Après avoir tenu en haleine toute la Mauritanie mais également ses voisins, l’Afrique et certains partenaires techniques et financiers, le dossier de la décennie Aziz est entré dans sa phase active, pour ne pas dire judiciaire. Le voilà désormais entre les mains de la justice après la récente audition des personnes citées dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire (CEP) de l’Assemblée Nationale. En vedette, Ould Abdel Aziz, bien sûr, suivis de certains de ses principaux collaborateurs (Premiers ministres et ministres) et autres de son cercle familial. On leur reproche notamment le blanchiment d’argent, le pillage de ressources du pays, le trafic d’influence… Et le procureur général de placer tout ce beau monde sous contrôle judiciaire. Même si elle est jugée stricte, cette décision ne semble pas satisfaire l’opinion, dont une partie dira : « tout ce tintamarre pour ça ? »De nombreuses rumeurs laissaient entendre que plusieurs des accusés dont le principal allaient être emprisonnés. Fertile en imagination, on informait que « des villas étaient fin prêtes dans la capitale pour les recevoir ». D’autres affirmaient que « la nouvelle prison de N’Beika se préparait déjà à accueillir l’ex-président Ould Abdel Aziz et certains de ses anciens collaborateurs ».
La décision du procureur a déçu les profanes que nous sommes, y voyant comme un enterrement du dossier. Ils avaient cru qu’après toutes les accusations graves formulées par la CEP, les charges portées par les ministres et autres collaborateurs sur l’ex-Président, les infractions retenues par le Parquet et dont certaines sont qualifiées de criminelles, que l’ancien locataire du Palais gris ne pourrait échapper à la « détention préventive », tant le tombeur de Sidioca en avait pris pour son grade. On a donc perçu comme « très favorable »aux accusés la résolution de les laisser sortir libres du palais de Justice.
Résolution favorable
Mais, à en croire un des membres du collectif de la défense de l’État, l’important, en tout cela, c’est l’inculpation des treize personnes : l’instruction du dossier commence. Il appartiendra désormais au juge de le constituer, à charge et à décharge des prévenus, de vérifier si les faits reprochés aux présumés par la CEP sont fondés ou non. Et, à mener, dans ce cadre, des investigations précises, écouter les personnes suspectées, avant de décider s’il y a lieu de les traduire devant un tribunal ou non. Pendant cette période, il peut demander la préventive, pour les placer en détention, les mettre sous contrôle judiciaire ou les laisser libres. Notre spécialiste fait le parallèle avec Sarkozy laissé libre jusqu’à la fin de l’instruction. Et d’ajouter : « c’est conforme à la règle du Droit et ce n’est pas choquant ». Si bon nombre de profanes s’inquiètent c’est parce qu’en Mauritanie, une fois déféré devant le Parquet, les présumés coupables sont ordinairement déposés en prison.
C’est donc au juge qu’il conviendra d’apprécier au terme de ses investigations. Et sa décision pourrait dépendre de l’attitude de l’ex-Président qui refuse, depuis l’enquête préliminaire de la police des crimes économiques et financiers, de répondre aux questions aux enquêteurs. Droit dans ses bottes, il n’entend déférer que devant la Haute Cour de Justice (HCJ), seule habilitée, selon lui, à entendre un ex-président de la République. Une HCJ dont la composition a été reportée par la dernière session du Parlement… ce qui avait déjà amené l’opinion à s’interroger sur la poursuite ou non des procédures du dossier.
Aujourd’hui, l’option de la HCJ paraît peu probable. Mais si l’État semble privilégier l’option de la justice ordinaire, rien ne l’empêche de recourir aux deux, en distinguant certains faits relevant plus spécifiquement de l’exercice du pouvoir d’autres plus nettement liés à des délits et crimes de droit commun.
Il n’en reste pas moins que le dossier de la corruption, appelé également « dossier de la décennie » aura fortement impacté sur le début de mandat du président Ghazwani, ami et « dauphin » de son prédécesseur empêtré, depuis son départ du pouvoir, dans cette affaire de « corruption et de pillages des biens publics », alors que l’homme avait justifié son coup de force contre le défunt président Sidioca par sa volonté de lutter contre la gabegie et de moraliser la gestion de la chose publique. Le Parquet l’accuse d’avoir, à lui seul, spolié l’État de plus de vingt-neuf milliards d’ouguiyas. Du jamais vu dans notre pays où certains de ses prédécesseurs moururent après avoir quitté le pouvoir les mains vides (Mokhtar ould Daddah, Ould Saleck et Ould Cheikh Abdallahi) et des citoyens trouvent toutes les peines du monde à joindre les deux bouts.
DL