique. Et, faire la politique était synonyme de s'enrichir rapidement, illicitement et sans cause. Tout technocrate qui prenait des libertés avec les biens publics était assuré par une impunité institutionnalisée.
Cette propension à l'enrichissement sans cause a suscité une vocation chez les élites : devenir un politicien de carrière. C'est-à-dire tout faire pour arracher une nomination à un poste juteux à la suite des combines et des compromissions répréhensibles.
Après les frasques des élites de la 2ème République, la parenthèse Taya qui promettait l'envers de la médaille, a accentué l'immoralité. Les élites revanchardes que l’ex Prds a emmenées au pouvoir ont été mues plus par une faim boulimique de tout posséder tout de suite, afin de rivaliser avec les prédateurs du régime précédent, que la volonté de servir la population. Elles ont laissé en l'état, ou accentué, les inégalités créées par le régime Taya.
La transition post-Sun City a culminé avec les anti-valeurs. Toutes les élites s'y retrouvent. Une grande mafia, multicolore, a pris de l'ampleur. De la base au sommet de l'Etat, tout le monde veut amasser une fortune pour construire des villas à E.Nord, TavraghZeina et acheter des palmeraies et des troupeaux de chameaux et pour la Guetna sans oublier de préparer sa campagne électorale.
A cet effet, tous les coups pour y parvenir sont permis : détournement des fonds publics à travers de monstrueux dépassements budgétaires, aliénation du patrimoine immobilier de l'Etat au profit des étrangers, vente des terrains et avenues publiques et des cours d'écoles à des industriels, etc.
Les élites mauritaniennes d'hier cherchent à créer une caste au sein de laquelle rugit la concurrence : chacun voulant à tout prix confisquer l'Etat, le parasiter, limiter les droits des autres Mauritaniens. Et, ce sont les mêmes élites sans conscience, adeptes du primat de l'intérêt privé sur l'intérêt public, qui s'affairent à revenir demain au pouvoir au travers des nominations de clientélisme et de copinage !
L'avenir du pays est-il à jamais hypothéqué ?
Abdoulaziz Deme