Après les graves événements nés de la plainte de la ‘’masseuse’’ Adji Sarr contre le député Ousmane Sonko, leader du parti d’opposition « PASTEF les Patriotes » classé troisième à l’élection présidentielle du 21 Février 2019, pour « viols répétés et menaces de mort dans le salon de massage Sweet Beauté », début Mars 2021, le gouvernement du Sénégal apporte sa part de vérité.
Les autorités de Dakar servent la version officielle des faits et annoncent la constitution d’une « Commission d’Enquête Libre et Indépendante » à travers un mémorandum de 24 pages publié en fin de semaine dernière. Cette CELI sera composée de représentants du gouvernement, de l’opposition et de la société civile, avec l’objectif « de faire toute la lumière sur ces malheureux événements et, surtout, situer toutes les responsabilités ».
Une démarche justifiée par maître Sidiki Kaba, ministre des Forces armées : « C’est important de livrer la part de vérité de l’État. Il nous faut éclairer l’opinion sur ces événements, après avoir entendu tant de narrations et récits laissant entendre que la puissance publique endosse l’entière responsabilité des morts, des pillages et des blessés ».
Dans cette affaire, une première version est servie dans l’emballage d’un banal fait divers. Une histoire où « l’on confond salon et lupanar, kinésithérapie et body-body » impliquant une jeune fille d’une vingtaine d’années et un homme politique dont les partisans, organisés en troupes fanatisées, sont présentés en maîtres absolus de la Toile.
Treize morts, pillages et destruction de biens à grande échelle
Une présentation battue en brèche par le camp de Sonko, toute l’opposition et une grande partie de la Société civile, qui dénoncent « un complot politique » derrière lequel est clairement identifié la main du président Macky Sall. Le chef de l’État sénégalais poursuivrait ainsi « sa stratégie visant à éliminer » ses adversaires les plus significatifs, notamment un homme entré dans l’arène avec un discours nouveau, aux accents parfois populistes, qui symbolise l’espoir d’une bonne partie de la jeunesse en proie au chômage et à la précarité.
Macky Sall serait-il, a contrario, le bouc émissaire idéal pour un homme à la libido débordante, après les épisodes des condamnations de Karim Wade, fils de l’ex-Président Abdoulaye Wade, et de l’ex-maire de Dakar, Khalifa Sall, tous opposants crédités d’un important poids électoral mais sortis du jeu politique suite à des décisions de justice fortement dénoncées par leurs partisans ? La version gouvernementale le suggère…
Convoqué par le juge d’instruction après la levée de son immunité parlementaire le 3 Mars dernier, « Ousmane Sonko a orchestré, sur le chemin du tribunal, un stratagème pour mobiliser ses partisans. Son jeu consistait ni plus ni moins qu’à organiser un dilatoire public pour ne pas se rendre devant le juge ou, à tout le moins, n’y aller qu’à ses propres conditions. Bien évidemment, ce qu’il recherchait n’était rien d’autre que provoquer un attroupement, soulever des troubles ou, pire, lancer un appel à la résistance populaire afin d’empêcher sa comparution ». Tout ceci dans un contexte d’état d’urgence sanitaire interdisant les rassemblements pour lutter contre le coronavirus, rappelle le mémorandum gouvernemental.
Et les autorités de qualifier la démarche « de rébellion, manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique, délits prévus et punis par les articles 185 et 80 du Code pénal ». Une évolution dont la conséquence est un mandat d’amener ordonné par le doyen des juges d’instruction, Samba Sall, et le placement du leader politique en garde à vue à la Section de Recherche (SR) de la gendarmerie. La suite se déclinait en quelques journées folles « de violences inouïes, […] à l’instigation assumée d’Ousmane Sonko ». Une horreur obligeant le président de la République à déployer l’armée pour ramener le calme, fait inédit dans l’histoire d’un pays réputé vitrine de la démocratie dans un océan de régimes autoritaires.
Le document insiste sur les conséquences des déclarations publiques du leader de PASTEF appelant au « mortal kombat » : « Ces propos séditieux ont entraîné des manifestations d’une rare violence dans plusieurs villes et régions : 13 décès, plus de 300 blessés parmi les manifestants et plus 100 dans les rangs des forces de l’ordre, des dégâts et pertes matériels dont l’évaluation est encore en cours, avec un premier bilan de 145 édifices publics saccagés, plus de 139 biens privés, maisons, magasins, banques, stations-service , tous pillés, parfois par des individus armés ». Mais pas un seul opposant parmi les victimes de ces attaques, fait observer le document.
Au-delà de la personnalité et du statut des protagonistes au sein de la société et de la république, ces événements s’expliquent par un cocktail d’ingrédients explosifs : chômage endémique des jeunes et précarité, économie fortement éprouvée par la pandémie COVID-19 dont les conséquences des restrictions sur le secteur informel sont particulièrement désastreuses, et allégations portant sur l’instrumentalisation de la justice.
Le mémorandum salue « le sang et le professionnalisme des forces de l’ordre » qui ont permis de limiter le nombre de victimes, dans un contexte de violences à grande échelle, et la force d’un État aux institutions solides qui ont permis un retour à l’ordre, grâce à la mobilisation des ressorts de la société sénégalaise, notamment les guides religieux.
Mais, passées les considérations relatives au contexte, on peut tout de même s’interroger sur les motivations de la mise sur pied d’une commission d’enquête indépendante, une démarche manifestement politique, alors que les faits visés dans le mémorandum du gouvernement sont avant tout de la compétence de la justice…
Seck Amadou
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Encadré : Décès du doyen des juges d’instruction
Le doyen des juges d’instruction près le tribunal régional de Dakar, Samba Sall, est décédé le jeudi 8 Avril dernier. Ce magistrat avait en charge le dossier relatif à la plainte d’Adji Rabi Sarr, une jeune masseuse de 20 ans, pour « viols répétés et menaces de mort », contre Ousmane Sonko, député leader du parti « PASTEF/Les Patriotes » et arrivé troisième à l’issue de l’élection présidentielle du 24 Février 2019.
Cette affaire a déclenché, début Mars, de graves troubles dans plusieurs villes du pays, avec un bilan de treize morts et de nombreux dégâts matériels, selon un mémorandum du gouvernement. Le juge d’instruction avait placé l’opposant en liberté sous contrôle judiciaire. Le rappel à Dieu du juge n’aura pas d’incidence particulière sur le traitement du dossier qui sera confié à un autre juge d’instruction à l’initiative du procureur de la République, estime un spécialiste.
Titulaire d’une maîtrise en Droit, le juge Samba Sall originaire du Saloum (Sokone, prés de la frontière avec la Gambie) fit un bref passage au barreau, avant d’entrer au Centre de Formation
Judiciaire (CHJ) dans la même promotion que le procureur de la République prés le tribunal de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, auquel il était lié par une solide amitié. Présenté comme « un homme discret et fuyant les projecteurs », Samba Sall fut propulsé au devant de la scène médiatique à son corps défendant, pour avoir instruit des dossiers très chauds : affaire des milliards d’Aïda Diongue, ancienne sénatrice, dossier du célèbre musicien feu Thione Seck, affaire Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, affaire du député de la majorité Sydina Bougazelli, différentes arrestations de l’activiste Guy Marius Sagna…
Le magistrat a fait l’objet de nombreux témoignages poignants de la part des praticiens du Droit (avocats et magistrats) et même de personnes qu’il avait placées sous mandat de dépôt ou contrôle judiciaire en diverses affaires : le colonel à la retraite Abderrahmane Kébé, l’activiste Guy Marius Sagna, Moïse Rampino…