On assiste depuis quelque temps à une propagation de la violence ; à Nouakchott et à Nouadhibou surtout, deux des grands centres urbains du pays qui abritent pourtant l’essentiel des forces de sécurité et de défense du pays. Un paradoxe, diront les uns et les autres. Quasiment aucun jour sans qu’on ne déplore des attaques à main à armée occasionnant la mort. De victimes innocentes, souvent, qui n’eurent pour seul tort que de croiser sur leur chemin ou, pire, trouver à domicile, des bandits enragés à les délester de tout : téléphone, argent, bijoux… Dans certains endroits – Arrêt-bus du 5e ou Netegh d’El Mina, par exemple – c’est en plein jour ou au crépuscule que des femmes se voient arracher leur porte-monnaie ou sac à main. Vieille plaie des boutiquiers du coin, le vol s’étend aujourd’hui à toutes sortes de biens matériels. S’y côtoient les viols sur les enfants mineurs, voire personnes âgées. On se rappelle de l’assassinat de Penda Sogue qui émut tout Nouakchott, voici déjà quelques années. Les organisations de défense des droits de l’Homme, en particulier ceux des femmes, ont donné le la pour réclamer l’adoption d’une loi visant à protéger celles-ci contre les violences conjugales.
L’épicentre se déplace
Si les quartiers de Sebkha et d’El Mina furent, par le passé, les principaux centres du grand banditisme à Nouakchott, l’épicentre s’est aujourd’hui déplacé vers Toujounine et Dar Naïm et touche presque tous les quartiers de la capitale. Il suffit de regarder la presse et les réseaux sociaux pour s’en convaincre. De récents meurtres odieux ont été commis entre ces deux pôles ; Dar Naïm, « le professeur », et Toujounine, « l’érudit ». Le mois de Ramadan passé, des vidéos ont été postées sur les réseaux sociaux montrant des familles désemparées de ce dernier quartier qui se plaignaient de leur sort : « personne n’ose sortir de chez lui, une fois la nuit tombée, des bandes vous agressent et n’hésitent plus à entrer dans les maisons », racontait une dame. « Plus grave », ajoutait un autre, « les victimes d’agression sont laissées à leur compte, personne ne vient à leur secours, même si elles appellent à l’aide ». Et tous de déplorer que les forces de sécurité ne répondent et n’interviennent que très tardivement. « Après le coup », regrettent-ils en chœur.
Arme du crime, le couteau 108
Les agressions se font le plus souvent à l’arme blanche, en particulier au couteau. Cet instrument s’est banalisé dans la jeunesse de nos quartiers. Beaucoup se promènent avec et n’hésitent pas à en faire usage. Dès le plus jeune âge, parfois. Selon nos sources, ces lascars se règlent les comptes avec un couteau connu sous le nom de 108, utilisé en cuisine familiale et un autre, plus fin, en usage chez les barbiers pour le rasage. Un outil de petite dimension qu’on peut aisément tenir en poche ; particulièrement tranchant et fatal en conséquence, surtout sur les parties molles comme la gorge… Ce couteau est devenu l’arme privilégiée des différents crimes perpétrés en nos villes.
Forces de sécurité impuissantes ?
Cette aggravation de la violence urbaine interroge les citoyens qui se sentent abandonnés à leur triste sort. Les habitants de Nouakchott ne comprennent pas pourquoi le banditisme de grand chemin se développe dans leur capitale, alors que celle-ci dispose de plusieurs commissariats, compagnies de police, brigades de gendarmerie et Garde nationale. On s’étonne de ce que ces violences se soient accentuées en période de couvre-feu. Les hommes en tenue seraient-ils incapables d’éradiquer cette spirale, alors qu’ils sont si prompts à réprimer les manifestations de militants paisibles réclamant les plus élémentaires droits ? Serait-ce seulement à dissuader ceux-ci que le gouvernement puisse gonfler ses muscles, en déployant des policiers et des gardes lourdement équipés ?
Si les forces de l’ordre n’ont pas réussi, en dépit de leur grand nombre à Nouakchott, à éradiquer la violence, ce serait, à en croire diverses sources, parce qu’elles sont mal équipées et très peu motivées par de dérisoires primes de risques. Il s’y ajoute comme une espèce de laxisme : les criminels arrêtés sont assez rapidement libérés pour récidiver et former ainsi une boucle infernale de redoutables professionnels. Des raisons suffisantes à expliquer la disparition des forces de l’ordre, quelques heures après leur déploiement au crépuscule le long des grands axes et carrefours de la capitale, et leur absence quasi-totale dans les rues et ruelles où les bandits sévissent, notamment dans les quartiers dépourvus d’électricité ?
Ou contrat social négligé ?
De quelles priorités l’État se fait-il le serviteur en décidant d’installer des caméras de surveillance au cœur de la capitale, là où les bandits n’interviennent que pour des braquages et vols de voitures, rarement des crimes crapuleux ? Le budget national manquerait-il de plus évidentes urgences sécuritaires ? Certains avancent ici une lutte des classes qui lierait la violence au chômage, à la pauvreté, à la misère, l’ignorance, les frustrations, la drogue... Et le fait est qu’ils ont, en cette analyse, bel et bien de quoi moudre : tandis que trop de familles peinent à chauffer deux fois par jour la marmite, d’autres exhibent de manière éhontée un luxe insolent à travers villas, palais, carrosses et autres grosses cylindrées…
Face à cette dramatique situation, les morts qui se comptent tous les jours, le gouvernement doit revoir sa stratégie. La criminalité est un terreau du terrorisme. Aujourd’hui perpétrés au couteau, les crimes peuvent l’être, demain, avec des armes à feu. Ce n’est un secret pour personne que bon nombre de nantis en disposent et par n’importe lesquelles : kalachnikovs et autres fusils d’assaut. Ce n’est certes pas donné à tout le monde mais n’en forme pas moins un gros danger dans un pays encore fragile où le tribalisme est fortement ancré, les extrémismes vivaces, tandis que sévissent, chez tel ou tel de ses voisins, des terroristes de tout acabit. C’est dire que, perceptible, la menace est réelle : il faut rester vigilant.
Dalay Lam