C’est quoi un ministère chez nous ? Il y a un minimum qui s’appelle un ministère, qui gère un minimum de choses, plus ou moins de manière approximative. Il existe sur le papier, mais dans la réalité, pour beaucoup de citoyens, il n’existe pas. Nous avons beaucoup de ministres qui chôment à longueur d’année. Ils n’ont pas de plans d’action sectoriels, pluriannuels ou annuels. Pas d’indicateurs sur lesquels ils sont évalués, s’ils sont déjà évalués. Comment le premier ministre ou le coordinateur des ministres va-t-il procéder pour évaluer la performance de ses ministres, pour savoir s’ils sont sur la bonne voie ? J’espère qu’il ne se fie pas à leur propre reporting et à leur discours officiel bouffi d’auto-satisfaction : tout va bien et tout est sous contrôle. Rien n’est sous contrôle. L’injustice n’est pas sous contrôle. La pauvreté n’est pas sous contrôle. Les inégalités ne sont pas sous contrôle. Le chômage n’est pas sous contrôle. La corruption n’est pas sous contrôle.
A la base, nous n’avons pas vraiment un gouvernement de mission. Notre conception d’un gouvernement, c’est juste des ministres qui sont nommés pour être ministres, mais pas nécessairement pour imaginer, développer, mettre en œuvre, suivre et évaluer des visions sectorielles. Nous n’avons simplement pas de vision, même à court terme. En général, on reproche aux pays en développement de travailler sur la base de la dictature du court terme. Nous, on n’a même pas de vision à court terme. On fait au jour le jour. Dans ces conditions, impossible de développer un pays, sans avoir de visions sectorielles qu’on fusionne pour donner une vision nationale. Les choix que le gouvernement fait, aujourd’hui, sont, peut-être, valables dans le très court terme, mais peuvent remettre en question des priorités plus importantes à moyen et à long terme...
La création de fonds, très à la mode auprès de ce gouvernement, est la parfaite illustration de ce développement à l’aveuglette. Chaque fois qu’il est confronté à un problème, qu’à cela ne tienne, il met en place un fonds. Il n’y a pas de mal à créer des fonds, mais un fonds c’est un instrument, ce n’est pas un résultat, encore moins une stratégie. Un fonds n’est qu’un élément de mise en œuvre d’une stratégie sectorielle.
Or, le gouvernement actuel a tendance à négliger l’aspect stratégique. Le problème du développement dans ce genre de pays, comme la Mauritanie, n’est pas nécessairement un problème de ressources, c’est d’abord un problème de planification. Chez nous, il n’y a pas de stratégie de développement qui a été discutée et concertée. Pas de stratégies sectorielles de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche...ou alors, juste des documents d’une banalité et d’une absence de pertinence, conçus unilatéralement, par des technocrates, dans un ministère, entre quatre murs.
Faire une stratégie nationale, c’est produire un document qui est le fruit d’une large consultation, associant l’ensemble des acteurs et des parties prenantes, qui commence par définir le diagnostic précis des problèmes, les défis qui existent, les objectifs et les moyens de les atteindre, avec des indicateurs mesurables, pour en évaluer l’atteinte. C’est ça le chaînon manquant. Sinon, on peut continuer à créer tous les fonds qu’on veut et les confier à des fonctionnaires qui ne sont même pas qualifiés pour les exécuter et qui n’ont pas de stratégies sectorielles. On peut dépenser des milliards et des milliards, sans résultats, comme justement ce qui arrive au pays depuis des décennies.
La situation incertaine du pays exige aujourd’hui plus qu’un gouvernement qui gère les affaires au jour le jour. Le président de la République doit repenser le dispositif gouvernemental, en mettant en place un gouvernement d’action, qui travaille sur la base d’une stratégie nationale de développement, discutée et concertée, avec des plans d’action sectoriels et un cadre de suivi-évaluation, pour s’assurer de l’atteinte des résultats, tout en économisant les moyens et donner du sens aux politiques d’investissement public.
Mohamed El Mounir